Antoine a perdu sa mère, tuée par son beau-père, lorsqu'il avait 14 ans. A aujourd'hui 23 ans, il raconte l'horreur de ce drame, et dénonce la prise en charge défaillante des enfants suite à un féminicide.
"Je le dis toujours : le passage aux Assises a été plus dur que la mort de ma mère." Cette phrase d’Antoine, 23 ans, est glaçante.
Glaçante, parce qu’elle nous fait réaliser que perdre sa maman, à 14 ans, tuée par son beau-père, n’est pas le pire épisode de la vie du jeune homme. Glaçante, parce que cet épisode aurait pu être évité, ou du moins atténué.
Impréparation juridique, manque de soutien psychologique, placement en famille d’accueil hâtif et irréfléchi : les enfants victimes collatérales de féminicides souffrent d’une prise en charge défaillante.
Rouée de coups par son compagnon
Après le divorce de leurs parents, Antoine et son frère ont moins de 10 ans quand Christina, sa maman, rencontre un homme.
"Il était violent, surtout quand il buvait un coup de trop », se souvient Antoine. "Il nous insultait, il nous surnommait "les bâtards" car on n’était pas de lui." La mère d'Antoine s'installe avec cet homme, avec qui elle aura un autre fils. Durant des années, elle subit des violences physiques. "Je ne l’ai pas vu se faire rouer de coups, car maman essayait de nous le cacher."
Un jour, Christina décide de fuir cet enfer. "Un mois ou deux avant qu’il arrive ce qu’il arrive, elle est partie vivre chez une amie". Elle rencontre quelqu'un, et, pendant plusieurs semaines, est heureuse. Plus qu'elle ne l'a jamais été. "Avec moi, elle est devenue une pote. On parlait de tout, on rigolait".
Une situation qui déplait fortement à son ancien beau-père. "Quand il apprend ça, il harcèle ma mère toute la nuit en l’insultant. Le lendemain, ils avaient rendez-vous à la banque pour séparer les comptes communs. Il pète un plomb, il fait un scandale." Après la séparation des comptes, Christina "rentre à la maison pour aller prendre des affaires et retourner chez sa copine. Et lui passe à l'acte".
Antoine n'est pas présent au moment des faits, mais il connait le scénario par cœur. "Il lui a mis des coups de couteaux dans le dos. Il lui a mis 19 coups à la tête. Et il l’a étranglée avec son foulard."
En un instant, Antoine perd sa mère, son "repère". "C’est la descente aux enfers. Tu te demandes comment tu vas faire pour vivre ta vie correctement." C'est un adolescent de 14 ans qui doit traverser cette épreuve. Ni enfant ni adulte, il est en pleine construction. Mais pour gérer psychologiquement cet événement traumatisant, rien n'est proposé à Antoine. Alors, son père essaye d'improviser une "cellule de crise", selon l'expression d'Antoine. "On a vu un psy, mais c'était malsain comme situation, ça nous faisait plus de mal que de bien. Avec mon frangin, on a décidé d'arrêter".
Nettoyer le sang de sa mère, c'est inadmissible
Antoine, 23 ans
Désormais membre de l'Union Nationale des Familles de féminicides (UNFF), Antoine se bat aujourd'hui pour qu'une prise en charge psychologique soit assurée pour les enfant. Une prise en charge dès les premières heures après l'annonce du décès - "tu réalises pas, c'est pas possible, t'es dans un film", se souvient Antoine - et qui doit durer pendant plusieurs jours.
Voir le corps de sa mère lors des funérailles a été difficilement soutenable pour le jeune homme. "Quelque chose d'atroce. C'est violent, t'as du mal à t'en remettre". L'UNFF partage régulièrement des témoignages d'orphelins de féminicides, pour montrer les ratés du système actuel.
Il y a par exemple le cas impensable de ces trois sœurs, dont la mère a été tuée par le père : Emilie, Pauline et Anne-Sophie, ont dû nettoyer elles-mêmes la scène de crime. "Obligés de nettoyer le sang de leur mère, c’est inadmissible", s'insurge Antoine.
