Surnommé D-day land par ses détracteurs, le projet de spectacle immersif autour du Débarquement ne verra pas le jour dans la Manche. La commune de Colombelles, près de Caen, est évoquée depuis plusieurs semaines comme un plan B. Son maire, l'historien Marc Pottier, prend clairement position après les attaques de la maire de Mondeville, la ville voisine.
La guerre est déclarée. Ou tout du moins, le champs de bataille s'est déplacé, de Carentan dans la Manche à l'agglomération caennaise dans le département du Calvados. Depuis le 23 juin dernier, la commune de Colombelles, évoquée jusqu'alors à demi-mot comme un éventuel plan B, apparaît comme un très plausible point de chute pour le projet de spectacle immersif autour du Débarquement. A tel point que la maire de Mondeville, voisine de Colombelles, s'est fendue d'une tribune le 6 juillet dernier pour tirer à boulets rouges contre le "parachutage" de l' "Hommage aux héros" sur l'ancien site de la Société Métallurgique de Normandie (SMN). Deux semaines plus tard, l'heure de la contre-attaque a sonné.
Et c'est Marc Pottier, maire de Colombelles, qui est à la manœuvre. Plutôt discret jusqu'à présent sur le sujet, l'historien n'avait toutefois jamais exprimé d'hostilité au projet et avait reconnu avoir rencontré ses promoteurs. Dans la tribune qu'il a fait parvenir aux médias, l'élu de l'agglomération caennaise évoque des contacts bien plus poussés avec les concepteurs de l'Hommage aux héros et démonte une à une les accusations portées par son homologue de Mondeville.
"Des formes narratives innovantes ne sont pas condamnables"
"Colombelles ne vendrait pas son âme si ce qui ne s'appellera plus Hommage aux héros venait à s'y installer", assure Marc Pottier, qui rappelle dans sa tribune ses fonctions d'ancien directeur éducatif du Mémorial de Caen et de membre du conseil scientifique du dossier pour l'inscription des Plages du Débarquement au patrimoine mondial de l'Unesco. "Je regrette le principe d'une condamnation de facto d'un spectacle grand public et populaire (...) Le concept narratif et scénique ne doit pas être décrédibilisé ou considéré choquant uniquement de par sa nouveauté. Si les contenus sont exacts, historisés et porteurs de sens, des formes narratives innovantes ne sont pas condamnables", estime l'historien.
Lequel s'appuie sur le CV des personnes impliquées dans le projet pour soutenir son propos : "un metteur en scène lauréat d'un Molière, un scénographe prix de la meilleure scénographie des critiques de théâtre au Québec, un historien ancien directeur scientifique du Mémorial de Caen, un architecte ayant conçu et développé la bibliothèque Alexis de Tocqueville à Caen, une agence de scénographie et de muséographie ayant réalisé les Philharmonies de Paris et de Hambourg ou la récente fondation Louis Vuitton". Et révèle sa propre implication. "J'ai demandé et obtenu des garanties. Le fonds et les contenus sont remis sur l'ouvrage. J'ai affirmé, sans naïveté et fermement, ce qu'à Colombelles nous voulons et ce que nous ne voulons pas."
Pas de concurrence avec les autres sites de mémoire ?
Selon Marc Pottier, le projet qui pourrait voir le jour dans sa commune ne s'appellerait plus "Hommage aux héros" et ferait l'objet d'un comité de suivi composé d'élus de l'agglomération, y compris durant son exploitation. "Ce projet sera réfléchi dans son articulation avec les autres musées et sites du Débarquement et de la Bataille de Normandie, tout particulièrement le Mémorial de Caen", assure le maire de Colombelles, qui balaye, au passage, l'argument de l'éventuelle concurrence entre les sites de mémoire. "Le nombre de plus en plus important de musées et lieux de mémoire créés notamment depuis 2010 sur l'espace historique de la Bataille de Normandie n'a pas tari la fréquentation et le visitorat, bien au contraire."
Aux craintes de la maire de Mondeville de voir la mémoire ouvrière du site "écrasée sous la puissance marketing du projet", Marc Pottier rétorque que "sur trois générations, toute ma famille a travaillé à l'usine", qu'il a lui-même œuvré à la perpétuation de cette mémoire (auteur d'ouvrages, création du festival Les Germinales, réhabilitation de la Grand Halle) et qu'elle aura sa place dans le futur spectacle. Quant à l'utilisation "à bon escient" des friches industrielles réclamée par son homologue de Mondeville, le maire de Colombelles met en avant son bilan en termes de développement économique (de 300 entreprises, il y a moins de vingt ans, à près du double aujourd'hui) et de construction de logements sociaux. "Ce projet, questionnant mais bien travaillé, est créateur de 250 emplois équivalents temps plein à l'année, 350 en haute saison", assure Marc Pottier.
Une décision de l'agglo à l'automne ?
"Prenons le temps dans les commissions et entre élus d'échanger, discuter, partager tous les points de vue car ils sont utiles à exprimer avant de prendre collégialement une décision à l'automne", plaide l'historien. La communauté d'agglomération de Caen-la-Mer, dont dépend le terrain envisagé et muette jusqu'alors sur ce dossier (fin juin, le directeur de cabinet du maire de Caen nous indiquait que le sujet n'avait tout simplement pas été étudié ni même évoqué pour l'instant par l'agglomération caennaise), serait donc amenée à se prononcer d'ici quelques semaines.