Pedro Martin avait 95 ans. C'était une figure de la résistance, qui sillonnait les classes de la région pour témoigner. Il racontait sa déportation puis sa libération, deux ans plus tard. En 1955, il décide de s'installer à Falaise et devient l'un de ceux que l'on n'oublie pas.
"Pedro ? C'était un homme courageux, dévoué, toujours prêt à rendre service. Il avait des convictions fortes et les défendait coûte que coûte", nous raconte Yvonnick Tarban, qui a longtemps côtoyé Pedro Martin, en tant que conseiller municipal de Falaise."C'était un homme passionné et passionnant. Il était entier. Il avait un sacré caractère. C'était un révolutionnaire dans l'âme. Et c'est ce qui faisait toute la beauté du personnage", explique Jean-Pascal Auvray, qui lui a consacré un livre.
"C'était comme un père pour moi", confie son voisin Marc Pasquier, professeur :
Il prenait beaucoup de plaisir à transmettre son histoire aux jeunes, mais depuis quelques temps, il faisait des cauchemars, ça le remuait trop et puis il me disait, "je ne vais pas me mettre à pleurer devant les gosses.
Le @Prefet14 a appris avec tristesse la disparition de Pédro MARTIN, grande figure de la #Resistance, inlassable messager de la #memoire et engagé depuis des années auprès des jeunes générations.
— Préfet du Calvados (@Prefet14) April 29, 2020
Toutes nos pensées vont vers sa famille et ses proches.https://t.co/X85n9iv28D pic.twitter.com/DtoFN2Gonj
Résistant et déporté pendant deux ans
Pedro Martin a grandi dans la banlieue rouge d'Aubervilliers, dans une famille espagnole qui a fuit le régime de Franco. Il se forme pour devenir tôlier chaudronnier, lorsqu'éclate la guerre."Très tôt, il a baigné dans les idéaux communistes, mais attention dans ce que ce mouvement a de mieux. A ne pas confondre avec le régime Stalinien" précise Jean-Pascal Auvray.
Il s'engage dans la résistance par l'intermédiaire de son cousin et de son oncle, qui seront fusillés tous deux en avril 1942. Pedro Martin l’apprendra bien plus tard ... à son retour de captivité.
Lui sera arrêté en avril 1943, après avoir partipé à des vols et des sabotages dans les entrepôts allemands. Il subit, pendant cinq jours, de violents interrogatoires de la Gestapo qui lui brise la mâchoire et le crâne. Il est ensuite déporté au camp de Sachsenhausen, en Allemagne. Il a alors 17 ans.
Lorsque nous l'avions rencontré, en 2015, il se souvenait de cette phrase, prononcée par un SS : "Vous êtes entrés par la porte, vous en ressortirez par la cheminée"
Pendant deux ans, il va s'affaiblir. "Avec un litre de rutabaga et un quart de pain par jour, on tombe", disait-il alors.
Son témoignage recueilli par Gildas Marie et Elise Ferret en 2015
La libération en 1945
En Mars 1945 : Il est transféré dans un revier, un baraquement pour les malades : "Des personnes agonisaient, appelaient leur mère. Je vomissais du sang. Je me croyais foutu", confiait-il en 2015.
Sa vie ne tiendra qu'à un fil et à une main tendue ... celle de son camarade José, un cuisinier, qui lui donnera quelques tartines de pain pour survivre.
L'armée rouge russe libère le camp le 22 avril. "Il a vu l'héroïsme de ces soldats, qui ont été les premiers à le traiter comme un homme. Et il a toujours admiré le peuple russe, pas le régime mais bien le peuple.
Il regrettait d'ailleurs que leur rôle ait été minoré, surtout ici en Normandie, lors des commémorations. 25 millions de russes sont quand même morts pendant ce conflit", précise le professeur d'histoire, Jean-Pascal Auvray
A son retour en France, "son état de santé est préoccupant", précise Yvonnick Tarban. Il effectue plusieurs séjours à l’hôpital de la Salpétrière et à Bichat à Paris en novembre 1945". Il retrouve alors son père, qui le croyait mort.
Pedro Martin souffre de problèmes pulmonaires qui l'amèneront jusqu'en Suisse. Il se marie en 1949, mais fait une rechute cinq ans plus tard. Son médecin l'envoie dans un sanatorium et l'invite à quitter la région parisienne.
1955 : Pedro Martin ouvre un restaurant à Falaise et témoigne
Et c'est ainsi qu'il arrive à Falaise, où il ouvre un restaurant routier, avec son épouse Lucette. Il devient alors un "messager de la mémoire", disait il.