L'association a recueilli près de 30 000 signatures dans une pétition demandant la création d'un statut de victimes pour les familles de féminicides. Parmi les problèmes soulevés par l'UNFF, il y a également le placement de l'enfant. Lorsque le père a tué la mère, où l'enfant doit-il aller ? Dans la famille du meurtrier, ou bien celle de la victime ?
Pour Antoine, le système doit être revu. "Nous, on a eu de la chance car papa était encore là, il a pu nous gérer. Mais je pense aux gamins qui se retrouvent seuls, qui n'ont plus de parent. Soit leur père s’est suicidé, soit il est en prison. Comment ils font ? Ils sont placés en foyer ou famille d’accueil sans qu’on leur demande leur choix. Perdre ses parents dans des conditions comme ça, il faudrait que la procédure ce soit carrée, et juste."
Le demi-frère d'Antoine, fils de Christina et de son meurtrier, a par exemple été immédiatement placé chez ses grands-parents paternels. "On n'avait pas de nouvelles, on a décidé d’appeler, et ils nous disent "oubliez qu’on existe"".
Aux Assises, entre détails morbides et dénigrement de la mère
Toutes ces épreuves sont traversées les premiers jours suivant la mort de la mère. Puis vient le temps du deuil et du repos de l'esprit ? Pas encore. Trois ans après le féminicide, il y a le procès du tueur de Christina. Et pour son fils, "psychologiquement parlant, les Assises, c'est un truc de fou". Au sein de l'association, Antoine conseille aux victimes d'aller voir un procès aux Assises avant d'assister à celui du meurtrier de leur mère. Car aujourd'hui, "on n'est pas préparé à tout ça".
Les Assises, "c'est là où j'ai appris comment ma mère était morte". C'est là aussi où il entend des témoins la dénigrer. C'est là où il voit son ancien beau-père "se faire passer pour la victime". "C'est très violent", répète plusieurs fois Antoine.
Malgré toutes ces épreuves, Antoine est à 23 ans quelqu'un d'"heureux". En couple depuis six ans –une compagne qui l'a beaucoup aidé, "mis certaines barrières", "canalisé" – le jeune homme est magasinier automobile près de Rouen. Il est un passionné de quad et de rugby, locataire d'une jolie maison au pied d'un ruisseau. Antoine est content de s'en sortir ainsi après la mort de sa mère. "J'ai construit ce petit cocon pour qu'elle soit fière de moi. C’est cool, parce qu’on n'y arrive pas tous, et mon but c’est de me battre pour que les jeunes comme moi y arrivent aussi."
Un "Protocole Féminicide" à mettre en place
Malgré les coups que la vie lui a portés, Antoine fait plus qu'encaisser : il continue le combat. A l'UNFF, où il est référent auprès des jeunes, "on aimerait que le protocole de Seine-Saint-Denis soit étendu à toute la France". Dans le département francilien, un protocole Féminicides a été mis en place en 2015 pour la prise en charge des enfants orphelins. Il prévoit un placement provisoire en urgence des enfants, une évaluation de leur état de santé par l'Aide Sociale à l'Enfance et une hospitalisation de plusieurs jours si besoin. 30 enfants ont été concernés par ce dispositif depuis sa mise en place.
Un deuxième protocole a été établi à Lyon en 2021, un autre est en cours de création sous l'égide du Parquet du Havre (Seine-Maritime). La ville est très souvent le théâtre de féminicides. L'un des derniers faits marquants remonte au 1er avril 2021, lorsque Jani, 36 ans, est assassinée par son conjoint. Le couple avait 5 enfants, dont la gestion après le drame a été décrite comme chaotique.
Afin d'éviter ce genre de situations, un dispositif est sur le point de naître. Pour Cécile Bœuf, qui est chargée de rédiger ce protocole havrais, "il faut une meilleure coordination des acteurs", qui sont nombreux. Il y a les pompiers, souvent les premiers arrivés sur les lieux du crime, mais aussi les gendarmes et policiers, les personnels hospitaliers, les associations d'aides aux victimes.