Ils étaient adolescents au moment du débarquement Allié en Normandie : les bombardements, l'odeur de la poudre, les gravats, leur poussière après les bombes, les tirs, l'exode. Ils revivent cette horreur en regardant les images à la télé et sont plongés dans une grande émotion : "Comment a t-on pu en arriver là en Europe et revivre ça ?"
C'est vrai qu'après-guerre et jusque dans les années 90, l'idée du "Plus jamais ça" était dans toutes les têtes. Plus jamais d'oligarque incontrôlable ou de dictateur, plus jamais de civiles otages, plus jamais de violence extrême, plus jamais de guerre, tout simplement. Au moins sur notre sol en reconstruction, l'Europe. Mais une et deux générations sont passées. Les années 2000 nous ont fait changer de cap. Et les bombes sont revenues et terrorise des civils. "Je suis effondrée pour mes petits enfants et arrière petits -enfants, dans quel monde vont ils vivre quand on voit qu'on a laissé faire ça, laissé la menace d'une guerre mondiale revenir ?"
Roger Potier avait 17 ans en 1944. Dans son quotidien de presse écrite, chaque matin, il regarde les civils ukrainiens le cœur en vrac. Des photos d'exode et de villes en ruine qui lui rappellent sa propre jeunesse et ses peurs d'antan. Des souvenirs qu'ils pensaient enfouis pour toujours.
C'est pas la même guerre mais il y a quand même certaines similitudes. Quand on voit tous ces pauvres gens chassés de chez eux avec des enfants dans leurs bras. [silence] Quand je vois ça...[larme]
Roger Potier, civil pendant les bombardements de juin 1944 en Normandie
Les larmes ne sont pas loin quand il évoque, à bientôt 100 ans, ses doutes pour l'avenir. Il croyait tant qu'il n'aurait plus jamais à être pessimiste. Et il n'est pas le seul à sentir cette angoisse remonter, celle des lendemains incertains sur lequel on a aucun contrôle.
"C'est pas possible qu'on en soit encore là !"
Devant leur télévision, depuis un mois, ces civils rescapés de 1944 pleurent en silence. "C'est pas possible qu'on en soit encore là ! Comment on a pu se laisser aller au point de laisser un homme bombarder des civils près de nous", la colère est profonde. Elle les rend à la fois forts et fragiles.
Les anciens enfants de la Normandie en guerre, celle de 1944, rasée et prise en étau entre les combats Alliés et Nazis, se reconnaissent dans l'image des enfants ukrainiens en pleurs dans les bras de leurs parents, amassés à la frontière polonaise ou tentant de fuir Kiev. Et Marioupol, ce champ de ruines, leur fait revivre de douloureuses images : des bâtiments en feu, des gravats de pierre partout et de la peur au ventre. L'horreur de la guerre.
"Nous dans les années 40 on était dans une ignorance de tout. On se croyait épargnés des combat dans notre presqu'île du Cotentin et en une nuit tout a changé. Avec les smartphones ça doit être différent", il pourrait en parler des heures. "Même si la vie reprend le dessus, il reste toujours quelque chose après". Depuis le 24 février, tous les jour , André Aubert repense à 1944.
Le 8 juin 1944, André Aubert a une dizaine d'années quand Periers, sa petite commune de la Manche est bombardée. Des bombardements aériens visant à ralentir la progression des renforts allemands en direction des plages du débarquement. La commune, qui représente un carrefour très important de voies de communications dans le Cotentin, est en grande partie détruite par ces attaques. Lui, sa mère et sa sœur ont marché 100 kilomètres pour retrouver un semblant de paix. Laissant son père mort sous les gravats et leur maison pillée, très rapidement.
Je sens comme une angoisse revenir : que va t-il nous arriver demain? Cette question ne me taraudait plus. Elle revient.
Roger Potier, civil victime en 1944
Tous savent ce que veut dire entendre un avion et trembler avec ce bruit. Même encore aujourd'hui des sifflements ou des vibrations trop fortes peuvent réveiller cette angoisse. Alors, l'Ukraine, c'est une actualité insupportable. Un effet miroir qui est venu assombrir leurs jours heureux. Le 6 juin 2022 aura une résonnance particulière, à ne pas en douter. Un 78ème anniversaire du Débarquement au goût amer.