Églises transformées en bar ou restaurant à Rouen : pourquoi les projets prennent plus de temps que prévu ?

En mai 2019, à grand coup de communication, la ville de Rouen lançait un appel à projet pour vendre 4 de ses églises désacralisées en échange d’un projet permettant de redonner vie au lieu tout en mettant en valeur les édifices. Où en est-on ?

La vente des églises rouennaises avait fait beaucoup parlé et eu un écho national mais trois ans après, où en est-on des différents projets ? Sur place, pas d’échafaudage ou trace d’un quelconque chantier…. Explications.

A Saint-Nicaise, la future brasserie est sur la bonne voie mais prendra 3  à 4 ans de plus que prévu

En décembre 2019, au moment du résultat de l’appel à projets, c’est la transformation qui avait le plus fait parler : transformer l’église en une brasserie artisanale. Une idée défendue par Pierre Marie Soulat et Benoit Rousset, propriétaires de la brasserie Ragnar, avant même que la mairie de lance l’appel à projet. Les deux jeunes entrepreneurs  sont  amoureux des vieilles pierre et du patrimoine. "On a eu un coup de cœur pour le site", explique Pierre-Marie Soulant.  

Dès l’été 2020, ils testaient leur concept dans le jardin de Saint Nicaise avec un bar éphémère. Trois ans après, le projet continue d’avancer mais prendra beaucoup plus de temps que prévu. Au départ, les brasseurs espéraient ouvrir la brasserie en 2023, aujourd’hui ils visent plutôt 2027.

« On a été un peu naïf sur les délais , le milieu du patrimoine est un temps long, c’est quelque chose qui nous dépasse »  

Benoit Rousset. Co-fondateur de la brasserie Ragnar

 

Mix d’un cœur gothique du 16e siècle et d’une nef de style art déco des années 1930, l’église Saint Nicaise est devenue monument historique au printemps dernier. Un classement qui permet de mieux protéger le bâtiment mais qui renforce aussi les  contraintes. Pas de quoi inquiéter les entrepreneurs qui militaient pour ce classement. Ils pourront ainsi bénéficier de 30 à 40% de subventions pour la restauration du bâtiment.

Aujourd’hui, première étape indispensable dans le projet, le diagnostic architectural vient de s’achever. Il a révélé que le béton des murs de l’église était en mauvais état et nécessitera plus de travaux que prévu. Mais dans cette église où l’exercice du culte a perduré le plus longtemps (elle n’a été fermée qu’en 2002), c’est notamment l’avenir du nombreux mobilier dont il a été question avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles, la DRAC.

Ce qui ne sera pas exposé ou utilisé dans l’espace brasserie et restauration, sera visible dans un petit musée qui sera construit dans le jardin. Autre point de négociation avec l’institution culturelle, la taille des cuves,  elle sera réduite. La bière brassée dans l'édifice servira uniquement à la consommation sur place.

Estimé dans son ensemble à 8 millions d’euros à la fois pour la restauration (4,5 millions) et l’aménagement (3,5 millions), le projet a déjà bénéficié des  recettes générées par l’ouverture estivale du jardin. "Le succès rencontré par le bar éphémère, nous permet de crédibiliser le projet final. Au départ, on n'était pas sûr que les Rouennais viendraient dans le quartier qui a longtemps souffert d’une image défavorable."

Après validation du Diagnostic par la Direction Régionale des Affaires Culturelles en 2021, et un an d’instruction, les travaux devraient pouvoir commencer en 2023 , pour une ouverture estimée en 2027.

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Où en sont les appels à projet des églises rouennaises? Episode 1 ©France 3 Normandie

 

Saint-Pierre-du-Châtel, l’avenir du projet toujours en question….

A quelques mètres de la rue Jeanne d’Arc, en plein cœur de la ville , les ruines de l'église Saint-Pierre-Du-Châtel attendent depuis 60 ans qu’on leur donne un avenir. Des 4 édifices mis en vente par la municipalité, c’est celui dont il reste le moins de choses…. Sur ces ruines du 15e siècle, les promoteurs souhaitaient créer un restaurant avec 3 chambres d’hôtel de charme et un rooftop dominant la ville. Mais aujourd’hui l’avenir du projet est encore en question…

Les architectes ont l’obligation de réutiliser dans le projet la charpente de l’église, sauvée des bombardements de 1944 et stockée depuis des années dans des entrepôts de la mairie. Or, la réutilisation de cette charpente, c’est justement l’un des points de discussion entre la DRAC et  les promoteurs. Ils  ont déjà dû faire évoluer leur projet  en supprimant notamment les chambres d’hôtes car une voute a été découverte dans le clocher de l’église. Dernièrement, ils ont donc effectué une nouvelle proposition pour mettre en valeur cette charpente à la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Sans l’utiliser pour la construction, il s’agirait de l’exposer, ils attendent maintenant la réponse de l’institution culturelle.

Du côte de la municipalité, on espère que les discussions aboutissent pour restaurer ces ruines et surtout les voir vivre. "Ici on est encore au travail. On est là pour créer ce point d’équilibre entre le promoteur et la DRAC. Chacun affirme son territoire, chacun sait qu’il faut trouver une issue."

Des compromis  difficiles à trouver entre l’institution culturelle qui finance une partie des travaux et défend la préservation de l’édifice et les visions défendues par les  porteurs de projet  pour qui se pose la rentabilité de l’investissement par rapport à un coût conséquent, 3, 8 millions d’euros pour Saint-Pierre du Chatel. Un équilibre d’autant plus compliqué à établir que le sous-sol de ces édifices, riche en découvertes, ne permet pas d’y faire la moindre fondation….

