Un producteur de cidre garde ses terres grâce à un financement citoyen : "Sinon, j'aurais dû m'endetter jusqu'à la fin de ma carrière"

Pour racheter et "sécuriser" les 15 hectares de vergers qu'il loue à Cambremer, Antoine Marois a fait appel à une société foncière. Des particuliers de toute la France désireux de "garder un lien avec la terre" investissent à sa place. C'est un modèle novateur "qui a du sens à notre époque".

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Il est une de ces figures qui contribuent à redonner ses lettres de noblesse au cidre de Normandie. Depuis qu'il s'est installé à Cambremer, Antoine Marois explore, invente. Il a développé des cuvées parcellaires en s'inspirant de ce que font les vignerons. Son travail est pointu. Ses bouteilles séduisent les critiques et quelques grands chefs.

Antoine Marois a beau s'être fait un nom, le cidre demeure un "marché de niche" et l'entreprise doit toujours calculer au plus juste. "J'ai repris la ferme familiale en 2016 en achetant quelques terres. J'en ai racheté d'autres en 2021. Aujourd'hui, il reste 15 hectares de vergers que je loue et qui appartiennent encore à ma grand-mère et à ses enfants". Le moment semblait venu de "sécuriser" ces terres pour que l'exploitation reste d'un seul tenant.

Les terres ont un coût. Le prix du foncier agricole grimpe lentement et sûrement, année après année. "Je veux conserver ces terres où j'ai planté des pommiers qui arrivent à maturité, mais il faut aussi que je fasse des choix. Je dois investir pour moderniser mon outil de production. J'ai par exemple un nouveau bâtiment à faire construire".

Une communauté de 8000 investisseurs

Pour garder la main sur cette terre précieuse sans toucher à sa trésorerie, Antoine Marois a fait appel à une société foncière, une jeune start-up qui ambitionne de "reconnecter les particuliers avec les agriculteurs soucieux de bien faire".

Hectarea s'appuie sur "une communauté de 8000 particuliers". L'un des fondateurs de cette entreprise basée à Bordeaux est lui-même fils d'agriculteur. "Nous sélectionnons soigneusement les dossiers en privilégiant une agriculture qui a du sens, qui respecte l'environnement et qui est rémunératrice", explique Paul Rodrigues. "On donne la possibilité aux gens d'acheter la terre. Le ticket d'entrée est de 500 euros. En moyenne, les gens investissent entre 1000 et 2000 euros".

La société prélève un pourcentage sur les transactions. Depuis le début de l'année, Hectarea a ainsi levé un million d'euros pour acheter des terres. "On prend le foncier et on fait un bail rural. Les investisseurs perçoivent un loyer. On donne ainsi la possibilité aux agriculteurs concernés d'exploiter sur le long terme". Une clause prévoit aussi que les exploitants puissent un jour acheter ce foncier. L'investissement est peu risqué : le prix de la terre ne baisse pas.

Dans le Pays d'Auge, la concurrence des haras

Au mois de novembre, l'entreprise a ouvert une campagne de financement pour acheter les 15,4 hectares de verger dont Antoine Marois est encore locataire. "Cela permet à ma famille de se libérer de cette terre. Moi, je peux conserver ma trésorerie pour continuer à investir. Pour racheter ces terres aujourd'hui, j'aurais dû m'endetter jusqu'à la fin de ma carrière".

Hectarea n'a pas inventé le financement citoyen de l'agriculture. L'association Terre de liens propose déjà à des particuliers d'acheter des terres pour "installer une nouvelle génération paysanne sur des fermes en agriculture biologique".

Le modèle d'Hectarea est moins philanthropique, mais il témoigne de la difficulté qu'ont les agriculteurs à se rendre maîtres de leurs terres, surtout lorsqu'ils veulent échapper à un mode de production intensif. "C'est un vrai problème pour les agriculteurs. Il leur est parfois difficile d'accéder à des prêts bancaires", soutient Paul Rodrigues qui assure recevoir "trois ou quatre demandes de financement chaque jour". Sa société a soutenu huit projets cette année.

Dans le Pays d'Auge, l'accès à la terre est rendu compliqué par le développement des haras où sont élevés les chevaux de course "On a ici des prairies de qualité très convoitées. Les haras appartiennent à des investisseurs puissants et les agriculteurs ne peuvent pas rivaliser", observe Antoine Marois. Après un mois de campagne, 114 investisseurs ont été séduits par ses vergers. Le financement est déjà presque bouclé. "Pour moi, c'est très sécurisant".

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