Qui a tué Serge Le Petit? L'adolescent de 17 ans a été tué le 1er novembre 1969 dans La Hague. Un crime demeuré impuni, d'innombrables pistes ont été envisagées. Une journaliste écrit un roman sur ce "cold case".
C'était un garçon discret. Un lycéen en 1re C au lycée Victor-Grignard de Cherbourg (Manche). " Il sortait toujours en dernier de sa classe, j'ai jamais entendu le son de sa voix alors quand on nous a appris ce qui s'était passé, on s'est dit non, tout le monde, mais pas lui ! " se souvient François Simon, lycéen lui aussi en 1969 en même temps que Serge Le Petit dans ce lycée bourgeois du centre-ville de cette petite ville portuaire qu'est Cherbourg. " Ce mec qui rasait les murs, en caban bleu, avec son beau visage d'angelot, on a découvert sa vie qui a été entièrement désossée par l'enquête, un vrai strip tease".
La découverte du corps de Serge Le Petit
Car le dimanche 2 novembre, vers 13 h 30 , un adolescent de dix-sept ans, Serge Le Petit, a été découvert mort sur un sentier au pied d'une falaise entre Landemer et Le Castel-Vendon, dans la Manche. Un endroit de silence où seule la mer rugit de concert avec le vent, c'est le décor de la Hague , le chemin sur lequel Jean-François Millet, natif de la commune, celle de Gréville-Hague, a immortalisé les paysages. Les paysages, justement, c'était aussi la grande passion de Serge Le Petit qui avait la photographie chevillée aux corps. Le garçon si discret arpente, contemple, fixe et shoote ce Cotentin à la beauté sauvage.
Mais en ce jour de Toussaint 69, Serge Le Petit est allongé sur le dos, les mains croisées sur la poitrine. On découvre qu'une balle a été tirée à bout portant derrière son crâne. Comme une exécution.
" Quand on trouvera le mobile, on trouvera l'assassin"
A Cherbourg, la consternation est totale dans ce bout du monde où les meurtres sont rares. Le juge Gras est le juge d'instruction en charge de l'affaire en 1969. " Quand on trouvera le mobile, on trouvera l'assassin", déclare-t-il dans les premiers jours de l'enquête. 51 ans plus tard, aucun mobile ne se distingue des autres. Pourtant, les pistes suivies ont été multiples, le réel le disputant au romanesque. Certains journalistes de l'époque parlent d''un crime parfait".
Il y a d'abord la scène de crime et cette curieuse position du corps, cette posture de gîsant qui interroge. Le corps a-t-il été déplacé? Et puis il y a ce sac, le sac de voyage de Serge Le Petit au curieux contenu: un autre appareil photographique que le miniature trouvé sur son corps , un plan de Paris, un passeport, une paire de chaussures, une somme de 240 francs, un carnet de change et un sandwich. Trois cigares hollandais dans la poche. Serge Le Petit avait-il rendez-vous? Avec des contrebandiers, acteurs de ces côtes depuis des siècles mais qui se font rares à l'aune des seventies ? Voulait-il embarquer depuis cette petite crique pour un autre destin?
Peut-être bien. Chez Serge Le Petit, on trouve une lettre d'adieu adressée à ses parents. Comme une éloge de la fuite. « Je m’en vais. Ne vous inquiétez pas. J’aurai de l’argent. Ne me faites pas rechercher par la police. »
Et puis sur ces cahiers de lycéen, on découvre un prénom. Marina. Il l'associe au sien "Serge et Marina " et entoure ce duo de coeurs.
