Le tribunal pour enfants de Caen a reconnu coupable 5 jeunes pour harcèlement à l’encontre de Juliette, le 10 octobre 2022. Il y a 6 ans, l’adolescente avait mis fin à ses jours. Un des accusés a fait appel de cette condamnation. La maman de Juliette insiste sur l’importance de la prise de conscience des dangers du harcèlement.
À l’issue d’une journée entière de procès, le tribunal pour enfant de Caen a condamné le 10 octobre 2022, cinq jeunes. Ils ont tous été reconnus coupables d’avoir joué un rôle dans la diffusion de photos ayant conduit au suicide de Juliette, lycéenne alors âgée de 15 ans. Les peines prononcées vont de 2 à 4 mois de prison avec sursis et tous doivent verser la somme de 29.500 euros aux parties civiles. Une personne a fait appel de la décision de justice. Une sixième, majeur au moment des faits, sera jugée le 17 janvier 2023 au tribunal correctionnel de Lisieux.
"Nous sommes sur des peines lourdes relativement à ce qui est prononcé généralement, du fait qu’ils étaient mineurs au moment des faits, indique Me Inès Herzog, avocate des parties civiles. Nous sommes sur une échelle de peine relativement élevée par rapport à leurs âges au moment où ils ont commis les faits. Là on a des gens condamnés et reconnus coupables. Cette reconnaissance de culpabilité était importante pour nos clients." "On est plutôt contents d’être reconnus comme victime et de voir que ça ne reste pas impuni, confirme Véronique Lebas, maman de la Juliette. Si ça peut mettre du plomb dans la cervelle des jeunes. Quand vous entendez le président dire "coupable" c’est un énorme soulagement. Nous on voulait qu’ils soient reconnus coupables et qu’ils arrivent à prendre conscience qu’ils ont fait du mal et ne pas oublier qu’il y a la mort d’une gamine de 15 ans dans cette histoire."
Retour sur les faits
Le 3 mars 2016, Juliette, alors âgée de 15 ans, se couche sur les rails du train Deauville-Lisieux, le matin à l’heure d’aller au lycée. Une photo dénudée d’elle avait fait sa réapparition quelques jours plus tôt et avait été partagée de téléphones en téléphones dans son cercle de connaissances. Le tout dans un contexte difficile de séparation amoureuse et de mise à l’écart de son groupe d’amis.
Cette photo ainsi que d'autres clichés intimes avaient largement été diffusés deux ans auparavant, lors de l'année de quatrième de Juliette. À l’époque, ces photographies que l'adolescente avait envoyé à son petit ami avaient été récupérées par une autre collégienne et largement diffusées sur Messenger et Snapchat au point que lors de l’audience, il a été dit que "toute la ville de Lisieux connaissait l’existence de ces photos." Juliette avait alors était victime d'insultes de personnes qu'elles ne connaissaient pas.
C'est cette réapparition de l'un des clichés, deux ans après, qui n’a pas été supportable pour l'adolescente ce 3 mars 2016. Ce jour-là, Véronique Lebas, infirmière aux urgences de Lisieux, apprend le décès de sa fille sur son lieu de travail. "Vous avez envie de mourir. La vie s’arrête. Il faut prévenir la famille. C’est la vie de toute une famille qui s’arrête. Et puis il y a les copines qui arrivent. On dit "qu’est-ce qui se passe ?" Et là, on vous parle des photos... La Terre s’arrête. Vous n'entendez plus rien autour, se souvient-elle. On a rien vu. Personne n’a rien vu."
Un procès difficile
Si la condamnation des harceleurs de Juliette a été un soulagement pour sa famille, le procès fut une épreuve difficile à vivre. "On se rend compte que c’était de l’acharnement. Comment on peut dire à 15 ans : "Je vais te la niquer cette salope" ? Les 4 accusés disaient : "On savait qu’elle n’était pas bien, elle se scarifiait mais on voulait la mettre plus bas que terre", raconte Véronique Lebas.
"Au procès, on a appris qu’il y avait quand même une de ses camarades qui avait prévenu son père. (Juliette avait fait une première tentative de suicide une semaine avant son décès, en s’allongeant également sur les voies ferroviaires, ndlr.) Il a prévenu le lycée sur les intentions de Juliette, rien n’est remonté. Je l’ai découvert il y a 15 jours. Est-ce que si le lycée avait prévenu, elle serait toujours là ?"
Quand vous apprenez ça, et le comportement des prévenus, c’est dur. Tous se sont excusés sauf une personne. Il y en a qui étaient dévastés, qui assument tout et il y en a qui minimisent aussi. Quand vous entendez des excuses, ça ne fait pas revenir votre fille, mais au moins, on se dit qu’il y a une de prise conscience.
Véronique Lebas, maman de JulietteFrance 3 Normandie
"Que ça ne se reproduise pas"
Cette prise de conscience, c’est le combat de cette maman. Si elle témoigne de son histoire, c’est pour prévenir des dangers du harcèlement: "Je le fais pour les parents, qu’ils fassent attention à leurs enfants, qu’ils soient harceleurs ou harcelés. Pour que les jeunes aient conscience que leurs actes "pour s’amuser" peuvent avoir des conséquences très graves. J’ai besoin que ça ne se reproduise pas ça sans arrêt."
On a traversé et on traverse encore des choses dans nos vies personnelles et familiales… Je ne souhaite à personne de perdre un enfant dans ces conditions-là.
Véronique Lebas, maman de JulietteFrance 3 Normandie
Pour elle, la prévention mais aussi la reconnaissance de la culpabilité des harceleurs est primordiale.
L’association Marion, La main tendue, lutte contre les violences et le harcèlement en milieu scolaire ainsi que les cyber violences. Elle intervient dans les écoles, de la maternelle jusqu’au Bac+3. Pour Nora Fraisse, fondatrice de l’association, la prévention est effectivement essentielle dès le plus jeune âge. "Il y a quatre piliers dans cette prévention : l’information, la sensibilisation des éducateurs que ce soient les familles, les parents… La prise en charge des familles et travailler sur les harceleurs."
Mais confronté à un "manque de moyens", Nora Fraisse tire la sonnette d’alarme : "Aujourd’hui, ça n’est plus tenable alors qu’on a une hausse de 400% de demandes cette année pour être accompagné. Ça veut dire qu’il y a une connaissance des sujets, une prise de conscience du sujet mais on ne peut pas."
En France chaque année, un élève sur dix serait victime de harcèlement scolaire. Désormais, depuis le 3 mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal qui pourra être puni jusqu'à 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime harcelée.