Une cérémonie était organisée ce jeudi 27 octobre à Ouistreham en l'honneur de Léon Gautier, non loin de la plage où celui-ci a débarqué le 6 juin 1944. Le dernier survivant du commando Kieffer vient tout juste d'avoir 100 ans.
"Fallait bien qu'il y ait un dernier. C'est tombé sur moi. C'est pas le pot. Parce que j'ai toutes les corvées. La preuve !", confiait dans un grand éclat de rire Léon Gautier à un journaliste venu l'interviewer à la veille du 77e anniversaire du Débarquement. Un an plus tard, le dernier survivant du commando Kieffer n'a rien perdu de son humour. Ce jeudi 27 octobre, ils sont nombreux à l'entourer sur la plage de Ouistreham où il a débarqué un 6 juin 44 pour célébrer son 100e anniversaire. Une cérémonie de plus au compteur. Un nouvelle corvée ? "Je ne sais pas, c'est la première fois que ça m'arrive !", déclare dans un grand éclat de rire le tout juste centenaire. "C'est une journée comme une autre", assure-t-il dans un premier temps, avant d'ajouter : "Mais je n'aurais jamais cru y arriver ! Si on m'avait dit ça étant jeune, j'aurais répondu : Ne vous moquez pas de moi !"
Léon Gautier n'a pas encore 17 ans quand la guerre est déclarée. Très vite, le jeune homme natif de Rennes cherche à s'engager. "J'étais patriote, on sortait de la première guerre mondiale, on ne pensait pas du bien des Allemands, on les appelait les Boches. Mon père, mon grand-père, étaient des anciens de la première guerre mondiale. on avait la haine des Allemands, pas que d'Hitler." Engagé dans les fusiliers marins, l'apprenti canonnier embarque à bord du cuirassé Le Courbet, en février 1940. C'est le dernier navire à quitter les côtes françaises. Lorsque sonne l'heure de la défaite, les officiers choisissent de mettre le cap sur l'Angleterre. "On nous a mis dans un camp à Sheffield, près de Liverpool. Là, j'ai appris que le général De Gaulle formait une armée et qu'il recrutait des volontaires. Bien sûr, je me suis engagé."
"Tout le monde est parti"
Trois ans plus tard, Léon Gautier se porte à nouveau volontaire. Après avoir écumé la mer du Nord, l'Atlantique, effectué des missions en Afrique, au Liban, il "entend dire" que les Britanniques cherchent des hommes pour intégrer les commandos. Il sera l'un des 177 Français du 1er bataillon de fusilliers marins de la France libre (intégrés au sein du 4th Special service brigade), le commando Kieffer du nom de son commandant, Philippe Kieffer.
Après des mois d'entraînement en Angleterre, il est l'heure pour Léon Gautier et ses frères d'arme d'embarquer à nouveau pour revenir en France. "Kieffer nous a rassemblé avant le départ et nous a dit : "Messieurs vous connaissez les plans, vous savez ce qui vous attend, il n'y en a peut être pas une dizaine d'entre vous qui reviendront intacts. Celui qui ne veut pas partir, qu'il vienne me voir. Je ne lui en voudrais pas." Tout le monde est parti." Le commando français fait partie de la première vague des libérateurs et débarque à 7 h 55 sur la plage de Colleville-Montgomery, direction la commune voisine de Ouistreham. Deux objectifs leur sont assignés : s'emparer du port et du casino de Riva-Bella. "En moins de quatre heures, nous avons libéré 1,8 km de plage."
Pour le commando Kieffer, la tâche est encore longue. La Bataille de Normandie vient tout juste de commencer. "On est quand même resté 70 jours en première ligne sans relève. Ça, on n'y croyait pas. On est monté jusque dans l'Eure. A la fin de la campagne, on était 24 à ne pas être blessés." Léon Gautier finit par rentrer en Angleterre pour épouser Dorothy Banks, rencontrée en 1943. Les deux jeunes époux se promènent le 8 mai 45 quand ils apprennent la nouvelle. "On s'est mis à pleurer, comme des gosses. C'était une journée formidable pour nous. On avait gagné la guerre. On allait rentrer chez nous."
Un retour difficile à la vie civile
Le retour en France s'avère pourtant difficile. Et c'est outre-Manche que Léon Gautier renoue véritablement avec la vie civile. "J'étais carrossier. Comme je ne trouvais pas à me loger en France, je suis retourné en Angleterre. J'ai été très bien accueilli, très bien logé. J'ai travaillé sept ans là-bas. Je suis arrivé avec ma caisse à outils. Et je suis ressorti chef d'atelier. J'avais les anglais sous mes ordres", se souvient le vétéran, "Faut du courage quand même. Tous mes copains, comme moi, on s'est retrouvé autant de courage pour reprendre la vie civile et y arriver que pendant la guerre. On avait l'esprit de conquérant qu'on avait pendant la guerre. On l'a retrouvé."
C'est au début des années 90 que Léon Gautier a retrouvé Ouistreham, pour y couler une retraite paisible aux côtés de son épouse. "Avec toutes les invitations aux cérémonies du D-Day, ma femme m’a dit que ça serait bien d’habiter sur place", a-t-il raconté à nos confrères de Liberté. Et pourtant les survivants du commando Kieffer n'ont pas toujours été mis à l'honneur. "La reconnaissance, elle est venue tardivement pour tous les engagés de la France Libre", nous expliquait il y a quelques années le vétéran, "Le général de Gaulle préférait évoquer le Débarquement en Provence plutôt que sur les côtes normandes. Je crois qu'il ne digérait pas de ne pas avoir été averti. Je savais avant lui où on allait débarquer en France. Sur ce coup, les Britanniques ont un peu manqué de diplomatie..."
"Un message de paix et de liberté"
Ce jeudi 27 octobre, famille, préfet et élus locaux étaient rassemblés autour de Léon Gautier pour lui rendre hommage en ce jour anniversaire. "C'est un symbole parce qu'il a traversé, un peu comme la reine Elizabeth, ce XXe siècle qui a été difficile, douloureux, mais qui a vu la paix sur le continent européen et il a été aussi dans une volonté de toujours transmettre ce que lui et ses frères d'arme avaient voulu porter le 6 juin 44, un message de paix et de liberté", a salué Romain Bail, le maire de Ouistreham.
Quelques années plus tôt, l'image de son étreinte avec son ami allemand Johannes Borner avait profondément marqué les commémorations du 70e anniversaire du Débarquement. "La paix, il faut tout faire pour la garder. Il y a des pères de familles qui meurent, des veuves et des enfants qui pleurent, des mères qui pleurent leur fils. La guerre, c'est pas beau, que ce soit d'un côté ou de l'autre. Faut pas oublier que l'ennemi vit la même chose. Ils ont des familles eux aussi", nous confiait Léon Gautier, "La guerre, c'est tuer des gens. Et tuer des gens, ce n'est pas un plaisir. Moi, quand ils se rendaient, j'étais content." Léon Gautier n'aime pas qu'on dise de lui qu'il est un héros. Il estime simplement avoir fait son devoir. "J'habite à 800 mètres d'où j'ai débarqué. Je suis très content de voir les enfants jouer et s'ébattre sur la plage en toute liberté. Ça me fait plaisir."