38 associations de protection de l’enfance, dont celle d’une Normande violée pendant une dizaine d’années, se réjouissent que la loi évolue. Mais certaines modalités du texte posent problème, notamment une clause visant à ne pas pénaliser les amours adolescentes consenties.
C’est un vote historique qui a eu lieu à l’Assemblée Nationale jeudi 15 avril 2021. Adoptée à l’unanimité – 94 votes pour, aucun contre – la loi renforçant la protection des mineurs contre les violences sexuelles permet pour la première fois d’inscrire dans le Code Pénal qu’un enfant ou un adolescent ne peut être considéré comme un partenaire sexuel.
À l’unanimité les députés ont adopté une proposition de loi pour protéger nos enfants des violences sexuelles.
— Eric Dupond-Moretti (@E_DupondM) April 15, 2021
Avant 15 ans, plus aucun adulte agresseur ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur.
C’est une étape historique que nous franchissons.pic.twitter.com/z4IMw8Jonv
Pour le Garde des Sceaux, c'est "une étape historique". À la tête d'une association de protection de l'enfance à Vernon, dans l'Eure, Claire-Aurélie Veraquin estime pour sa part que la présence de seulement un député sur six dans l'hémicycle au moment du vote, traduit "une forme de désintérêt de la part des parlementaires. On n'est pas sorti du déni sociétal dans lequel on se trouve et on est loin d'une vraie volonté de protéger tous les enfants".
"En dessous de 15 ans, c’est non. L’inceste, c’est non", résume de son côté la rapporteure du texte au Palais Bourbon, la députée Alexandra Louis (LREM). Isabelle Florennes (MoDem) se félicite, elle, de l’adoption d’un "cadre juridique protecteur et dissuasif pour aider les victimes à se réparer".
Les associations de protection de l’enfance déçues
Les associations de protection de l’enfance, réunies dans un collectif, se félicitent bien sûr de cette avancée, mais alertaient depuis plusieurs semaines médias et parlementaires quant à la clause Roméo et Juliette. Une modification du texte initial apportée par les sénateurs en deuxième lecture fin mars, expliquée dans cet article de nos confrères de Télérama.
Parmi ces associations, Les Enfants de Tamar. Nous avions rencontré sa présidente en Normandie en janvier en pleine vague de #MeTooInceste. Âgée de 43 ans, cette enseignante à Vernon, mère de deux enfants, a été violée par son père de l'âge de 3 à 16 ans. Longtemps silencieuse, elle nous avait témoigné de ce traumatisme de l'enfance. Une libération possible à l'issue d'une longue thérapie.
Bien sûr, instaurer un âge pour le non-consentement est une bonne chose mais avoir instauré une restriction législative ne satisfait pas le Collectif pour l’enfance qui craint que les sanctions soient amoindries si le mineur et le majeur ont moins de cinq ans d'écart.
Des débats intenses dans l’hémicycle
Le texte touche à des notions juridiques complexes tenant aux libertés. Il a fait l’objet de délicats arbitrages. La disposition, surnommée "Roméo et Juliette", élaborée pour éviter de pénaliser les "amours adolescentes" librement consenties, a été source de crispations.
Des histoires comme Roméo et Juliette, on est d’accord, il y en a quand même très peu
Cette clause prévoit que les sanctions ne s’appliquent que si "la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans". La criminalisation des "amours adolescentes" légitimes "serait une folie", a estimé la rapporteure du texte Alexandra Louis.
Albane Gaillot (non inscrite, ex-LREM) a proposé un écart réduit à quatre ans, "pour tenir compte du fait qu'un enfant de 13 ans n'a jamais le discernement nécessaire", pour accepter un rapport sexuel avec un jeune de 18 ans.
Des débats acharnés, nombre d'élus souhaitant réduire cet écart d'âge, allant ainsi sur le terrain des associations.
La socialiste Isabelle Santiago, l’une des premières rapporteures du texte, a souligné que "les associations de protection de l'enfance sont vent debout" contre ce qu'elles estiment être un "grave recul qui fragilise la protection des mineurs de 13 et 14 ans", susceptibles d'avoir une relation avec un jeune majeur de 18 ou 19 ans.
"Les jeunes majeurs ne bénéficient pas d’un blanc-seing", lui a rétorqué Eric Dupond-Moretti. Le Garde des Sceaux rappelle que cette clause ne vaut que pour les relations consenties, pas celles "tombant sous le coup de la répression", comme la prostitution ou les agressions.
L’inceste et le viol sur mineur, un fléau
La loi prévoit aussi un mécanisme permettant, suivant certaines modalités, que le délai de prescription de 30 ans pour un viol sur un mineur soit prolongé si la même personne viole par la suite un autre enfant.
"10 % des Français auraient subi l’inceste, un enfant est violé toutes les heures en France, un Français sur cinq aurait subi un acte de pédocriminalité" a rappelé la députée Isabelle Santiago.
Depuis plusieurs années, la parole se libère, que ce soit dans des livres, sur les réseaux sociaux ou dans des œuvres cinématographiques.
En 2018, le film Les Chatouilles d’Andréa Bescond traite sur grand écran avec talent et émotion de la pédocriminalité.
La réalisatrice, par ailleurs danseuse et comédienne, y raconte sa douloureuse histoire. Elle y joue son propre rôle.