"Ce serait le premier film retrouvé de l'écrivain", soutient Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur québécois. D'après lui, 80 % des films muets ont été perdus à jamais. Mais comment être certain qu’il s’agit bien de Marcel Proust, l'auteur amoureux de Cabourg et de Trouville-Sur-Mer ?
Regardez cette vidéo à la 37ème seconde : Un homme en redingote à la silhouette svelte, petite moustache noire sur un visage ovale surmonté d'un chapeau melon, descend les marches de l'église de la Madeleine. Ce "spectre" qui passe, c'est Marcel Proust, âgé de 33 ans, affirme Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur à l'université de Laval, à Québec.Jusqu’à maintenant, on ne connaissait aucun film avec Marcel Proust, seulement des photographies
Un film de 1904, connu depuis longtemps
D'après le chercheur canadien, l'auteur d'"A la recherche du temps perdu" figure bien dans ce film 35mm datant du 14 novembre 1904 , déposé aux archives de Bois-D'arcy (Yvelines), et déjà diffusé sur ARTE.Le film muet présente le mariage d'Armand de Guiche, un ami proche de Proust, et d'Elaine Greffulhe, la petite-nièce de Robert de Montesquiou, le principal modèle de Charlus. Nous sommes dans le monde des Guermantes, univers fait d'apparât et de richesse.
D'après cet article, paru dans Libération, dès 20O3, des "proustiens transis font le trajet de Bois-d'Arcy rien que dans l'espoir de reconnaître le romancier sur ces images tremblantes", car sa présence à ce mariage était attestée.
Mais est-ce bien lui ?
Jean-Pierre Sirois-Trahan explique sa découverte dans le dernier numéro de la Revue d'études proustiennes (Classiques Garnier). Dans sa thèse, ce professeur, spécialiste de cinéma, fait état de plusieurs éléments concordants :
- La ressemblance physique entre l’homme de l’image et les photographies que l’on connaît de l’écrivain. On sait aussi qu’il s’y est rendu seul, comme l’homme qui descend les marches.
- Ses vêtements seraient également caractéristiques de « la façon singulière qu’avait Proust de se vêtir à cette époque ». A la différence des autres hommes, coiffés pour l’occasion d’un haut-de-forme et habillés d’une jaquette, l’homme porte un chapeau melon et un pardessus gris perle. Ces deux « fautes » mondaines correspondent à la tenue habituelle de l’écrivain, telle qu’elle est évoquée dans des archives écrites de la même période.
- Il descend l'escalier rapidement et non accompagné. Pour l'universitaire "on peut deviner là chez Proust une façon artiste de se démarquer, d'affirmer sa singularité".
Qu'en pense Jean-Yves Tadié ?
Dans le Monde, le grand spécialiste de Marcel Proust, Jean-Yves Tadié, qui a dirigé l’édition en Pléiade de La Recherche, est enthousiaste. « Ces images correspondent aux portraits que l’on connaît de lui, y compris dans sa manière de mal s’habiller », s’amuse-t-il.
« J’ai été très ému de découvrir cette archive, car c’est la première fois que l’on voit Proust en mouvement », confie le spécialiste, qui s’étonne par ailleurs que l’on n’ait jamais découvert Proust dans des images d’actualités.
« La dernière chose qui nous manque, maintenant, c’est sa voix, ajoute-t-il. Mais cela prouve en tout cas qu’il y a toujours des choses à découvrir, et peut-être que d’autres trésors dorment dans des films de famille. »