Créateurs de jeux, distributeurs et boutiques spécialisées s'associent au niveau local pour faire face à l'augmentation du coût du papier et du carton.
Mathieu Roussignol le reconnaît volontiers : ses jeux de société sont un brin chauvinistes. "Je travaille à Hérouville-Saint-Clair, mon hangar de distribution est à Bretteville-sur-Odon, six éditeurs normands figurent parmi mes clients et mon jeu "Terre pirates" est illustré par un aquarelliste de Garcelles-Secqueville”, expose l'éditeur et distributeur de jeux de société.
Son dernier-né, Bataille pour un donjon, n'a pas dérogé à cette production "made in Normandie". Le jeu de stratégie, sorti le 1er juillet 2023, a été développé à Biéville-Beuville, près de Caen (Calvados), preuve que le jeu de société se porte bien dans la région.
Pourtant, le secteur est frappé de plein fouet par l'inflation, alors que le prix du papier et du carton s'envole (+ 30%) et que le budget "ludique" des Normands dégringole. Pour se distinguer et garder le cap, Mathieu Roussignol a opté pour un développement ultra-local. Une stratégie qui semble payer.
Une cohésion régionale dans un secteur fragilisé
À Noël, près d'un jouet sur cinq était un jeu de société. Porté par des sociétés françaises comme Asmodée, Dujardin, Bioviva, l’hexagone est devenu le premier marché européen. Mais derrière cet apparent essor, la pandémie de covid-19 a fragilisé les petits éditeurs et magasins indépendants.
“Les industriels ont vu leur chiffre d'affaires augmenter de 30 % ou 40% avec le covid. Mais ça a été plus dur pour les petits distributeurs comme moi, qui ne pouvaient plus bénéficier des salons et des rencontres pour présenter leurs jeux. Les effets s'en font encore sentir", relève Mathieu Roussignol.
Dans le même temps, le milieu du jeu de société est devenu ultra-concurrentiel. De 800 nouveaux jeux par an, ce sont désormais 1 500 à 2 000 créations qui viennent renforcer l’offre existante. Difficile dès lors pour les boutiques indépendantes de Normandie, confrontées au manque de place et à l'inflation, d'exister face aux mastodontes de l’e-commerce. Face à ces constats, le milieu ludique normand a décidé de se serrer les coudes.
Une synergie entre maisons d’édition et magasins spécialisés
Pour remédier à cette précarité, Mathieu Roussignol a misé sur un développement local. Plus d'un tiers de ses clients se trouvent ainsi en Normandie. "Nous avons des rapports privilégiés : je suis un peu le gars du coin", expose l'intéressé.
Au magasin Ô bon joueur, à Avranches (Manche), Céline Mourlon n'a pas hésité à accorder sa confiance à Mathieu Roussignol : "Avoir un auteur local, c'est un vrai plus. La clientèle apprécie et ça nous permet d'organiser des rencontres et des dédicaces".
"Nous relevons tout juste la tête du covid et l'inflation vient rogner le budget ludique des Français. Dans le même temps, le nombre de nouveaux jeux a explosé. Ça nous oblige à viser juste dans nos commandes et le local peut être un gage de confiance".
Céline Mourlon, responsable du magasin de jeu "Ô bon joueur", à AvranchesFrance 3 Normandie
Au-delà de la proximité géographique, la collaboration permet à Mathieu Roussignol de bénéficier de "retours terrain" sur ses jeux. Céline Mourlon a même investi dans les précommandes "test" de sa dernière création. Un engagement fort pour la petite boutique indépendante, qui choisit avec parcimonie son offre.
Et le parti pris semble fonctionner : le chiffre d'affaires de "Roussignol Editions" a connu une belle embellie pour atteindre les 100 000 euros début 2023. Le magasin de Céline Mourlon a, lui, vu ses ventes augmenter en 2022 et 2023.
Un pool de créativité en Normandie
Si, en Normandie, l'unité semble faire la force, encore faut-il pouvoir développer une identité propre. "On mise sur des jeux d’ambiance à moins de 25 euros et des graphismes très soignés, qui capitalisent sur les talents locaux", expose l'éditeur.
“Beaucoup de grands éditeurs viennent de Normandie, il y a un vrai pool de créativité et une professionnalisation du secteur”.
Mathieu Roussignol
Pour protéger le dynamisme du milieu, l’Assemblée nationale travaille de son côté sur un texte de loi qui permettrait de faire accéder le jeu de société au statut d'objet culturel. Une mesure qui entraînerait un abaissement de TVA de 20% à 5,5%. De quoi limiter l'envolée des prix et de protéger le terreau normand du jeu de société.