Désertification rurale, exode, fermeture de commerces, abandon des territoires, attractivité, télémédecine... Au moment où le gouvernement lance son plan en faveur des territoires ruraux, qu'en est-il aux confins de la Manche et de l’Orne et aux abords de la Mayenne ?
"Nos campagnes, territoires d’avenir", c’est l’appellation donnée par le gouvernement au plan présenté le 20 septembre dernier en faveur des territoires ruraux. Vaste programme qui se propose d’être la conséquence logique et constructive du grand débat ouvert suite à la crise des gilets jaunes. Nous avions à cette occasion déjà exploré ces « territoires » du côté de Condé-sur-Noireau (14).
Cette nouvelle série nous emmène aux confins de la Manche et de l’Orne, aux abords de la Mayenne dans quatre communes : Le Teilleul, Barenton, Saint-Cyr-du-Bailleul et Saint-Georges-de-Rouelley. Ce petit bassin de population compte environ 3 500 habitants, près de trois fois moins qu’au 19ème siècle. Ici, à n’en point douter, on a dû se montrer attentif au discours du Premier ministre affirmant que « depuis les années 2000, la population rurale augmente plus vite que celle des villes. Des territoires ruraux, particulièrement innovants, attirent entreprises et salariés ». Certes on veut y croire mais la réalité est rude. Dans nos quatre communes seule Saint-Georges-du-Rouelley résiste à la dépopulation.
Une série de quatre reportages signée Rémi Mauger, Cyril Duponchel, Régis Saint Estève, Fabrice Lefeuvre, Yohan Petiot et Amandine Myhié
1. La revitalisation rurale en marche
Paul Foucault
Véronique Künkel, Maire du Teilleul
Patrice Achard de la Vente, Maire-adjoint du Teilleul
Nous découvrons la commune un jeudi matin, jour de marché. Mauvaise pioche, il y a bien peu de monde, cinq ou six commerçants et quelques badauds. C’est comme ça nous disent les anciens, résignés, Le Teilleul c’est mort ! Paul Foucault lui ne baisse pas les bras. Il a 87 ans, il était marchand de vêtements et il demeure à deux pas de son ancienne boutique, dans une rue où pas le moindre commerce ne subsiste. Toujours actif dans diverses associations locales d’entraide et de services il nous conduit à la mairie. Bonne nouvelle, Véronique Künkel et son premier adjoint sont optimistes. A condition d’être patients, la revitalisation rurale est en marche…
La ruralité a trop souvent été abordée en terme négatif, sous l’angle de la déprise ou de la désertification. La réalité est bien différente.
Edouard Philippe, Premier ministre
2. Attirer la main d'oeuvre et les habitants
Aline Bouet
Jean-Baptiste Lamy
Patrick Leroyer, agriculteur
Claudine Sauvé, Maire de Saint-Cyr-du-Bailleul
Mickael Alibert, restaurateur
Cindy Huart, restauratrice
"La ruralité a trop souvent été abordée en terme négatif, sous l’angle de la déprise ou de la désertification. La réalité est bien différente." Ces phrases sont extraites du discours programme d’Edouard Philippe lors de la présentation des 137 mesures du plan en faveur des territoires ruraux. Elle résonne positivement aux oreilles des élus soucieux de l’image de leurs campagnes malmenées pas la modernité et les aspirations des jeunes générations. Alors ils fourbissent les contre-exemples.
Ce bassin économique du Sud-Manche (Mortainais et Avranchin) est la zone économique la moins touchée par le chômage en Normandie mais elle peine à trouver de la main d’œuvre.
Chez Künkel, la menuiserie du Teilleul spécialisée dans la fabrication de palettes, l’offre d’embauche est bien visible, plantée sur le rond-point face à l’usine. C’est là qu’Aline Bouet, trentenaire caennaise, a trouvé un emploi et… l’homme de sa vie.
Je peux enfin envisager l'avenir.