En effet, lorsqu’un projet de construction est présenté sur un site, des fouilles archéologiques préventives sont effectuées. Si celles-ci laissent présager des découvertes intéressantes, deux possibilités s’offrent alors au constructeur. Soit il ne touche pas au sous-sol, rendant impossible toute fondation, soit à la demande de la DRAC, il doit effectuer une fouille complète du site, ce qui peut décaler le projet de deux à trois ans  et coûter 300 à 400 000 euros supplémentaires selon l’endroit. Après seulement, il pourra installer ses fondations.

« Le jeu est d’éviter d’avoir à faire des fouilles complètes »

Alain Marion-De Procé. chef de projet Pré-amenagement à la Métropole de Rouen Normandie

Une prouesse pour les architectes qui doivent donc construire des bâtiments contemporains sans pouvoir s’ancrer dans le sol…

Sainte-Croix-des-Pelletiers, le sort du site entre les mains des architectes…

A quelques mètres de la place du Vieux Marché, dans la rue Sainte-Croix-des-Pelletiers, sa façade passe pratiquement inaperçue. Seuls les initiés se souviennent encore que derrière ses murs se trouve une église. Un édifice du 15e siècle  qui a longtemps servi de salle de spectacle. Un lieu auquel Pascal Givon et son associé, chefs d’entreprise aimeraient redonner vie.

"On veut rouvrir l’église aux rouennais, en recréant un parvis, où chacun pourrait venir travailler même sans consommer. Au fond il y aurait un restaurant sur deux niveaux avec une mezzanine qui ouvrirait sur un jardin suspendu sur l’arrière de l’église."

Mais ici ce qui pose problème c’est justement la mezzanine ou plutôt comment la fixer. Une première phase de diagnostic archéologique a révélé que le sol abritait des vestiges rendant impossible l’installation des micropieux envisagés par les architectes, à moins de réaliser une fouille complète du site : trop coûteux et trop long...

La charpente n’étant pas assez solide pour s’y rattacher, la seule solution restante serait donc de se fixer sur les poteaux de l’église actuelle sans les abimer. Un véritable casse tête pour l’entrepreneur qui a déjà dû dépenser plus de 200 000 euros en études et renoncer aux appartements  qu’il souhaitait construire dans l’immeuble attenant, mais pas de quoi les faire renoncer.   

« On le fait pour le patrimoine. C’est bien de remettre cette église en état. Est-ce que ça peut s’équilibrer financièrement entre le coût des travaux et la rentabilité espérée ? J’y crois toujours »

Pascal Givon. Porteur du projet de Ste Croix des Pelletiers

L’avenir du site dépend du résultat d’une nouvelle campagne de fouilles archéologiques. Elles doivent déterminer si les piliers de l’église sont suffisamment solides pour que la mezzanine prévue dans le projet puisse s’y accrocher.

Début décembre 2022, les archéologues de l’INRAP étaient sur place. "On a trouvé des sépultures et une église qui serait antérieure à l’église actuelle. Les piliers du XVe siècle reposent sur ces fondations anciennes, donc à priori ça devrait être assez solide pour supporter les projets d’aménagement", indique Sylvain Mazet, responsable de l'INRAP Seine-Maritime.

Une bonne nouvelle pour les porteurs de projet, même s’il faudra attendre le rapport des archéologues puis celui des experts et encore la validation de la DRAC. Mais si tout va bien, ils pourraient déposer leur permis de construire courant 2023.

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églises à vendre. L'avancement des projets ©France 3 Normandie

Il va maintenant falloir faire vite car les lieux fermés depuis 2015 sont envahis par les pigeons et se dégradent très vite.

Saint-Paul, futur espace d’art contemporain ?

A l’autre bout de Rouen, l’église Saint-Paul attend elle aussi sa nouvelle vie. Proposée à deux reprises lors des appels à projet l’édifice n’a pas trouvé preneur. "On a eu beaucoup de projets dans la restauration mais rien qui permettait d’assurer la viabilité économique et qui mettait en valeur le lieu", explique Elisabeth Labaye, conseillère municipale au matrimoine/patrimoine.

La Métropole a donc décidé de conserver l’édifice et de ne pas l’abandonner au délabrement. Elle pourrait transformer le site en un lieu dédié à l’art contemporain même si rien n’est encore décidé.

L’église de plus de 2000 m2 est la plus vaste des 4 mises en vente par la ville de Rouen, y est accolée, une petite chapelle romane du 11e siècle classée monument historique. Faute de fidèle, elle a été fermée en 2000 et dispose d’un petit jardin et de nombreux vitraux. Mais ici, ce qui freine les projets, c’est son emplacement en plein cœur d’un carrefour à forte circulation, à la sortie du pont Mathilde, sans possibilité de parking.

« La Métropole est bien consciente qu’il faudra améliorer l’accessibilité du site, pour qu’on retrouve ici un lieu de vie »

Elisabeth Labaye. Conseillère municipale au matrimoine et patrimoine à la ville de Rouen

 

Transformer des édifices ou des ruines du XVe siècle en bar ou restaurant sans toucher à la moindre pierre ni creuser la moindre fondation, c’est le défi des promoteurs qui ont répondu aux appels à projets des églises rouennaises. Mais pour y parvenir, ils vont devoir faire preuve d’imagination et de prouesse technique.

Donner une nouvel usage à ces églises qui nous viennent parfois du fond des temps, l’idée fait rêver mais rénover et transformer ces édifices au passé riche s’avère finalement beaucoup plus compliqué que prévu.

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