"Comme beaucoup de résistants que j'ai rencontré, il est passé de l'espoir sous l'occupation d'un monde meilleur, à la désillusion. Il avait l'impression que son combat n'était pas allé jusqu'au bout.
Quand je lui disais qu'on était en grève au collège, il me répondait, il faut faire la révolution. Il aspirait à plus d'humanisme", explique Jean-Pascal Auvray
Depuis sa retraite en 1975, Pedro Martin va mettre un point d'honneur à témoigner en se rendant dans les collèges et lycées de la région.
"Pour lui, c'était très important de témoigner auprès des jeunes générations. Il aimait partager ses expériences, ses souvenirs de jeunesse, ses voyages. Souvent des cauchemars, liés à son séjour en camp de concentration, hantaient ses nuits !" explique Marc Pasquier.
Pedro Martin avait accepté de raconter son histoire, qui est diffusée au Mémorial des civils dans la guerre, à Falaise.
"Je l'ai un peu tanné pour écrire ce livre. D'un côté, il avait conscience que l'expérience qu'il a vécue dans les camps était impossible à transmettre. Les gens pouvaient difficilement s'imaginer leur souffrance. Mais de l'autre, il était angoisée par l'idée que ces souvenirs là disparaissent, qu'on oublie le sacrifice de tous ceux qui sont morts. Il ne témoignait pas pour lui, mais pour rendre hommage à tous ses copains, qui avaient 17, 18 ans comme lui et qui ne sont jamais revenus. " Jean-Pascal Auvray.
Marc Pasquier lui rendait visite régulièrement, à la résidence des Coquelicots puis à l'hôpital, où il avait été admis. "Lucide jusqu'à la fin, il était très intéressé pour suivre et commenter l'actualité. J'ai été très content et souvent ému de croiser son chemin".
Son témoignage dans le livre ""C'ETAIT LA NUIT" : "Quand la voix des survivants s’éteindra"
le 14 juillet 2011 : Pedro Martin reçoit la Légion D'Honneur pour son engagement et la transmission de la mémoire.En 2014 : Parution de son livre "C'ETAIT LA NUIT", une série d'entretiens, réalisée par les professeurs d'histoire, Jean-Pascal Auvray et Anne Guellec. Editions les cahiers du temps.
Extrait du livre "C'était la nuit", texte de Pedro Martin
Quand la voix des survivants s’éteindra, le souvenir des atrocités commises par l’espèce humaine s’effacera inéluctablement. L’être humain reprendra son parcours tumultueux animé par des prétextes de toutes sortes afin de leur donner une justification.
Le choc des espèces continuera à se produire et d’autres massacres, voire génocides, se manifesteront. Sont-ils nécessaires à la régénération de l’espèce ?
C’est la question qui se pose au regard des guerres à répétitions, avec des moyens de plus en plus perfectionnés. La masse humaine augmentant, les moyens destructifs sont plus puissants. Le vaisseau planétaire sur lequel nous naviguons ne pourra plus supporter ces milliards de monstres bipèdes, prédateurs prêts à s’entretuer et finir de détruire ce qu’ils auront détériorés jusqu’à ne plus pouvoir survivre suite aux cataclysmes déclenchés. Dieu tout puissant n’y pourra rien et les philosophies de toutes sortes encore moins !
Quatre milliards d’années nous transportent. Combien de civilisations ont été englouties ? L’ère de JC se termine.
Je ne veux pas jouer les devins mais les évènements parcourus depuis des millénaires nous amènent à une civilisation moderne dont l’avenir détruira le proche futur.
Loin de ma pensée l’idée de noircir le tableau, car au regard des massacres commis au cours de la Seconde guerre mondiale, nous pensions que jamais l’humain ne recommencerait de telles horreurs. C’est faux ! les conflits ont continué avec leurs monstruosités cachées ou passées sous silence. La constatation des faits est criante et il est aujourd’hui inutile de vouloir tromper l’espèce à laquelle nous appartenons. La marche destructive est enclenchée, rien ne l’arrêtera et sa rapidité s’accentuera. C’est l’analyse que je fais de mon passage sur cette terre que je ne crains pas de quitter.
Avant de partir, je voudrais laisser ce message qui me brûlait l’esprit sans savoir à qui l’adresser ! Je le dépose devant votre porte avec mes sentiments de profonde estime à votre égard. Peut-être penserez-vous que je suis fou … pas tant que ça, vous verrez !
Sincérement à vous