Le 12 avril dernier, l'élu de la Manche a reçu un mail complètement ahurissant du complotiste français exilé en Malaisie. Il s'est alors souvenu qu'ils avaient été dans la même classe. Quelques jours plus tard, Rémy Daillet était impliqué dans l’enlèvement de la petite Mia.
"Vous savez, des mails de complotistes j'en reçois tous les mois et ils vont directement à la poubelle, sans passer par la case lecture. Mais là, quand j'ai vu le nom de Rémy Daillet, ça m'a intrigué et je me suis souvenu que c'était un copain de classe."
Philippe Gosselin n'en revient pas. En un instant, le député Les Républicains de la Manche revoit ses années collège et lycée à l'Institut privé Saint-Lô d'Agneaux. C'était au début des années 1980. "On était dans la même classe, en quatrième il me semble. On était copains, on se fréquentait mais il ne faisait pas partie de ma bande de potes, celle avec qui c'était "à la vie à la mort" et avec qui je suis toujours en contact. J'ai le souvenir qu'il s'est fait virer à la fin de la terminale pour indiscipline, juste avant son bac, ce qui n'était quand même pas courant. Et puis, plus rien..."
Plus rien jusqu'à ce courrier électronique tombé dans sa messagerie de l'Assemblée nationale le 12 avril. Un mail menaçant.
La menace à peine voilée adressée au député de la Manche : "où serez-vous quand nous viendrons arrêter les traîtres et les collaborateurs ? "
Rémy Daillet, qui dit parler au nom du peuple, enjoint le député Gosselin à le rejoindre pour renverser le gouvernement français. S'il ne le fait pas, il sera sanctionné. : "où serez-vous quand nous viendrons arrêter les traîtres et les collaborateurs ? Voici la dernière chance que nous vous donnons. Vous dont la mission était de servir le peuple français, levez-vous et parlez contre la tyrannie. Si vous vous dérobez à ce devoir, ce sera trahir. (...) Nous attendons votre réponse dans le mois. Nonobstant cette réponse, Monsieur Gosselin, nous vous considérerons comme forfait, complice de crime contre l'Humanité, et donc par avance condamné."
Le mail se termine par un lien vidéo et une invitation à lui répondre à laquelle Philippe Gosselin n'a pas donné suite.
"Il est quand même sacrément dérangé ! s'emporte Philippe Gosselin et quand j'ai découvert quelques jours plus tard qu'il était lié à l'enlèvement de la petite Mia et qu'il était sous le coup d'un mandat d'arrêt international cela fait froid dans le dos."
Voyez le reportage de N.Perez, J.Vitaline, H.Puffeney et L.Lavieille diffusé mardi 20 avril dans le 20h de France 2.
Un père député de la Manche
Philippe Gosselin se souvient avoir croisé son père il y a quelques années à un enterrement. Jean-Marie Daillet a été député de la Manche pendant 20 ans, élu en 1973 sous l'étiquette CDS ( centre des démocrates sociaux, ancêtre du Modem), "J'avais 7 ans, donc j'étais un peu jeune pour m'intéresser à la politique. En revanche, je me souviens très bien de ses dernières années en tant qu'élu. J'étais jeune conseiller municipal à Rémilly-sur-Lozon et Jean-Marie Daillet, député de centre droit, a agité le Landerneau politique manchois en se rapprochant des Mitterrandiens, ça a fait jazzer! C'est sans doute pour cela qu'il a obtenu un poste d'ambassadeur en Bulgarie."
De Jean-Marie Daillet, âgé aujourd'hui de 91 ans et qui ne vit plus en Normandie, on se souviendra également de sa prise de parole contre Simone Veil lors des débats sur la légalisation de l'Interruption Volontaire de Grossesse en 1974. Jean-Marie Daillet attaque la ministre de la Santé, l'accusant d'accepter de voir des embryons humains "jetés au four crématoire ou remplir des poubelles", alors qu'elle est elle-même une rescapée de la Shoah. Il assurera plus tard qu'il ignorait à ce moment-là le passé de déportée de la ministre. Pendant les 25 heures de débat dans un hémicycle quasiment exclusivement masculin, Jean-Marie Daillet ne sera malheureusement pas le seul a faire référence aux camps de la mort.
"Je me demande comment Rémy a pu devenir le gourou qu'il est aujourd'hui"
Rémy Daillet fait d'ailleurs référence à son père dans ses vidéos appelant au renversement du gouvernement français. Parmi la longue liste d'illustres personnages sur lesquels il s'appuie pour étayer son propos néo-comploto-révolutionnaire, il cite le général Marcel Bigeard et l'homme politique et écrivain Jean-François Deniau, "des amis de mon père".
Franchement je suis un peu remué par tout ça. Je ne tire aucune conclusion, ça n'aurait aucun sens. C'est juste qu'en l'espace de quelques jours, j'ai replongé 40 ans en arrière. Je me demande comment Rémy a pu devenir le gourou qu'il est aujourd'hui
Dans un portrait publié le 20 avril, le journal Le Monde rapporte que Rémy Daillet, très actif sur internet, "développe des théories complotistes antivaccination, anti-5G, affirmant que la France est dirigée en sous-main par des puissances occultes contre lesquelles il faut se rebeller. Il dit également son admiration pour le militant négationniste et nazi Vincent Reynouard et la théorie du « grand remplacement », appelle à saccager des monuments aux morts, et reprend à son compte les grandes lignes de la théorie conspirationniste américaine QAnon, qui prétend qu’une vaste coalition implique l’establishment politique américain dans un complot pédophile international."
Un juge d'instruction de Nancy a délivré un mandat d'arrêt international contre Rémy Daillet qui "aurait joué un rôle dans l'organisation de l'enlèvement" de la petite Mia. Philippe Gosselin n'en revient toujours pas : "quand je pense qu'il a fait partie du Modem ( ndlr : Rémy Daillet fut président du parti de François Bayrou en Haute-Garonne avant d'en être exclu en 2010 ), c'est un beau cadeau empoisonné pour le parti". Là, c'est l'homme politique qui parle.