L'objet qui appartenait à la maison de retraite Saint-Joseph de Livarot est un petit morceau d'histoire. C'est sur cette table que fut soigné le maréchal Rommel en juillet 1944. Le Mémorial de Caen va pouvoir en disposer grâce à l'intervention d'un mécène.
Cette table ronde en bois sombre avec ses pieds sculptés ne ressemble guère au mobilier fonctionnel qu'utilisent aujourd'hui les maisons de retraite. L'époque est l'ergonomie, au métal, au bois aggloméré. À l'Epahd Saint-Joseph de Livarot, elle était d'ailleurs au rebus. "C'est une table assez basse. Elle n'est pas adaptée à la vie des résidents. Elle nous encombrait plus qu'autre chose", reconnaît Claude Mèdes, la directrice de l'établissement.
Après-guerre, elle avait d'ailleurs été cédée à une famille de Livarot. L'Epahd Saint-Joseph en a retrouvé la trace un peu par hasard, par le biais d'une résidente, en 2015. Le directeur d'alors décide de l'acheter. C'est lui qui a fait poser une plaque de laiton sur laquelle est écrit : « Sur cette table de l’asile Saint-Joseph de Livarot, le 17 juillet 1944 fut soigné le Generalfeldmarschall Erwin Rommel »
Un tournant dans la Bataille de Normandie
"C'est un objet en rapport avec un épisode important, raconte Christophe Prime, le responsable des collections du Mémorial de Caen. Quand Rommel a été blessé, le principal officier allemand était mis hors-jeu. Ce fut une bénédiction pour les Alliés".
Le 17 juillet, un Spifire repère un véhicule ennemi qui roule à très vive allure sur la route de Sainte-Foi. Il est seul. Deux chasseurs sont chargés de "traiter" la cible. Les pilotes ignorent évidemment qu'ils mitraillent la voiture de Rommel. Le Generalfeldmarschall est grièvement blessé au visage. Son chauffeur a l'épaule arrachée.
À Livarot, l'asile Saint-Joseph a "évacué les vieillards" en des lieux plus sûrs. Les bombardements incessants apportent chaque jour leur lot de blessés. Ce 17 juillet 1944, "vers 5 heures de l'après-midi, gradés allemands et soldats foncent dans l'hospice en criant Grand malheur, on apporte ensuite le Maréchal Romel (sic) sans connaissance, raconte la soeur Marie de la croix dans un témoignage écrit après-guerre. Le maire qui était médecin me fait faire une piqûre d'huile camphrée, puis une seconde. Le blessé toujours sans connaissance est transporté sans confort vers l'hôpital militaire de Bernay".
Les passionnés d'histoire, les historiens, les musées : tout le monde voulait la "table de Rommel"
(Reportage de Rémi Mauger et Mathieu Bellinghen)L'été dernier, nos confrères de Ouest-France on raconté l'histoire de cette table. L'article précisait que l'Epahd ne savait trop qu'en faire. "On a ensuite été assailli de demandes. On a eu des propositions d'achats de tous ordres, des manifestations d'intérêt de plusieurs musées, des demandes de passionnés de la seconde guerre mondiale, d'historiens, explique Claude Mèdes. Nous souhaitions qu'elle reste en Normandie, et qu'elle soit accessible au public".
#WWII #DDay Une nouvelle acquisition est sur le point de compléter nos collections : la table sur laquelle le maréchal allemand Erwin Rommel fut soigné pendant la Bataille de #Normandie pic.twitter.com/YISvcBmWKh
— Le Mémorial de Caen (@CaenMemorial) November 15, 2019
"Grâce au financement de Robert Halley, ancien conseiller régional de Basse-Normandie, ancien vice-président et directeur général de Promodès, la table normande va rejoindre les collections du Mémorial de Caen", annonce le musée. Où sera-t-elle exposée ? "C'est encore en réflexion, reconnaît le responsable des collections. Peut-être dans le hall, avec une notice explicative."
"Tous les musées sont à l'affût de ce genre de pièce, poursuit Christophe Prime. On se rend compte que les gens sont de plus en plus sensibles à l'objet authentique, qui raconte quelque chose". La table sur laquelle fut soigné Rommel est un témoin de son temps. Combien d'autres victimes fuerent couchées sur ce bois sombre pour y recevoir les premiers soins. Que de larmes cette table a-t-elle vu couler... Dans son témoignage, la soeur Maris de la croix est encore hantée par le souvenir de cette maman apportant "sa petite fille dans son tablier, la cervelle répandue. Et combien de jeunes me sont mlorts dans les bras au cours de leurs soins..."