Tous les Français ont-ils encore confiance en leur police ? Comment préserver ce lien avec ceux dont la mission est d’assurer notre sécurité, alors que leurs pratiques sont parfois remises en question ? Comment réconcilier police et citoyens, c'est le thème de l'émission Enquêtes de Région, diffusé ce soir à 23 heures sur France 3 Normandie.
D'après une enquête Ifop pour Le Figaro, dont les résultats ont été dévoilés en juin 2023, 57% des Français éprouvent un sentiment de confiance et/ou de sympathie à l'égard de la police.
Mais le dialogue reste rompu avec une partie d’entre eux. La police de proximité, démantelée en 2003, pourrait-elle être une solution pour le renouer ?
Pour comprendre comment rétablir cette nécessaire relation de confiance entre policiers et citoyens, nous sommes allés à la rencontre de la police de sécurité du quotidien des Hauts de Rouen, nous avons découvert comment les forces de l'ordre tentent de favoriser les échanges avec les habitants pour agir plus efficacement, et nous nous sommes penchés sur ces Français des quartiers prioritaires qui se sentent laissés-pour-compte.
Près de 60% des Français font confiance à la police...
C'était le 27 juin dernier, à Nanterre. Nahel Merzouk, 17 ans, était tué d'une balle tirée à bout portant par un policier, après un refus d'obtempérer. La goutte d'eau. Commissariats incendiés, mobilier urbain dégradé mais aussi jets de projectiles... Des violences urbaines avaient alors secoué la France, à l'image de celles de 2005, qui avaient suivi la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré.
En juillet, dans le quartier prioritaire de Caucriauville, au Havre, nous avions interrogé des jeunes au lendemain des émeutes. "Beaucoup de personnes ont les nerfs contre la police", dénonçait l'un d'eux. "On peut communiquer, mais est-ce qu’ils vont nous entendre ?", s'interrogeait un autre. Évoquant le sentiment d'abandon de ceux "qui ne rentrent pas dans le moule", leur impression de ne pas être respectés par les forces de l'ordre : "si t'es noir ou si t'es arabe, on t'entend pas."
Lorsque nous arrivons dans le quartier, nous sommes accueillis par Guillaume Gomis. Président de l'association ZEP Élites, une structure qui vise à aider les jeunes à développer leur potentiel, il fait partie des "grands" de Caucriauville. Une présence sécurisante, dont l'expérience rassure.
Le premier soir des émeutes, le maintien de l'ordre a en partie reposé sur ses épaules : alors qu'un attroupement de jeunes cagoulés se forme, il tente d'apaiser la colère des uns et des autres. Par amour pour son quartier, et pour les protéger. "Avec deux, trois amis, on est parti voir des jeunes dans tous les secteurs. On leur a fait comprendre qu'en tant qu'habitants, on ne pouvait pas accepter ça, et que ça ne servait à rien. Ce genre d'événements, on en a vécu, revécu, ça ne mène à rien", affirme-t-il.
On a plus d'autorité sur les jeunes que la police. On les connaît, ce sont nos voisins, nos petits-frères, nos petits-cousins.
Guillaume Gomis
"La première nuit, on n'a pas vu la police", ajoute Guillaume Gomis, évoquant quatre heures à "occuper l'espace" pour calmer les jeunes avant l'intervention des forces de l'ordre, vers 4 heures du matin. "Je pense qu'ils [les policiers] voulaient éviter la confrontation."
Aujourd'hui, chacun espère l’apaisement. Mais dans le quartier résonne l'écho d'un constat implacable : en faisant feu sur un mineur, la police a craqué l’allumette… Et embrasé une partie de la jeunesse française. "Il y a des Nahel partout, qui n'ont malheureusement pas été filmés. Cette histoire a bouleversé toute la France : c'est quand même un policier qui a abattu de sang-froid un mineur", souligne Pekenio. Rappeur originaire de Caucriauville, celui qui se définit en riant comme un "vieux sage du village" s'investit également beaucoup dans l'association de Guillaume Gomis. "On n'a pas de dialogue avec la police. Ils font leur métier. Les hommes qui sont sur le terrain n'ont pas le temps de faire du social."
La nécessité d'instaurer un dialogue
Ce dialogue avec la police, les commerçants de la place Colbert, à Mont-Saint-Aignan, ont pu l'avoir. Le 6 novembre dernier, la municipalité a organisé une rencontre entre les forces de l'ordre et les commerçants pour apaiser le désarroi de chacun. Point de départ de cette réunion publique : lieu de passage, la place Colbert concentre la majorité de la délinquance dans cette commune pourtant cossue de l'ouest de Rouen. Et malgré des patrouilles quotidiennes, la police ne parvient pas, dénoncent les commerçants, à endiguer une insécurité grimpante.
Les plus jeunes, la présence de la police, ils s'en moquent. Quand ils sont une douzaine face à deux agents de police municipale qui interviennent, ils savent qu'ils ne risquent rien.
