Comme un rempart à une pénurie grandissante, les médecins libéraux à la retraite sont nombreux à poursuivre leur activité en Normandie. Si aucune limite d'âge ne les contraint à l'arrêt, les praticiens ont toutefois le devoir de se former pour continuer à exercer. Dans l'Eure, un médecin à la retraite a été interdit d'exercer.
Il ne s'attendait pas à essuyer un refus en proposant de reprendre du service. Après neuf ans sans exercer, Bernard Smaja, médecin généraliste de 74 ans à la retraite, voulait s'installer au centre de santé de Courcelles-sur-Seine en Normandie, pour "dépanner la commune". À la suite de son audition au mois de juillet, le conseil départemental de l'Ordre des médecins de l'Eure a pourtant jugé qu'il n'était plus en mesure de travailler.
La formation reste obligatoire
"Ce n’est pas une question d’âge, mais d’arrêt d’activité, argumente Philippe Mauboussin, président du conseil départemental de l'Eure. Les connaissances et les techniques s’évaporent, c'est un métier technique. Si un pilote n'avait pas volé pendant neuf ans et reprenait du service sans formation, vous monteriez dans l'avion ?".
Le jury a déploré une absence de suivi de formation continue "en dehors de la lecture d'articles médicaux sur le Net". Un manquement à l'article 11 du code de déontologie des médecins qui les oblige à se former tout au long de leur carrière : "Tout médecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel continu".
Une décision que regrette le maire, Joël Le Digabel, qui peine à trouver des médecins pour remplir les deux cabinets vides de la nouvelle maison de santé communale. "On a des milliers d'habitants qui n'ont pas de médecin sur notre territoire. C'est vraiment dommage".
Pas de limite d'âge officielle
Pour pallier le manque de praticiens, les médecins généralistes libéraux sont de plus en plus nombreux à exercer après l'âge légal de départ à la retraite. Selon l'INSEE, la Normandie compte 294 médecins pour 100 000 habitants au 1er janvier 2023, contre 331 ailleurs en France.
La proportion de médecins généralistes libéraux actifs de plus de 60 ans atteint 34,2 % (source : RPPS), majoritairement dans les départements de l'Eure et de l'Orne. Un chiffre légèrement en dessous de la moyenne nationale.
"Un médecin libéral peut travailler jusqu’à ce qu’il se sente en capacité de le faire. Il n’y a pas de limite officielle contrairement aux médecins hospitaliers", explique Anne Besnier, secrétaire générale du conseil national de l’Ordre des médecins de la Manche.
Après la période de Covid, je me suis dit que je pouvais encore exercer.
Bernard Smaja, 74 ansMédecin à la retraite
Robert Smaja avait choisi de reprendre son activité médicale aux Andelys (Eure) pour participer aux campagnes de vaccination contre la Covid-19. "Après cet épisode où j'ai repris le pied dans la médecine quotidienne, je me suis dit que je pouvais encore à mon âge exercer pour des pathologies de ville".
Ils doivent déclarer leur activité
Pour autant, attention à ne pas confondre héroïsme et efficacité. "La médecine générale, ce n'est pas que vacciner. Les praticiens doivent se sentir en état physique et intellectuel de répondre aux exigences d'aujourd’hui", poursuit la secrétaire générale de l’Ordre des médecins de la Manche.
Anne Besnier précise que le conseil départemental est responsable de la qualité des soins dispensés sur son territoire, mais n'a pas de "mission de jugement ou de régulation". Les médecins libéraux à la retraite doivent déclarer leur poursuite d'activité professionnelle auprès de leur Ordre de rattachement.
Je travaille à temps plein, parfois même plus que mes confrères.
Jean-Pierre Lyon, 87 ansMédecin généraliste à Alençon
"Je préfère exercer la médecine et continuer d’étudier plutôt que de ne rien faire. Ce n’est pas une punition, témoigne Jean-Pierre Lyon, 87 ans et un mois, doyen des médecins normands basé à Alençon. Je travaille à temps plein, parfois même plus que mes confrères. Mon cabinet est plein".
Reste que la poursuite d'activité à temps partiel ou en soin particulier constitue une porte de sortie plus douce pour les médecins libéraux. Ils peuvent diminuer leur charge de travail progressivement jusqu'à la fin complète de leur carrière.