Dans la Manche, le bassin de production des célèbres carottes de Créances est menacé. La raison: l'interdiction d'un pesticide qui selon les professionnels est nécessaire pour maintenir cette activité.
Les carottes de Créances, des carottes des sables à la réputation de goût subtil ( elles bénéficient d'une AOP et du Label rouge), sont-elles dangereuses pour la santé? Cette question taboue revient une nouvelle fois sur le devant de la scène, au grand désespoir des producteurs de cette filière aux recettes particulièrement lucratives.
Et si cette question revient, c'est que pour la première fois, l'utilisation du pesticide habituel pour faire pousser ces carottes est formellement interdite par l'Union Européenne. Le dichloropropène, c'est son nom, est potentiellement cancérigène. Pour le producteur d'une part, pour l'environnement par sa diffusion dans les sols, dans l'air et dans l'eau. Quid de l'impact sur les consommateurs? La question reste en suspens...
On peut se demander pourquoi ce pesticide dangereux est abondamment utilisé pour faire pousser les célèbres carottes de Créances. En fait, la carotte de Créances a un petit vers parasite bien installé dans la racine, le nématode, qui attaque sa croissance. Depuis les années 50, à l'ère de l'agrochimie triomphante, les techniques de production sont alors bouleversées et dopées par l'apparition de ce pesticide miracle qui parvient à juguler les attaques du petit vers rebelle.
Avant ce produit miracle, les anciens retournaient le sable, l'apparition du pesticide a modifié le mode de production de la carotte, la filière s'est structurée autour d'une production de masse. Aujourd'hui, près de 250 salariés travaillent dans ce secteur.
Impasse technique
En 2009, l'Union Européenne interdit l'utilisation de ce dichloropropène, les producteurs du bassin de Créances se mobilisent chaque année et parviennent, à coup de lobbying, à obtenir à chaque fois une dérogation; ils invoquent notamment l'impasse technique et/ou chimique pour lutter contre le nématode. Sans solution, ils invoquent donc la nécessité de continuer l'utilisation du dichloroproprène. Cette année, ils tentent un ultime coup d'éclat en annonçant qu'ils boycotteront la fête annuelle consacrée à la célèbre carotte des sables. Mais cette année, la France n'accordera pas d'autorisation spéciale .... Contrairement à d'autres états membres.
Sur la zone de production, deux expériences d'exploitations bio ont été menées avec une bactérie naturelle. Mais pour les producteurs "classiques", le rendement ne serait pas au rendez-vous. "Concrètement, on va mettre la clef sous la porte, on réclame des aides de l'Etat pour que la recherche avance pour lutter d'une autre façon contre ce nématode et pour accompagner les producteurs dans les difficultés", explique Alexandra Tirel, productrice dans le bassin de Créances.
Compte-tenu de la baisse de la production attendue, ils demandent à l'Etat une indemnisation ainsi que l'application de la clause de sauvegarde afin d'empêcher l'importation de carottes provenant de pays où le dichloropropène est toujours autorisé.
Reportage de Narjis El Asraoui et Sylvain Rouil: