Le fils d'un aviateur canadien blessé lors de la bataille de Normandie est revenu dans la ferme qui l'avait recueilli dans le Pays d'Auge. Son père était un engagé volontaire, comme tous les soldats venus du Canada. "C'était une guerre idéologique et elle fait écho avec l'actualité", rappelle Nathalie Worthington qui dirige le centre Juno Beach. "Il faut aujourd'hui se souvenir pourquoi les Alliés s'étaient rassemblés".
La maison a été rénovée, mais c'est bien la même que celle qui figure sur une veille photo sépia. Harvey est attablé dans la salle à manger avec les Ferey, la famille qui habite aujourd'hui cette belle bâtisse du Pays d'Auge. Des morceaux de métal tordus, déchirés, oxydés, sont étalés sur la table. Ils proviennent de l'avion à bord duquel le père de Harvey avait pris place le 6 juin 1944.
Ces débris ont été retrouvés au fil des ans dans un champ situé à moins d'un kilomètre. Thérèse Ferey a effectué des recherches afin d'identifier l'appareil. Ce Dakota transportait des parachutistes quand il a été touché par la défense anti-aérienne. "Le pilote Harvey E. Jones a sauvé les vies des membres de son équipage. Alors que l’avion est en feu, ce dernier reste aux commandes et ordonne à l’équipage de sauter. L’adjudant Cobby Engelberg, le père de Harvey Engelberg, est inconscient et ne peut pas sauter. Le pilote décide alors de tenter un atterrissage forcé, qui le tue sur le coup", raconte le centre Juno Beach de Courseulles-sur-Mer.
Cobbie Engelberg est alors recueilli dans cette maison où son fils se retrouve attablé 78 ans plus tard. "C'est très émouvant. Grâce au pilote qui a sauvé mon père, je suis en vie, avec ma famille, mes enfants, mes petits-enfants. Thérèse Ferey m'a contacté il y a seulement trois semaines". Harvey a aussitôt bouclé sa valise pour remonter le fil du temps : il ramène à la guerre. "Le timing est incroyable, surtout avec ce qui se passe en Ukraine aujourd'hui. Beaucoup d'émotions se télescopent".
Au Centre Juno Beach, à Courseulles-sur-Mer, le débarquement des troupes canadiennes le 6 juin 1944 entre aussi en résonnance avec l'actualité. "Le père de Harvey Engelberg et le pilote qui lui a sauvé la vie étaient des engagés volontaires, comme les jeunes qui s'engagent aujourd'hui en Ukraine", souligne la directrice Nathalie Worthington. "C'est ce qui avait marqué Roger Alexandre, le fondateur de l'association des amis du centre Juno Beach. Il a vu des corps de jeunes soldats canadiens, et il s'est battu pour qu'on se souvienne des raisons pour lesquelles ils étaient morts si loin de chez eux".
Depuis quelques semaines, des visiteurs du musée canadien viennent chercher de quoi nourrir leur réflexion. "Des enseignants nous demandent qu'on les aide à trouver des réponses aux questions que les enfants se posent à propos de l'Ukraine. Une prof a tenu à ce qu'on nous explique pourquoi les Canadiens se portaient volontaires", observe Nathalie Worthington.
Le père de Harvey Engelberg était venu combattre contre la tyrannie, pour défendre la démocratie et la liberté. L'Ukraine tente aujourd'hui de rallier les Occidentaux à sa cause en défendant ces mêmes valeurs. Les images de civils ukrainiens abattus pour avoir refusé de coopérer avec l'envahisseur ne sont pas sans rappeler certains actes de barbarie commis en Normandie en 1944, La famille Duhamel qui avait sauvé l'adjudant Cobby Engelberg fut d'ailleurs arrêtée et leur fils assassiné par les nazis pour avoir rendu service aux Alliés.
C'était une guerre idéologique. On voit qu'il y a eu des drames et des horreurs, mais qu'on s'en est sortis ensemble. Aujourd'hui aussi, on peut espérer pouvoir s'en sortir en restant unis.
Nathalie Worthington, directrice du centre Juno Beach
"On a été élevés entre les blockhaus et les trous de bombe", rappelle Thérèse Ferey à Basseneville. "Nous sommes les derniers témoins de 39/45. Le grand père de mon mari avait fait 14/18 et il n'en parlait pas. Il était là, mais il y avait une absence. On a souffert des non-dits. Quelque part, avec Harvey Engelberg, on répare une injustice. C'est affreux que Jones ait été enterré ni vu ni connu, dans l'anonymat. C'est affreux la solitude du combattant".
C'est une petite histoire dans l'Histoire qui ressurgit aujourd'hui en des temps troublés. "Il y a de l'humain là-dedans, insiste Nathalie Worthington. Nous, on ne cesse de fouiller cette humanité". En espérant y trouver du sens.