Coronavirus et confinement : pourquoi certains ados "pètent un câble" ?

Les témoignages de parents désemparés par la réaction de leurs adolescents se multiplient. Le docteur Patrick Genvresse, fondateur de la maison des adolescents du Calvados, nous explique ce qui se joue dans leur tête. Et assure que cette période de confinement peut aussi être une chance. 

 

Isabelle* a un fils de 16 ans, Aurélien*. Il grandit au sein d’une famille recomposée près de Caen avec sa demi-sœur de 10 ans et son beau-père.

Lundi soir, il s’est passé une scène d’une rare violence. Son adolescent habitué à faire 10h de sport par semaine refuse de prendre l’attestation de déplacement dérogatoire qui autorise le sport en individuel quand il sort faire son jogging. Il vit aussi très mal de ne pas voir sa copine qui habite à 15 kilomètres.

Tout au long de la journée de lundi, la tension n’a cessé de monter entre lui et sa maman, et le soir, à bout, Aurélien a explosé.

Mon fils était méconnaissable, traits tirés, mâchoire serrée, regard haineux. Il a lâché que s’il ne sortait pas, il allait tout péter dans la maison. Et là j’ai eu très peur. Moi qui croyais qu’il était équilibré parce qu’il fait beaucoup de sport… Je ne l’avais jamais vu comme ça ! 
-Isabelle- maman d'un ado de 16 ans


Le cas d’Isabelle n’est pas unique. Pourquoi cette période de confinement est-elle particulièrement difficile à vivre pour les adolescents ?
Entretien avec Patrick Genvresse, pédopsychiatre, ancien directeur médical de la maison des adolescents de Caen.


Pourquoi être confiné est insupportable pour certains ados ? Que se passe-t-il dans leur tête ?

PG : Dans le cas du confinement, ce n’est pas le fait d’être enfermé dans une maison ou un appartement qui leur pose problème. D’ailleurs quand vous leur proposez une balade au grand air, ils refusent la plupart du temps et préfèrent rester cloitrés dans leur chambre. 

Non, ce qu’ils vivent mal c’est la proximité avec la famille, une promiscuité insupportable et absolument inconfortable pour certains. L’adolescent se sent menacé
-Patrick Genvresse - pédopsychiatre


Dans la vie de tous les jours, cette promiscuité est régulièrement interrompue. L’ado va en cours, sort, va au sport, retrouve ses copains. Ici dans le cas du confinement, il n’y a plus d’échappatoire. Il se sent prisonnier, pris au piège de devoir s’exprimer devant ses parents, de devoir parler, échanger avec eux.
 

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Et quand on sait que le refus est un principe de base chez les ados, on comprend pourquoi le confinement devient très compliqué. Ils ont besoin de se réaffirmer en permanence, de dire je suis un être unique et différent de mes parents. C’est leur inclinaison psychique ; après s’être appuyé sur ses parents, il faut s’en démarquer, parfois jusqu’à l’excès, « je n’ai rien à voir avec mes parents, je ne veux rien leur devoir ». Et là il se retrouvent à devoir cohabiter avec eux 24h sur 24. Pour certains c’est juste insupportable

Pourquoi tant de violence dans certaines réactions ?

PG : Vous savez, les ados ont un mode de réaction habituel en espace. Quand il y a dispute, ils s’éloignent, ils quittent la pièce ou la maison. Là, ils ne peuvent plus, ils se sentent pris au piège, ils explosent de l’intérieur. 
 

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Et puis le clivage est leur mécanisme de défense psychanalytique, un mécanisme archaïque, du petit homme. Ils ressentent des choses contradictoires qui ne permettent pas le compromis. « Tu es d’accord avec moi, tu es fantastique, tu es contre, je veux te détruire. »

Quels conseils donneriez-vous aux parents démunis?

D’abord je leur conseillerai de rappeler qu’à priori s’ils font partie d’une famille, ce n’est pas pour rien. Il faut réinvestir le champ de la parole.

Il faut profiter aussi de ce moment pour se dire des choses importantes, en se gardant d’être trop intrusif, sans rentrer en permanence dans la chambre pour voir ce qu’ils font.

Ce confinement peut-être un temps pour inciter à l’écriture, coucher ses pensées, sur une feuille de papier ou un ordinateur, sans faire attention à l’orthographe. On peut ensuite effacer, jeter mais prendre le temps de poser ce qui passe par la tête.

Enfin, on dit trop souvent que nos ados sont absorbés par leurs jeux vidéo ou le net, c’est le moment de s’intéresser à ce qu’ils font, même si vous trouvez ça trop violent ou inutile. « Montre-moi ton jeu, explique-moi ». Et arrêter de considérer que ces jeux sont nuls.
 


En quoi cette période inédite peut être une chance ?

Nos ados revendiquent leur singularité, ils sont souvent plein d’humanisme, prêts à faire des choses pour les autres. C’est le moment de les confronter à l’épreuve, de pouvoir le dire et le faire puisque tous nous pouvons, sans être malade, porter le virus et le transmettre à quelqu’un qui peut en mourir. 

L’ado est une personne à part dont la pensée se développe en permanence. Il faut discuter, échanger avec eux sur cette crise sanitaire inédite. Et peu importe s’ils mettent en avant des thèses complotistes. Ce qui est important c’est qu’ils s’expriment et que les parents les écoutent en leur donnant leur avis mais sans leur faire comprendre que ce qu’ils pensent est nul. Discuter, échanger mais ne pas juger.
Cette période si particulière est aussi une vraie chance de revisiter notre fonctionnement quotidien. J’ai coutume de dire qu’un ado se construit contre l’adulte, mais aussi tout contre.  
 

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La maison des adolescents continue d'assurer le suivi des ados


La maison des adolescents est fermée mais elle continue de fonctionner. « L’accueil sans rendez-vous n’est plus assuré mais nous continuons par téléphone le suivi des ados dont nous nous occupons » explique Barthélemy Vaucelle, coordinateur de réseau et chef de service à la maison des ados. 
 

« Plusieurs personnes sont en télétravail et il y a toujours une permanence téléphonique dont la mission est d’écouter, d’évaluer et d’orienter le cas échéant. Nous gérons les situations les plus urgentes, le risque suicidaire ou de décompensation psychique. Nous sommes là aussi pour prévenir un engorgement des urgences. »

Ce n’est donc pas la peine de les appeler si votre ado qui va bien habituellement pique une crise parce qu’il est confiné. Les personnels de la maison des ados, tout comme ceux d’autres services qu’ils soient médicaux ou non, s’adaptent au jour le jour, en fonction de l’évolution de la crise que nous traversons en ce moment.

*Isabelle et Aurélien sont des prénoms d'emprunt.
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