Aline Bouet
Tous deux se sont installés à la campagne dans un village voisin. Quant à Mickael Aubert et Cindy Huart, ils viennent en chœur de reprendre l’Auberge de la Source à Saint-Cyr-du-Bailleul. Le dernier restaurant local, propriété de la commune était fermé. Le SOS lancé par la mairie a porté ses fruits, ils ont quitté les Hauts-de-France pour le bocage normand au grand soulagement de Claudine Sauvé, agricultrice et maire, passablement découragée par la dernière réforme territoriale et affectée par le mal des campagnes.
3. Quelles recettes, quels remèdes contre le mal des campagnes ?
Laëtitia Groult, fleuriste
Jean-Claude Hamelin, restaurateur
Hubert Guesdon, Maire de Barenton (50)
Raymond Béchet, Maire de Saint-Georges-du-Rouelley (50)
Sylvie Brault, épicière
Claudine Sauvé, Maire de Saint-Cyr-du-Bailleul (50)
Quelles recettes, quels remèdes contre le mal des campagnes ? Le gouvernement l’a annoncé en fanfare le 20 septembre dernier, il entend redonner des choix, de la liberté, des services, aux 22 millions de personnes qui vivent à la campagne. C’est avec ces mots qu’Édouard Philippe a justifié, devant un parterre d’environ 300 élus son « agenda rural ».
Message reçu sans doute du côté de Barenton, dans la Manche. C’est là que quelques jours plus tôt nous tournions ce feuilleton. Encore une illustration du déclin inexorable d’une bonne part de l’activité en milieu rural.
En témoignent ces dernières décennies la chute drastique du nombre des enseignes et de la valeur du foncier bâti. Ici c’est un restaurateur qui tire la sonnette. Il plierait volontiers boutique mais il n’y a personne à l’horizon pour rependre son affaire. « Trop chère » souffle volontiers le maire de la commune.
Les voisins de Saint-Georges-du-Rouelley ont la solution, éprouvée depuis plusieurs mandats hyperactifs par le premier magistrat municipal. La commune achète (souvent à bas prix) d’anciens commerces en déshérence, elle en construit certains et propose des locations à des commerçants volontaires et entreprenants. Sachant qu’à plusieurs on est plus efficaces le maire est aussi particulièrement attentif à tout ce que d’autres collectivités peuvent lui apporter. Résultat : à Saint-Georges la démographie se stabilise et il reste une quarantaine d’élèves à l’école…
4. La question de l’accès aux soins
Raymond Béchet
Maire de Saint-Georges-de-Rouelley (50)
Georges Durand
Dr Hubert Guesdon, Maire de Barenton (50
Dr Jean Seigneul, médecin généraliste
Pierre Sallé
Il n’y a pas de hasard. Dans nos campagnes en souffrance, la question de l’accès aux soins est souvent pointée comme le révélateur des activités et services déficients. Miracle, voici la télémédecine. Le cabinet médical de Saint-Georges-de-Rouelley vient de se doter de cet équipement qui lui a valu une large médiatisation ces derniers mois. Raymond Béchet, infatigable maire du pays y est pour beaucoup et n’en est pas peu fier.
A Barenton, son homologue lui-même ancien médecin généraliste observe avec circonspection cette conquête de la modernité. Chez lui c’est une jeune médecin d’origine espagnole qui a repris son cabinet. Il ne désemplit pas.
Au Teilleul, à la maison médicale construite par la commune où les deux médecins doivent cesser prochainement leur activité le renfort viendra aussi d’Espagne.
Voilà bien quelques exemples illustrant le grand virage du monde rural. On parle volontiers de zones blanches pour qualifier les secteurs les plus isolés, comme tenues à l’écart du progrès. Les télécommunications et internet devaient raccourcir les distances, désenclaver. Elles ne font pas tout et cette série de reportages montre que la quête de revitalisation doit avant tout s’incarner. Le mal des campagnes c’est la difficulté d’y « vivre ensemble », encore ensemble, d’y mener une vie sociale adaptée à son temps, bref comme le déclarait tout récemment le Premier ministre refléter une vision d’ensemble équilibrée, complémentaire, du développement de nos territoires… Sacrée paire de manches.