Pourquoi Briefcam, ce logiciel de vidéosurveillance utilisé par des communes normandes, est épinglé par la justice

Le tribunal administratif a ordonné, ce mercredi 22 novembre, à la communauté de communes Cœur Côte fleurie (Calvados) d'effacer les données acquises via un logiciel de vidéosurveillance. Un logiciel qui "porte une atteinte grave au respect de la vie privée", selon plusieurs associations.

C'est par un référé rendu le mercredi 22 novembre 2023 que le tribunal administratif de Caen (Calvados) a ordonné à 11 communes de la communauté de communes Cœur Côte fleurie d'effacer les données personnelles acquises via un logiciel qu'utilisent leurs vidéosurveillances.

Le maire de Deauville en colère

Une décision qui provoque la colère chez Philippe Augier, maire de Deauville et président de la communauté de communes Cœur Côte fleurie :

On a reçu cette ordonnance qui nous somme de faire disparaître ces images dans les cinq jours. Je vais respecter ce que me demande la justice, mais je trouve ça scandaleux que nous n'ayons pas été mis au courant de cette procédure engagée par ces associations.

Philippe Augier

Maire de Deauville et Président de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie

Les communes ont effectivement retiré le logiciel Briefcam de leur système de videosurveillance depuis la décision de justice, mais les caméras continuent de tourner.

Depuis six ans, ces communes de la côte fleurie, comme plusieurs autres communes en France, utilisent une vidéosurveillance qui comporte un logiciel israélien qui s'appelle "Vidéo Synopsis". Celui-ci permet de traquer une personne sur un réseau de caméras avec, par exemple, la couleur de son pull. Il peut aussi suivre une voiture grâce à sa plaque d’immatriculation ou examiner plusieurs heures de vidéos en quelques minutes.

"Vous savez, nous avons installé tout ça en accord avec l'État. La décision a été prise en 2015, précise Philippe Augier. Moi, dans ma mairie, aucun élu n’a accès à ces images. Elles ne sont visionnées que sur réquisition et seulement par les forces de l’ordre. C’est un outil qui nous aide beaucoup."

Une atteinte au respect de la vie privée ?

Mais pour un collectif d’associations qui comprend la Ligue des droits de l’homme, le syndicat de la Magistrature, le syndicat Solidaires et l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et de juristes, ce logiciel, qui comporte également une option de reconnaissance faciale, "porte une atteinte grave et manifestement illégale au respect de la vie privée", nous explique Maître Marion Ogier, avocate de la Ligue des droits de l'homme et du syndicat de la Magistrature.

L’affaire a donc été portée devant le tribunal administratif de Caen qui a décidé que l'intercommunalité devait : "procéder dans un délai de cinq jours (…) à l’effacement des données à caractère personnel contenues dans le fichier et dans toutes les copies, totales ou partielles, à l’exception d’un seul exemplaire placé sous séquestre à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL)"

La reconnaissance faciale est interdite en France. Ce que dénonce l'avocat, ce sont les algorithmes qu'utilisent Briefcam : 

Il s'agit d'un logiciel qui capte des données issues de la vidéosurveillance et qui les traite sur la base d'un algorithme. Le problème, c'est que l'on ne sait pas ce qu'il y a dans cet algorithme.

Maître Marion Ogier

Avocate de la Ligue des Droits de l'Homme et du syndicat de la magistrature

L'avocate pointe du doigt aussi le cadre légal de ce logiciel. En mars dernier, l'Assemblée nationale a autorisé la vidéosurveillance algorithmique avant, pendant et après les Jeux Olympiques de paris 2024. Un article du projet de loi olympique qui autorise le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones : "Ces communes détiennent ce type de données depuis des années, alors que la vidéosurveillance algorithmique a été autorisée, et dans le cadre des JO, il y a quelques mois, lance Me Ogier. On ne connaît rien sur l'usage de ces données qui sont utilisées depuis 2016, 2017, alors que les communes concernées utilisent ces images depuis longtemps".

De son côté, Philippe Augier ne comprend pas :

On remet en question notre vidéosurveillance, on veut la réduire, mais c’est hallucinant ! Notre société vit des drames avec des professeurs qui sont tués, des maires qui sont agressés. Ces caméras permettent d’arrêter des délinquants, des agresseurs et surtout, elles protègent nos citoyens !

Philippe Augier

Maire de Deauville et Président de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie

Et il ne compte pas se laisser faire : "C’est un référé, nous ne sommes pas condamnés et il ne juge pas sur le fond. En France, il y a environ 200 communes qui utilisent ce type de logiciel pour leur vidéosurveillance et qui vont passer devant les tribunaux administratifs. J’attends de voir comment elles réagissent et l’idée serait de mener une action en commun".

Ce dernier ajoute : "Nous, on a choisi Briefcam car en termes de qualité prix, il nous semblait être le meilleur, il n'y a rien d'autre".

Des logiciels entraînés et moins chers

Présentées comme une véritable révolution technologique, les intelligences artificielles envahissent de plus en plus notre société. Et pour les spécialistes, les algorithmes sont une réelle prouesse technologique : "Dans le cadre des logiciels de vidéosurveillance, elles permettent de collecter de précieuses données, mais c'est l'usage qui est important. En France, on les utilise ces images que sur sollicitations judiciaires", explique Nicolas Arpagian, spécialiste de l'analyse de la cybermenace et vice-président du cabinet HeadMind Partners.

"Il y a de simples caméras qui filment de manière passive ce qui se passe dans le champ de vision. Tandis que les caméras dotées de ce logiciel utilisent l’intelligence artificielle, qui facilitent l'interprétation des images et signale des comportements inhabituels : chute d'une personne, individu à contre-courant dans une foule, acte de violence... Plus le logiciel pratique, plus il est entraîné, plus il apprend et devient performant dans sa capacité de détection", précise ce dernier.

Et si ces logiciels sont achetés à des pays comme Israël ou à des pays d'Asie,"c'est parce que ces pays encouragent ce type de matériels avec des déploiements sur le terrain, en utilisant la reconnaissance faciale. Ils ont acquis ainsi un savoir-faire et une vraie expertise. En France, la loi encadre strictement ces usages. Les Industriels qui ont des retours d'expérience opérationnels ont un avantage commercial. Ils ont donc une certaine volumétrie et des tarifs plus réduits".

Pour l'expert : "Ces technologies sont de plus en plus financièrement accessibles, et leur éventuelle banalisation est un vrai sujet de politique et de choix de société".

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