Romain Pinel, pharmacien
Vols à l’arraché, agressions, deal, dégradations diverses... Les langues se délient sur ces violences quotidiennes. Impuissants, certains commerçants choisissent de prendre les devants. "On n'appelle plus la police pour régler les vols, on les règle nous-mêmes", raconte l'un d'eux. "On interpelle et on appelle les parents - ce sont souvent des mineurs. Lorsqu'on appelle la police, le temps d'intervention dure, ça ne se fait pas dans les quinze minutes. Vous arrivez dans l'heure, dans l'heure et demie. Tenir quelqu'un dans un bureau pendant une heure et demie, c'est long."
Pourtant, il est nécessaire de composer le 17, rappellent les policiers. "Ils se disent peut-être qu'il n'y aura pas de réponse pénale ou judiciaire", analyse Frédéric Walerski, de la brigade de sécurité du quotidien de Mont-Saint-Aignan - Bihorel - Bois-Guillaume. "Mais c'est dommage, parce que nous passons à côté de ces choses-là." "Ils ont conscience des difficultés que l'on rencontre et ne veulent sans doute pas encombrer nos interventions. Mais il faut rappeler que nous avons notre rôle à jouer dans ce genre d'événements. Il faut travailler ensemble", confirme son collègue, David Swiech.
La réunion publique constitue un outil pour la police pour mieux cerner les attentes de la population. "Je suis toujours favorable à ce qui réunit les citoyens avec leur police. C'est important de renouer ce lien : on est police nationale aux côtés des citoyens", relève le commissaire Gautier Delahaye, chef du service de voie publique de l’agglomération de Rouen. "Cela crée une proximité, un échange direct moins solennel et moins formel qu'à l'accueil d'un commissariat de police. Là, on vient dans un univers neutre."
Un retour nécessaire de la police de proximité ?
Cet univers où s'expriment l'inquiétude et la colère joue un rôle de catharsis. Elle humanise les policiers. Elle dévoile l'humain derrière l'uniforme. La brigade de sécurité du quotidien, qui pourrait être l'héritière de l'ancienne police de proximité, y contribue elle aussi. À Rouen, Laurence Vaujois et son collègue Stéphane Martinez patrouillent depuis plus de vingt ans sur le QRR (quartier de reconquête républicaine) des Hauts de Rouen (le Châtelet, la Lombardie, les Sapins, la Grand-Mare et le Vallon Suisse, une zone où la présence des forces de l'ordre est renforcée).
Grâce aux GPO (Groupes de partenariat opérationnel), les deux policiers maintiennent un contact étroit avec les gardiens d'immeubles, les élus, les associations, les chefs d'établissement ou encore les commerçants. Ils font ensuite remonter à leur hiérarchie les informations recueillies et se tiennent disponibles pour répondre aux préoccupations et questionnements des habitants. La proximité est le cœur de leur activité.
On a un échange étroit, et c'est efficace. C'est une police de proximité : on les connaît, ils nous connaissent, s'il y a un problème, on ne le laisse pas dégénérer. Mais lorsqu'ils ne sont pas là et qu'on appelle la plateforme, le 17, là il y a un souci. Ils n'ont pas toujours de véhicules disponibles...
Elhaj Darsif, gardien - Rouen Habitat
Un travail d'autant plus important qu'il a évolué au fil des années. L'arrivée d'une nouvelle délinquance, liée aux réseaux sociaux, et des déplacements plus fréquents entre les quartiers, ont changé la donne. "Quand je suis arrivée à l'époque sur le quartier, il y avait vraiment quatre secteurs. C'était très cloisonné", explique Laurence Vaujois, qui affirme se sentir toujours "respectée" par les habitants du quartier, y compris des jeunes.
"Il arrive qu'un jeune qui a perdu son permis vienne nous voir au commissariat [du Châtelet, ndlr] pour nous demander comment le récupérer. Même s'il est déjà connu de nos services, on le renseigne avec plaisir", souligne quant à lui Stéphane Martinez.
L'incendie de ce commissariat de proximité, lors des émeutes, a toutefois engendré une difficulté supplémentaire pour ces policiers de sécurité du quotidien. Car depuis, les habitants des Hauts de Rouen doivent se rendre au commissariat de Bois-Guillaume. Peu d'entre eux font le déplacement. "Les habitants ont perdu leur commissariat, la Poste, la mairie annexe, la Maison de la justice et du droit...", liste Laurence Vaujois. "C'est énorme. Pour nous, c'est plus compliqué. Il faut toujours garder un lien avec la population. Et le commissariat en faisait partie."
D'ici "trois à quatre ans", les deux policiers mettront de côté l’uniforme. Reste à savoir comment former leurs successeurs, après plus de 20 ans au service d’un quartier prioritaire. "Le but ce serait d'avoir une passation sur du long terme ou du moyen terme, de sorte que la personne puisse apprivoiser la population, les lieux, les partenaires... Et qu'une confiance se crée entre eux, avant que l'on parte à la retraite", conclut Laurence Vaujois.
Enquêtes de Région : Comment réconcilier police et citoyens, présenté par Angèle De Vecchi
Le 22 novembre à 23h sur France 3 Normandie et en replay