Depuis bientôt deux ans, le centre de détention de Val-de-Reuil, dans l'Eure fait le pari de dispenser des cours de yoga aux détenus qualifiés "d'ultra-violents" pour leur apprendre à mieux gérer leurs émotions et leur impulsivité mais aussi à prendre du recul. Une initiative qui peut sembler originale mais qui fait ses preuves.
En apparence, ce cours de yoga ressemble à n'importe quelle autre séance proposée en France : des tapis sont posés au sol, la salle est baignée d'une musique douce et du son enveloppant des bols tibétains.
Cette atmosphère "zen" peut dénoter avec le reste du bâtiment : il s'agit de la prison de Val-de-Reuil, dans l'Eure. Ce centre de détention est le plus grand d'Europe avec 800 personnes incarcérées, réparties en deux unités. Condamnés pour des crimes, les sept participants du cours sont détenus dans la seconde division : celle pour les personnes condamnées de 7 ans de réclusion à, parfois, la perpétuité.
Des participants triés sur le volet
Ces détenus "longue peine", devenus des apprentis yogi, ont des profils jugés "ultra-violents". Ils ont été sélectionnés pour participer à ce cours de yoga car ce sont eux qui auraient les meilleures perspectives de réinsertion, sur l'ensemble des détenus.
Depuis deux ans, l’unité de soins de l’établissement pénitentiaire de Val-de-Reuil, rattachée au centre psychiatrique du Rouvray, propose un protocole de 12 séances "Découvrir la non-violence derrière les barreaux".
La question du corps et de l'engagement du corps dans les actes criminels ou dans leur vécu traumatique est difficilement traitable derrière un bureau en face à face. Je suis allée me former pour traiter, par le yoga, cette question de la violence.
Mme CaullireauPsychologue clinicienne du centre hospitalier du Rouvray, détachée à la prison de Val-de-Reuil
"Sans jugement aucun, de manière bienveillante… On accueille ses impressions", souffle Mme Caullireau, la professeure de yoga de cours, entre deux postures d'étirement. Avant d'encadrer cet atelier, cette professionnelle est surtout la psychologue du centre hospitalier du Rouvray qui intervient dans la prison depuis 2017.
C'est elle qui a eu l'idée d'instaurer ce cours pour proposer une approche différente pour accompagner le chemin personnel et psychologique des détenus.
"Une part d'humanité"
L'atmosphère relaxante, presque légère, qui flotte dans la salle de yoga provient d'un détail qui a son importance : les apprentis yogi ne sont pas jugés pour ce qu'ils ont fait et surtout considérés comme des patients avant tout. Selon eux, cette approche bienveillante change considérablement la manière d'être considéré au sein de la prison.
J’étais réticent, je me suis dit qu'avec des psy qui nous proposent de faire ça, ce serait plus "psy" que du yoga. Et finalement, j'ai vu que c'était vraiment du yoga, ça nous apaise, ce n'est pas sur le jugement.
Etienne (prénom modifié)Détenu "longue-peine" qui participe au cours de yoga à la prison de Val-de-Reuil
"L'humanité, on peut en avoir un peu par les surveillants mais ça a ses limites. Ce ne sont pas nos amis, ils sont là pour nous garder, pour ouvrir et fermer la porte. Là, Mme Caullireau et les psychologues du service, c’est autre chose, ce sont des civils, on peut leur parler il y a une part d’humanité", raconte Kenny, l'un des détenus qui participe au programme.
Un moyen de s'évader en prison
Pour M. Broustail, lui aussi psychologue clinicien du centre hospitalier du Rouvray, "le défi du yoga en prison, c'est de créer de l'espace là où il n'y en a pas".
J’avais beaucoup d’a priori et au final je me suis ouvert. Ça m'apporte un apaisement. C’est un moment de calme, c'est une bulle, on n’entend pas la détention. Donc juste pour ça c'est un pur bonheur.
Kenny, 32 ansUn des détenu "longue-peine" qui participe au programme de yoga
Cette pause qui incite à la méditation et à l'ouverture trouve complètement sa place dans le milieu carcéral. À en croire les témoignages des participants, c'est un objectif réussi.
Un programme de soin innovant
Le centre de détention de Val-de-Reuil est la seule prison de France à proposer du yoga via son unité de soins, c'est-à-dire sans faire appel à des prestataires extérieurs.
La psychologue du centre s’est pour cela formée à Lille et a obtenu l’accord de l’administration pénitentiaire. "Quand on a a commencé il y a deux ans, c'était un peu un pari, un défi. On ne savait pas trop ce que ça pourrait donner", confie Mme Caullireau. "Si ça n'avait pas plu, [les détenus] ne seraient pas revenus."
Finalement, ils découvrent que [le yoga] est agréable, c'est une petite bulle différente de la détention et ils arrivent ensuite à apporter ce bien-être dans d'autres espaces. En tant que soignant, on a tout gagné !
Mme CaullireauPsychologue clinicienne et professeur de yoga au centre de détention de Val-de-Reuil
Pour Ingrid Delabarre, adjointe à la cheffe d'établissement, en plus des objectifs "d'apaiser la détention et diminuer les conflits", ces cours visent surtout à préparer la réinsertion dans la société et "la lutte contre la récidive".
Elle explique que la direction de l'établissement a accepté la tenue de ces cours, car "quelqu'un qui va travailler sur ses problèmes de comportement et de gestion des émotions, il y a fort à parier qu'à la sortie ce sera payant pour éviter de nouveaux passages à l’acte".
"Je veux devenir une meilleure personne, tout simplement"
Pour autant, le seul principe du yoga ne suffit pas. Une composante importante de la réussite de ce programme est sans nul doute la bonne volonté des participants. "Il y en a qui ont envie de venir mais qui n’arrivent pas à sauter le pas", atteste Kenny.
II faut pouvoir reconnaître qu’on fait des soins et ils ne voient pas les soins comme il faut. Par exemple, moi je n'ai pas eu d'obligation de soins, j'ai demandé les soins moi-même pour faire un travail sur moi-même et devenir une meilleure personne, tout simplement".
Kenny, 32 ansUn des détenu "longue-peine" qui participe au programme de yoga
Aujourd'hui, ce dispositif et son fonctionnement par le bouche à oreilles sont un succès. L'équipe médicale de la prison de Val-de-Reuil a de plus en plus de demandes de la part de ces détenus considérés comment violents, en quête d’apaisement et de travail sur leur impulsivité.