Amour russe en pleine guerre froide
Alors on cherche qui est cette Marina. Les jeunes filles de la région qui portent ce prénom sont entendues. Finalement, Marina est identifiée. Elle est russe et Serge Le Petit l'a rencontré au mois de juillet 1969 lors... d' un voyage en Union soviétique qu'il effectue avec des étudiants lorientais. Marina, c’est elle : ils se sont rencontrés dans un café ...Une amourette presque insignifiante si nous n’étions pas en 1969, en pleine Guerre froide, à Cherbourg. Or, le père de Serge Lepetit travaille au Commissariat à l’énergie atomique, l’usine de La Hague, version militaire, ancêtre de l'actuel Orano. " A l'époque, personne ne savait trop ce qui se passait là-haut" explique François Simon. Le sang versé dans la lande de fougères a-t-il des relents d’espionnage ?
Sous-marin nucléaire et embargo sur les vedettes israëliennes pour "narrative non -fiction"
D'autant qu' à Cherbourg, au même moment, deux évenements majeurs se produisent. Le sous-marin Le Terrible, sous-marin nucléaire lanceur d'engins de la marine française est lancé , le 12 décembre 1969. Et entre le 24 et le 31 décembre 1969, c'est l'affaire des Vedettes de Cherbourg. Une opération militaire israélienne impliquant le vol de cinq navires depuis le port du Cotentin pour contourner l'embargo sur l'armement décrété par Charles de Gaulle en 1967 .
L 'affaire des vedettes de Cherbourg ( Stéphanie Potay-Marie Saint-Jours):
" C'est aussi ça qui m'intéresse dans l'affaire de Serge Le Petit, explique Agnès Villette, journaliste qui travaille sur cette affaire pour écrire un roman. " A travers la trajectoire individuelle de Serge Le Petit, cela raconte une ville et pas n'importe laquelle: Cherbourg dans des années particulièrement "lourdes". Cherbourg, c'est une ville d'espions, une ville d'angles morts, aujourd'hui encore...Serge Le Petit a-t-il photographié dans ce contexte quelque chose de compromettant, lui qui avait le goût de la photographie? ".
A partir de ce crime impuni, ce cold case, la journaliste travaille donc sur un ouvrage qu'aux États-Unis, on classe dans la catégorie "narrative non fiction" soit du "journalisme narratif" et qui s'est imposé comme un genre littéraire à part entière depuis Truman Capote en 1965 avec De Sang Froid. Un genre qui commence à se développer en France.
A nos confrères de Tendance Ouest, dans Scènes de crimes en Normandie, Agnès Villette explique dans un podcast sa démarche et ce qui motive sa contre-enquête. " Il m'évoque Julien Sorel, une beauté étrange, un garçon de bonne famille, une personnalité et une identité forte. On peut attraper une époque à travers Serge Le Petit, on est après 68, cette jeunesse qui s'exalte tandis que le militaire et le nucléaire sont ultra présents".
L'enquête piétine, de paradoxes en paradoxes
Depuis 1969, les pistes diverses ont échoué. Les pellicules des appareils ne révèlent rien. On ne retrouve pas la balle, vraisemblablement tirée par une arme de petit calibre. On ne sait pas comment Serge Le Petit est arrivée à Landemer à 17 km de Cherbourg. Le cheveux blond trouvé sur son oreiller serait tout simplement le sien. Dans Cherbourg , police, gendarmerie et sécurité navale font partir l'enquête dans tous les sens, la démultiplication de services ne favorise pas le bon fonctionnement de l'enquête.
"Pour moi , il y a tellement d'informations paradoxales , Serge Le Petit est décrit comme renfermé, on le découvre totalement différent dans son voyage en URSS, festif même", relève Agnès Villette.
L’énigmatique lycéen cherbourgeois termine sa trajectoire de vie à 17 ans sur le sentier des douaniers de La Hague, sur cette complexe et taiseuse terre , labourée par d'immenses vagues . Et hormis l'assasin, nul ne saura probablement jamais ni pourquoi ni comment Serge Le Petit, amoureux de Marina, du voyage et de la photographie, a été retrouvé là, les mains jointes sur la poitrine, les yeux ouverts.
Reportage Stéphanie Potay, Cyril Duponchel et Vincent Potel.
Si vous voulez témoigner sur cette affaire:
villetteagnes@gmail.com