Le CHU de Rouen précurseur dans la médecine de précision en France: quand santé et numérique fusionnent

Des professionnels de santé du monde entier se sont réunis à Rouen sur le thème de la technologie et du traitement des données de chaque patient pour obtenir des diagnostics et des traitements personnalisés. « Il faut revenir au fondamental : soigner des malades ».

« Il est plus important de connaître le malade que la maladie dont il souffre ». Cette citation d’Hippocrate raisonne à l’ouverture du congrès organisé dans l’amphithéâtre du Campus Santé de Rouen. Des spécialistes sont venus de Suède, des États-Unis ou encore d’Australie pour communiquer et échanger sur la médecine de précision, une médecine sur mesure, des maladies rares aux plus communes.  

Une médecine personnalisée  

La médecine de précision est un concept selon lequel la prise en charge du patient tient compte de ses variations individuelles cliniques, biologiques, mais aussi de l'environnement dans lequel il vit ainsi que son mode de vie. Cette médecine est déjà appliquée avec les transfusions sanguines (en fonction des groupes sanguins et rhésus) ou encore en microbiologie avec le choix d’un antibiotique selon les bactéries détectées.  

Mais l’organisatrice du congrès, Soumeya Bekri, souhaite aller plus loin. La professeure veut valoriser le maximum de données des patients pour adapter la prévention et les traitements pour chaque individu. « Le malade ne se résume pas à sa maladie. Il a une vie, un environnement, des aidants ou non, et tout ça va contribuer à sa prise en charge », explique-t-elle.  

Aujourd’hui, la plupart des protocoles de traitement des cancers sont les mêmes pour tous les patients alors que les réponses observées sont différentes d'un patient à l'autre. « Quelqu’un qui a un cancer ne va pas vivre sa maladie pareil s’il est seul ou entouré. La dimension humaine est très importante dans la médecine de précision, ce n’est pas uniquement la précision technique », complète-t-elle.  

Selon la cheffe de service du laboratoire de biochimie métabolique du CHU de Rouen, ces dernières décennies, on a complètement changé de paradigme. 

On traite des maladies, et pas des malades. Il faut revenir au fondamental : soigner des malades

Pr Soumeya Bekri, laboratoire biochimie métabolique CHU Rouen

Conjuguer médecine et outils numériques

 « La médecine de demain ne pourra plus se faire sans le numérique. Il faut l’expliquer aux jeunes médecins », assure la professeure Soumeya Bekri. « On a tellement de données médicales que notre cerveau humain ne peut pas appréhender toutes ces données et en tirer une information utile pour prendre une décision médicale », développe l’experte internationale des maladies héréditaires du métabolisme.  

Aujourd’hui, avec une goutte de sang, on peut analyser 10 000 composés en quelques minutes. « Il y a tellement de bilans que je ne peux plus tout interpréter. Mais j’ai des algorithmes qui peuvent m’aider », informe-t-elle. Ces informations reversées dans une base de données populationnelle peuvent permettre de mieux comprendre une pathologie et prendre une meilleure décision pour l’individu. « On crée un cercle vertueux », s’enthousiasme Soumeya Bekri.

La fin de la médecine telle qu’on la connaît ?  

L’intelligence artificielle (IA) ne viendrait pas remplacer l’intelligence humaine mais serait un outil en soutien pour le médecin, « sur le plan organisationnel ou pour l'interprétation des données et du coup pour la prise de décision médicale », précise la professeure.  

L’IA permettrait d’aider à mieux gérer les patients et dégager plus de temps pour les soigner concrètement. « Certaines tâches très chronophages peuvent tout à fait être automatisées, on a un manque cruel de temps pour être aux côtés des patients ».  

Selon l’organisatrice du symposium, le défi est de former les jeunes médecins et pharmacologues aux compétences numériques et techniques.  

Rouen précurseur de la médecine personnalisée  

Et c’est ce que fait l’Université de Rouen avec une unité d’enseignement disciplinaire « Sciences des données en santé » pour les étudiants en première année de Médecine. Il y a d’autres initiatives en France comme à l'Université de Lorraine à Nancy avec un enseignement « Informatique médicale » en deuxième année de médecine. « On commence, mais il y a tout à faire ! », insiste la professeure Bekri. « On ne peut pas garder le même enseignement de la médecine et de la pharmacie qu’on avait il y a cinquante ans, ça n’est plus possible ».  

L’objectif du symposium est d’augmenter la sensibilisation médicale pour s’emparer des outils. « On est à un virage et il faut le bien le prendre. À Rouen on y est prêt. Il faut se donner les moyens car si on soigne le patient avec le bon traitement, on est rentables. In fine on est gagnants sur tous les tableaux », promet la cheffe de service.  

Dépistage chez les nourrissons en Normandie 

Avec le département de biochimie métabolique du CHU de Rouen, la professeure Soumeya Bekri dirige une étude clinique en Normandie pour dépister précocement des pathologies lysosomales. Ces maladies sont rares mais traitables, surtout si le diagnostic est fait précocement.

Depuis mars 2021, le projet rouennais LysoNeo est lancé. Des échantillons de sang sont prélevés sur tous les bébés naissant en Normandie. Objectif : 100 000 nouveau-nés dépistés par le laboratoire de la professeure Bekri sur trois ans pour détecter onze maladies lysosomales.  

L’objectif est aussi de faire en sorte que les gens restent bien portants

Pr Soumeya Bekri, cheffe de service du laboratoire de biochimie métabolique du CHU de Rouen

Détecter pour devancer la maladie, car en médecine de précision, la prévention est essentielle. « Le but premier est de voir quels facteurs influencent la trajectoire vers la maladie pour essayer de les contrer »,  informe Soumeya Bekri, « l’objectif est aussi de faire en sorte que les gens restent bien portants ».  

Aller plus loin

« On a déjà des informaticiens et des personnels de santé, maintenant on a besoin de personnels « hybrides », qui sauraient faire le pont entre les deux », informe l’organisatrice du symposium international rouennais.  

Et ça existe déjà ailleurs. En Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple. Lors du premier symposium en 2019, un pédiatre réanimateur révélait qu’il utilisait les données des patients dans son service, doté de douze bio-informaticiens, pour modéliser les trajectoires de ses patients.  

Selon l’experte internationale, les professionnels de santé doivent améliorer l’intégration du numérique dans leurs pratiques, profiter des avancées technologiques pour améliorer les données acquises et remettre le patient au centre du parcours. La professeure Soumeya Bekri prévient : « Les pays du Nord enseignent le code informatique à l’école. Si on ne le fait pas en France, ça va être dramatique. Les jeunes seront perdus parce que c’est appliqué partout et pas seulement en médecine ».  

Reste le défi majeur de la sécurisation des données médicales pour une utilisation pertinente et éthiquement responsable.      

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