Clinton Chalokwu devait signer un contrat de footballeur professionnel avec un club de première division ukrainienne. La guerre déclenchée par la Russie l'a contraint à se réfugier en France. La préfecture de la Manche a récemment demandé au jeune homme de quitter le territoire.
"Quand j'étais petit, c'était mon rêve. Maintenant, c'est mon projet." Derrière le grand sourire qui illumine le visage de Clinton Chalokwu, transparaît une solide détermination. Le jeune homme de 18 ans, natif de Lagos au Nigeria, espère accomplir son rêve de devenir footballeur professionnel en France, "championne du monde".
Ce rêve, il l'a presque touché du doigt un an plus tôt. Mais la guerre en a décidé autrement. Un simple contre-temps, espère ce passionné de ballon rond, qui espère rebondir quelques milliers de kilomètres plus loin dans la Manche. "Mon projet, c'est de commencer à jouer ici (au club d'Agon-Coutainville) et après de chercher un autre club , peut-être professionnel. Je suis sûr que ça va marcher." L'horizon s'est pourtant quelque peu assombri ces derniers jours quand est arrivé le courrier de la préfecture de la Manche lui ordonnant de quitter le territoire.
"Le football, ce n'est pas bien au Nigeria, ce n'est pas un bon niveau", raconte Clinton. Le jeune homme n'est pas encore majeur quand il quitte son pays en octobre 2021. Son talent a été repéré par une agence de recrutement ukrainienne. Il intègre un centre de formation et se distingue parmi les 75 participants : le club Vorskla Poltava, évoluant en première division, décide de l'accueillir trois mois à peine après son arrivée à Kiev. Un contrat professionnel doit être signé fin février. Mais trois jours avant la signature, les troupes russes envahissent l'Ukraine. Le 1er mars, le jeune homme quitte le territoire, comme bon nombre de réfugiés. Après un court séjour dans un camp en Hongrie, il arrive dans la Manche aux premiers jours du printemps.
Une promesse d'embauche
Yannick et Lise Rott l'accueillent dans leur maison à Coutances. Et très vite, le jeune homme rechausse les crampons. "Aujourd'hui, Clinton joue un rôle important dans l'équipe première du club, c'est un joueur à part entière et tout à fait intégré", explique Arnaud Boubet, entraîneur général Football Club d'Agon-Coutainville. Le jeune Nigérian ne s'illustre pas que par ses qualités sportives. "Très rapidement, il s'est mis au travail avec notre équipe d'éducateurs, à titre purement bénévole, pour animer les séances des enfants tous les mercredi." Le club lui a fait une promesse d'embauche pour être animateur en alternance. "Il est présent, assidu, ponctuel, souriant et a un contact très facile avec les enfants. Il est autant apprécié de l'équipe sportive, de l'équipe éducative et des enfants qu'il encadre chaque semaine."
Un projet sportif et professionnel bien ficelé, le jeune homme a a priori toutes les cartes en main pour son avenir. Ne reste plus qu'à le border administrativement. Et Clinton Chalokwu, soutenu par France Terre d'Asile Ukraine, mène les démarches pour y parvenir. Une demande de titre de séjour est déposée le 28 novembre dernier. Un rendez-vous est fixé trois jours plus tard. Avant d'être annulé au dernier moment par la préfecture. "Il y a eu trois demandes successives de rendez-vous auxquelles nous n'avons jamais eu de réponse", déplore Yannick Rott, "Nous n'avons pas eu non plus de récépissé de dépôt d'une demande de titre de séjour."
"Ce sont des exilés de guerre"
Le 22 février un courrier de la préfecture de la Manche finit par arriver. Une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). Le jeune homme a 30 jours pour faire ses bagages. En cause : une période de quelques semaines (de fin décembre à février) où le jeune homme s'est retrouvé sans visa en Ukraine. "Sa situation était en passe d'être réglée", plaide Yannick Rott, "Clinton allait signer un contrat professionnel dans le club de Vorskla Poltava. Une fois le contrat signé, il allait avoir une carte de résident en Ukraine." Le courrier de l'agent du jeune footballeur, expliquant le parcours du jeune homme en Ukraine (le transfert d'un centre de formation à un autre), n'a pas convaincu les autorités françaises. "Son cas est traité comme le cas d'un migrant économique, alors qu'il n'a jamais eu l'intention de venir en France", s'insurge Lise Rott, "Il est arrivé en France du fait de la guerre. S'il n'y avait pas eu la guerre, on n'aurait jamais entendu parler de Clinton Chalokwu. Il devrait être traité comme les cas ukrainiens. Ce sont des exilés de guerre."
La situation du jeune nigérian suscite une vive émotion et un élan de solidarité. Une pétition en sa faveur a recueilli plus de 4.000 signatures. Un rassemblement de soutien est organisé ce samedi après-midi à Coutances, un rassemblement auquel participeront des représentants du club d'Agon-Coutainville. "Si Clinton doit partir, on va perdre un jeune homme particulièrement attachant", regrette l'entraîneur Arnaud Boubet, "On est une association sportive, avec une dimension sportive, mais on reste particulièrement attentif aux rencontres qu'on peut faire, aux hommes et aux femmes qu'on peut rencontrer à travers notre activité. Clinton est arrivé de manière très fluide. On s'est tous attachés à lui. Ce serait un moment particulièrement difficile pour le club dans sa globalité."