Depuis le début de l'année, deux tentatives de suicide d'adolescents ont eu lieu dans des lycées en Normandie. Pour comprendre ces événements, nous avons posé des questions à la psychiatre Pr Priscille Gerardin au CHU de Rouen (Seine-Maritime).
Le 19 janvier dernier, une lycéenne a tenté de mettre fin à ses jours dans son lycée Flora-Tristan de La Ferté-Macé (Orne). Et il y a quelques jours, le 13 février, il s'agissait d'une lycéenne du lycée Aristide-Briand d'Évreux (Eure) qui a sauté du premier étage de son établissement.
Pour mieux comprendre ces deux événements et la santé mentale des adolescents qui se dégrade depuis plusieurs années, nous avons interrogé la Pr Priscille Gerardin, psychiatre enfant et adolescent au CHU de Rouen, et cheffe de pôle au centre hospitalier du Rouvray.
1. Quels sont les signes qui doivent alerter chez un adolescent ?
Pr Priscille Gerardin : Il y a plusieurs signes, on peut observer une rupture de comportement sur le moyen ou long terme ou bien une forte irritabilité. Si l'on constate un désinvestissement ou bien que l'adolescent n'apprécie plus des choses qu'il aimait fortement avant, on peut s'alerter.
Il faut aussi être vigilants quant aux propos négatifs, comme "la vie n'en vaut pas vraiment la peine". Ce sont des propos qu'il ne faut pas banaliser. Tous ces éléments peuvent être les signes d'un épisode de dépression.
2. Comment agir et aider en tant que proche ?
Notre rôle en tant que proche et notamment en tant qu'adulte, c'est d'être attentif à ces adolescents, attentifs à cette période de vie qui est difficile.
Il ne faut pas avoir peur de poser des questions directes, comme "est-ce que tu as déjà eu des pensées suicidaires ?".
Pr Priscille Gerardin, psychiatre
Parler de pensées suicidaires ne va pas inciter la personne à passer à l'acte, mais cela va plutôt provoquer un véritable soulagement pour l'adolescent qui n'osait pas en parler.
Ensuite, si l'on constate des signes que ça ne va pas, il ne faut pas hésiter à prendre rendez-vous chez le médecin. Et à partir d'un moment où il y a un geste suicidaire, il y a une hospitalisation et ensuite, il faut rester vigilant.
3. Pourquoi l’adolescent tente de se suicider à l’école ?
On ne peut pas faire de généralités, ce sont toujours des histoires individuelles. On peut malgré tout trouver deux explications. D'abord, le lieu de l'école peut être un lieu de souffrance pour l'adolescent, là où il se passe des choses compliquées. Dans ce cas-là, cela peut accélérer ou déclencher le passage à l'acte.
Il se peut aussi que cela se fasse dans un établissement scolaire, car c'est un lieu où l'adolescent peut être directement vu ou entendu dans sa souffrance.
4. Comment se manifestent les pensées suicidaires ?
Tout le monde peut avoir dans sa vie des pensées suicidaires ou des moments difficiles où on s'interroge. Le problème, c'est que l'adolescence est une période à hauts risques, les adolescents cumulent les facteurs à risques.
Les troubles psychologiques arrivent beaucoup plus fréquemment à l'adolescence, car les ados cumulent plusieurs facteurs de risques.
Pr Priscille Gerardin, psychiatre
L'adolescence, c'est la fin de l'enfance pour le début de la vie d'adulte et c'est très dur. C'est là où on se questionne sur le sens de la vie, où on réalise ce qu'est la mort.
C'est aussi une période où il y a du harcèlement, une pression scolaire. Et depuis quelques années, il y a le sentiment de vivre dans une société en crise avec la guerre, le changement climatique.
5. La Normandie fait partie des régions les plus touchées, pourquoi ?
Les paramètres socio-économiques et l'environnement sont évidemment à prendre en compte dans ces chiffres. L’existence d’antécédents de suicide ou de tentatives dans la famille est aussi un facteur à risque et il est difficile de casser le cercle vicieux.
Il faut néanmoins souligner qu'on est la région qui a réussi à beaucoup améliorer ses chiffres, notamment grâce au dispositif VigilanS qui aide les personnes ayant fait une ou plusieurs tentatives de suicide à ne pas récidiver. Et on voit que ça marche.
Il faut également rappeler, pour les adolescents qui en auraient besoin, le 31 14 est une ligne d'écoute pour l'ensemble du territoire, disponible 24h/24h.
Les chiffres
Une étude de Santé publique France, publiée le 5 février, montrait la détérioration de la santé mentale des jeunes adultes. Pour les 18-24 ans, les pensées suicidaires au cours de l'année écoulée ont été multipliées par deux entre 2014 et 2021, passant de 3,3% à 7,2%.
La Normandie est la deuxième région la plus impactée par le suicide avec un taux de décès de 18,6 pour 100 000 habitants en 2020 (en France ce taux est de 13,3), selon le 5e rapport de l’Observatoire national du suicide paru en 2022.
Vous avez besoin d’aide ? Vous vous inquiétez pour un proche ? Ne restez pas seul, parlez-en à votre médecin traitant ou contactez l’une de ces associations d’écoute ou structures spécialisées en cliquant ici.