Des algues brunes de plus en plus envahissantes sur les plages normandes. Et toujours pas de solution ?

La "sargassum muticum" a fait son apparition en Normandie au milieu des années 70. Et cette algue brune s'y est plutôt bien acclimatée au point d'y proliférer aujourd'hui. Sur la Côte de Nacre, les communes du littoral sont débordées par l'invasion, et cherchent des solutions. Repousser l'envahisseur vers la mer ne suffit pas.

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Sous les pavés la plage, scandait-on en 1968. Mais plus d'un demi-siècle plus tard, c'est sous un épais tapis d'algues que se cache le sable fin. Alors forcément, la carte postale des vacances en prend un coup. Pas de quoi cependant démoraliser certains vacanciers, dont la bonne humeur est déjà mise à rude épreuve par la météo normande des dernières semaines. "Ça peut gêner certains touristes mais moi non. Je fais mon petit footing de temps en temps, je marche sur les algues, c'est un confort. Il y a des petites mouchettes qui s'en vont mais ça me fait moins mal au pied", plaisante un joggeur sur la plage de Bernières-sur-Mer.

Le maire de la commune, lui, a beaucoup moins le sourire. "On n’est pas sur le sujet de la laisse de mer (accumulation par la mer de débris naturels) qui fait vraiment partie intégrante de la vie de la plage et qui participe à la biodiversité", explique Thomas Dupont-Federici, "on est vraiment sur des décrochages massifs d'algues qui font des monticules sur la plage et qui posent plusieurs difficultés, que ce soit économique par rapport à l’attractivité touristique mais aussi sanitaire." En juin dernier, la commune a sollicité les services d'une entreprise de travaux publics pour nettoyer la plage. "Même les chargeuses municipales n’avaient pas la puissance nécessaire pour le faire."

La faute des huîtres

Comme les Antilles, la côte de Nacre est confrontée à une invasion de Sargasses. Pour autant, les algues sont différentes. La "Sargassum fluitans" dans les Caraïbes vit à la surface de l'eau, la "Sargassum Mucum" se développe sur le platier rocheux normand. Il n'en a pas toujours été ainsi comme le suggère son petit nom : La Japonaise. "Elle a été introduite en 1975 avec les naissains d'huîtres", rappelle Anne-Marie Rusig, directrice adjointe de la station de biologie marine de Luc-sur-Mer et enseignante-chercheuse au CREC (Centre de Recherches en Environnement Côtier), "Au départ, elle a été relativement discrète. Au fur et à mesure, les conditions environnementales font que cette algue s’est plu sur nos côtes et se développe (aujourd’hui) de manière très très importante."

Aux premières loges, le maire de Bernières-sur-Mer confirme. "Normalement, à partir de mars, leur croissance démarre. Là, ça a démarré en décembre de l’année dernière." Et de s'inquiéter pour la sécurité des usagers de la plage. "J’ai été témoin la semaine dernière d’une personne qui s’est pris les pieds dans les algues et est tombée à l’eau. Elle a eu des difficultés à s’en dépêtrer. Sa fille est arrivée avant moi pour la secourir. Cette personne était en réelle difficulté."

Un risque sanitaire "très léger"

Le danger le plus redouté (et le plus odorant), c'est l'hydrogène sulfuré dégagé par la putréfaction des algues sur le sable. "Elles représentent un risque sanitaire très léger", tempère Anne-Marie Rusig, bien moins important qu'en Bretagne ou dans les Caraïbes selon la scientifique qui "déconseille" tout de même aux personnes les plus fragiles (les enfants et les personnes âgées) "de se promener à proximité des échouages trop importants".

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La "sargassum muticum" a fait son apparition en Normandie au milieu des années 70. Et cette algue brune s'y est plutôt bien acclimatée au point d'y proliférer aujourd'hui. Sur la Côte de Nacre, les communes du littoral sont débordées par l'invasion, et cherchent des solutions. Repousser l'envahisseur vers la mer ne suffit pas. ©I.Mitanne/G.Louis

L'autre crainte, c'est l'impact de cet envahisseur sur la biodiversité du littoral normand. Là encore, la réalité est contrastée, selon la directrice adjointe de la station de biologie marine de Luc-sur-Mer. Si la faune peut y trouver un abri, la flore, elle souffre davantage. "Ces sargasses forment des tapis très très denses qui nuisent à la flore déjà présente sur le platier, il y a une concurrence par rapport à la lumière, la lumière ne peut pas pénétrer."

Le syndrome de la patate chaude

Pas question pour autant de rester les bras croisés. "Toutes les communes de la côte utilisent des engins pour repousser ces algues en mer mais c’est insatisfaisant parce que Courseulles renvoie les algues qui arrivent à Bernières que nous repoussons vers Saint-Aubin qui repousse vers Langrune", déplore Thomas Dupont-Federici, le maire de Bernières-sur-Mer, qui a sollicité l'aide des services de l'Etat. Une aide financière, tout d'abord, pour repousser l'envahisseur, à l'instar du fond Sargasse dont bénéficient les Antilles. "On cherche aussi des solutions avec l’Etat pour traiter le problème en amont et pour que ces algues ne soient plus considérées comme un déchet mais bien comme une ressource."

L'un des débouchés envisagés, c'est l'agriculture. À l'autre bout du département, la commune de Grandcamp-Maisy a donné quelques idées à monsieur le maire. "Depuis des années, ils collectent ces algues, les font sécher et ensuite elles sont épandues à travers les champs." Thomas Dupont-Federici a déjà évoqué le sujet avec certains de ses administrés. "Ça se faisait auparavant. Ils ne sont pas contre le refaire. Mais dans des conditions qui ne dégradent pas la terre. On a déjà fait des études en laboratoire pour savoir quelle était la qualité de ces algues et le niveau de salinité n’est pas très important. Il serait donc possible d’envisager ce type d’épandage."

Le plastique, c'est fantastique ?

L'autre piste envisagée par le maire de Bernières-sur-Mer, c'est la création d'une filière industrielle. "Le plastique, plutôt que d’être fait à base de produits pétroliers, peut être fait à base d’algues. Et pour l’instant, la filière manque d’algues. Alors que nous, on en a énormément." Une hypothèse loin d'être farfelue. "Il y a eu des travaux qui ont été réalisés sur la valorisation de ces algues brunes. Il y a des pistes intéressantes avec des biostimulants ou des bioplastiques qu’on peut faire avec ces algues", confirme Anne-Marie Rusig. "Mais la valorisation ne peut se faire qu'avec des algues qui sont en pleine eau et non pas des algues en décomposition", prévient la scientifique. Le Centre de Recherches en Environnement Côtier (CREC) a donc entamé des négociations avec les affaires maritimes afin de pouvoir récolter ces algues en pleine mer.

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