"L'État nous qualifie de terroristes" : après l'action Lafarge, des militants écolos dénoncent des conditions d'interpellations "disproportionnées"

Lundi 8 avril 2024, 17 militants écologistes ont été interpellés et placés en garde à vue, à la suite d'une action coup de poing en décembre 2023 dans une cimenterie Lafarge de l’Eure. Plusieurs témoignent de conditions d'interpellations musclées.

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Le lundi 8 avril 2024, ils ont tous les trois vécu la même peur et l'incompréhension. Il est à peine sept heures du matin quand une équipe de la BRI tape à leur porte.

Mathilde* est avec son mari et ses enfants dans un petit village près de Rouen, Paul* avec sa compagne en centre-ville de Rouen, Martin*, lui, est dans l'Orne.

"On entend tambouriner violemment. Une vingtaine de policiers m'interpelle. Ils sont armés, cagoulés c'est assez choquant", se souvient Martin. "Moi, il me menotte, je suis encore en pyjama et perquisitionne pendant trois heures ma maison", ajoute Mathilde.

Dégradations dans une cimenterie Lafarge

Les trois Normands sont interpellés, comme 14 autres personnes au même moment dans la région et en Seine-Saint-Denis, dans le cadre d'une enquête pour dégradations dans une cimenterie Lafarge, à Val-de-Reuil, dans l'Eure. Ils sont suspectés de s'être introduits et d'avoir dégradé le site en décembre dernier, mais aussi d'avoir séquestré le gardien de la cimenterie.

Au moment de leur interpellation, Mathilde, Paul et Martin ne comprennent pas ce qu'il se passe, peu d'information circule à ce moment-là. "Ils se dirigent vers ma bibliothèque et recherchent tous les livres liés au climat. Les policiers prennent mon ordinateur, mon téléphone et toutes mes affiches et lectures liées à la question d'écologie radicale", détaille Mathilde.

La jeune femme rouennaise est emmenée au commissariat de Levallois-Perret, avec sept autres militants écologistes. Paul et Martin, eux, sont placés en garde à vue à Rouen, tout comme quatre autres personnes. Trois personnes seront également transférées au commissariat d'Évreux ce matin-là.

Conditions de détention difficiles

Pendant plus de trois jours, les trois militants disent avoir vécu dans des conditions difficiles. "Ma cellule puait la mort, j'étais enfermé dans 6m2 avec une lumière en permanence", témoigne Paul. Leurs journées sont rythmées par la visite de leur avocat et les interrogatoires à répétition.

Mathilde et Paul seront relâchés au bout de 60 heures de garde à vue. "Affaire classée sans suite" pour les deux, en raison de l'insuffisance des charges réunies à leur encontre. "Ils m'ont menottée et bandée les yeux avant de me relâcher dans une rue à Paris, près d'un métro. Ils m'ont rendu mon sac avec ma culotte à l'intérieur, sur laquelle ils avaient prélevé mon ADN", se souvient, avec dégoût, Mathilde.

Martin, lui, restera enfermé au total 96 heures, du lundi matin au jeudi après-midi, le maximum pour une action "en bande organisée". Remis en liberté, sous contrôle judiciaire, l'homme sera jugé le 27 juin devant le tribunal correctionnel d'Évreux.

En plus de Martin, huit autres personnes seront jugées le 27 juin. Cinq ont été placées sous contrôle judiciaire jusqu'à la tenue de l'audience, a précisé Rémi Coutin, le procureur de la République. Ils devront répondre des charges "d’association de malfaiteurs en vue de commettre un délit puni de dix ans d'emprisonnement", de "dégradation de biens" et de "séquestration". 

Les huit autres, dont Mathilde et Paul, ont été remis en liberté "en raison de l'insuffisance des charges réunies à leur encontre", indique le parquet.

La sous-direction antiterroriste chargée du dossier

Dix jours après les faits, les trois militants sont encore choqués de cette arrestation menée par les services de la sous-direction antiterroriste (SDAT) car ce service de police judiciaire, à compétence nationale, est à l'origine voué à la lutte contre le terrorisme.

"La SDAT est censée se battre contre les terroristes alors que je me place à l'opposé de ce spectre. Je me bats pour le vivant dans son ensemble", se défend Martin, toujours dans l'incompréhension. "La SDAT devrait déployer ses services pour arrêter de vrais terroristes", poursuit-il.

Ils essayent de construire une figure de terrorisme écologique mais nous faisons seulement de la désobéissance civile. Pour nous arrêter, les moyens déployés ont été disproportionnés par rapport aux faits qui nous sont reprochés.

Mathilde*, militante arrêtée le 8 avril

Tous les trois reprochent à l'État d'avoir déployé la SDAT pour cette affaire. "On nous incrimine d'attaquer Lafarge, on déploie les services de la SDAT pour notre affaire, donc la SDAT se met au service de Lafarge qui est quand même une entreprise qui collabore avec Daesh, c'est totalement paradoxal !", s'agace Martin.

Le militant fait référence à la mise en examen du cimentier Lafarge pour avoir versé plusieurs millions d'euros au groupe terroriste Daesh via son usine, qui était basée en Syrie. Pour rappel, en février 2024, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a requis un premier procès contre Lafarge pour "financement du terrorisme" et "non-respect de sanctions financières internationales", mais aussi contre d'anciens dirigeants pour "financement du terrorisme".

Pourquoi avoir fait appel à la SDAT ?

Selon le procureur d'Évreux, Remi Coutin, la SDAT a été déployée sur ce dossier car le 10 décembre dernier, un certain nombre d'actions similaires ont été commises un peu partout en France à l'encontre de différents sites de l'entreprise Lafarge, dans le cadre d'une action coordonnée.

"Dès lors, il était nécessaire qu’un même service puisse intervenir et le cas échéant coordonner l’ensemble des enquêtes ouvertes sur les différents points du territoire national concernés", confirme le procureur d'Évreux à France 3 Normandie.

Le rappel des faits

Le dimanche 10 décembre, l'accès au site de Val-de-Reuil avait été forcé en milieu de journée par une centaine de personnes "cagoulées et masquées".

Selon le parquet, le gardien aurait été "séquestré" dans une pièce jusqu'à l'intervention de la police une dizaine de minutes plus tard. "Vêtues de combinaisons blanches, les visages dissimulés et porteuses de gants", selon un communiqué de Rémi Coutin, ces personnes avaient empêché l'agent de sécurité de sortir de son local avant de se livrer à "d'importantes dégradations".

Avant d'être dispersés par la police à l'aide de gaz lacrymogène, ces activistes écologistes avaient inscrit plusieurs tags dénonçant les activités de l'industriel et les soupçons d'un financement de l'État islamique qui pèsent sur le groupe. Des dégâts chiffrés à plus de 450 000 euros, selon le parquet.

"Ce qui est violent, c'est que l'Etat nous qualifie aux yeux de l'opinion publique de terroriste alors que nous nous battons pour le vivant dans son ensemble. Le gouvernement a peur de nous et utilise des moyens disproportionnés pour les faits qui relèvent seulement de désobéissance civile", concluent les trois Normands interpellés.

*Prénoms d'emprunt

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