La réunion de concertation organisée le 15 juillet à Réville (Manche) s'est déroulée dans un climat très tendu. Des pêcheurs ont encore exprimé leur opposition à la création d'un parc éolien au large de Barfleur. "On vient nous mettre ça sous le nez sans nous demander notre avis. Pas d'accord !"
À en croire le site du ministère de la Transition écologique, cette réunion ne devait être qu'un "point d’étape" sur le chemin qui doit mener à la construction d'un parc d'éoliennes au large de Barfleur. Les services de l'État auront au moins pu tirer un enseignement de la soirée passée à Réville : les pêcheurs du coin sont braqués contre l'éolien en mer, comme ils le sont partout ailleurs sur le littoral normand et breton.
Je pense que vous êtes une bande de bobos-écolos. Avec le pognon que ça va coûter, on pourrait faire une autre centrale à Flamanville et on serait tranquille !
"Vous ramenez tout à l'écologie alors que vous faites de l'écologie bétonnée"
D'emblée, le patron du Louis-André donne le ton et ses collègues massés dans les premiers premiers rangs applaudissent. D'autres grondent. "On est une bande de pêcheurs ici. Vous ne vous rendez pas compte de l'impact que ces éoliennes vont avoir sur notre chiffre d'affaire, ajoute Gabriel Passilly. Vous ramenez tout à l'écologie alors que vous faites de l'écologie bétonnée".
Dans un brouhaha, les représentants de l'État tentent de plaider la cause de l'éolien en mer "l'une des solutions les plus compétitives" pour produire de l'électricité. L'animatrice de la soirée mouille la chemise : "est-ce qu'on peut essayer de s'écouter ? " Elle récolte une volée d'invectives. "Il n'y aura pas de dialogue puisqu'on ne nous écoute pas. Et ça fait 10 ans que ça dure !" Plusieurs pêcheurs portent un masque noir barré d'un message limpide : "allez tous vous faire enc..."
Au mois d'avril, le ministère de la Transition écologique a lancé un "dialogue concurrentiel" devant aboutir à la désignation de l'industriel qui construira un nouveau parc éolien d'une capacité de 1GW (gigawatt) au large de Barfleur. "À équidistance de Barfleur et de la Seine-Maritime", corrige Damien Levallois, le directeur du projet. Six candidats ont été pré-sélectionnés. Ils ont moins d'un an pour déposer une offre.
Une vaste zone de 150 km² a été retenue, "plus grande que nécessaire". Elle est située à 35 km de la côte, une distance minimale à respecter "par rapport au classement Unesco des tours Vauban de Saint-Vaast-la-Hougue". La précation ulcère les pêcheurs : "on travaille là-dedans du mois de mai au mois d'octobre. On va faire comment ?"
On sait que dans cette zone, la pêche réalise 200 000 € de chiffre d'affaire chaque année. Cela représente 0,1 % de la pêche normande.
"Pendant la période des travaux où la zone ne sera pas accessible, la pêche va perdre 200 000 €. Ces données sont extraites des log book que vous remplissez (journal de bord sur lequel sont consignées toutes les captures, ndlr). C'est la même base de calcul qui a servi pour le Brexit et qui a été validée par le Comité National des Pêches".
La froideur des chiffres fait bondir une partie de l'assistance. "On peut toujours parler, vous aurez toujours raison". Un pêcheur lance sa chaise et quitte la salle, bientôt rejoint par ses collègues. Des fumigènes sont craqués sous les fenêtres de la salle des fêtes. "Ils se fient à des statistiques à la con et on va trinquer, déplore Gabriel Passilly. On est des jeunes patrons, c'est notre avenir, c'est des endroits où on travaille. Ils auraient foutu ça 15 milles en aval, ça ne nous aurait pas dérangé". La réunion se poursuit, sans les pêcheurs.