Normandie. Quand Bernard Tapie torpillait l'usine Wonder de Lisieux en moins d'un an

Décédé ce dimanche à 78 ans, Bernard Tapie a laissé pour beaucoup l'image d'un homme d'affaire flamboyant. Pourtant, il a aussi eu son lot de fiascos, comme le naufrage industriel de Wonder. A Lisieux, les ouvriers de l'usine de piles sont passés de l'espoir au chômage en à peine 10 mois.

Bernard Tapie n'aura pas laissé que de bons souvenirs sur son passage. Au lendemain de sa mort, à Lisieux, il reste de l'homme d'affaire la friche Wonder. La fabrique de piles électriques fut déboulonnée moins d'un an après sa reprise. En 1984, Tapie est un businessman à qui rien ne résiste, la star des repreneurs. On le surnomme même Zorro dans le milieu économique. C'est dire s'il suscite l'espoir des près de 250 salariés de l'usine Wonder de Lisieux, en crise depuis deux ans. 

Quand on a vu Tapie arriver, jeune, 38 ans, dynamique. On s'est dit "ca y est, il va tout modifier ça va être génial".

Gisèle Delamare, ancienne salariée de Wonder

Wonder, au départ, est une entreprise fondée à Paris en 1914 par la famille Courtecuisse. Elle fabrique des piles salines, et fournit notamment les armées françaises et anglaises durant la Première guerre mondiale. Le succès arrive avec la démocratisation des transistors. La fabrication s'implante en Normandie, où trois usines sortent de terre, à Louviers, Vernon et Lisieux. Wonder détient alors plus de 37% du marché, loin devant Mazda pour ne citer qu'eux. D'autres fabriques Wonder s'implanteront plus tard dans la région, notamment à Dieppe et à Caudebec-lès-Elbeuf.

Un empire énergétique naît... pour quelques décennies seulement. Au début des années 70, l'avènement des piles alcalines rend obsolète la technologie française. Dépassée par la concurrence internationale, Wonder dévisse, les plans sociaux arrivent. A Lisieux, 25% des salariés prennent la porte entre 1982 et 1984. Alors, quand Bernard Tapie débarque avec son énergie et ses grands sabots, tous croient en un rebond. 

Il nous a dit qu'il ne pensait non pas rattraper les concurrents, mais les dépasser.

Patrick Lepeltier, ancien salarié de Wonder

Mais l'entrepreneur n'est pas là pour faire dans le social. Son crédo, c'est l'achat-revente et le bénéfice. Rapidement, il entreprend une profonde restructuration de Wonder. Pour le grand public, cela prend la forme d'une publicité mythique dans laquelle Bernard Tapie apparait et scande qu'il "marche à la Wonder".

Derrière le clinquant du spot réalisé par Jacques Séguéla, il y a le revers social. En France, 600 salariés se retrouvent sur le carreau. A Lisieux, l'usine ferme, tout simplement. Les 244 employés de la fabrique ont beau manifester durant une semaine, rien n'y fait. Sur les cadavres de ces salariés,  Tapie, lui, jubile. L'action de Wonder a pris 560% en quelques mois !

Liquidation éclair et plus-value record

Le scénario de Lisieux se reproduit un an plus tard à Saint-Ouen, le siège historique de la marque de piles, où 270 licenciements sont annoncés en septembre 1985. Bernard Tapie ne fait pas le sale boulot, il le laisse à Gilbert Bréton, son bras droit chez Wonder, qui se retrouve séquestré durant 24 heures. Sans résultat pour les salariés là non plus. Quatre ans plus tard, en 1988, le businessman français se lance dans la politique et revend Saft-Mazda-Wonder à l’américain Ralston Energy Systems, père d'Energizer. Bernard Tapie récupèrera dans l'affaire 480 millions de francs, soit une plus-value de 73 millions d'euros ! 

La dernière usine Wonder persistante, à Louviers, met la clé sous la porte en 1994. Aujourd'hui, on trouve encore quelques piles életriques de la marque française en Afrique noire. Quant à l'usine de Lisieux, elle est longtemps restée une friche industrielle, jusqu'à l'année dernière. Comme un pied de nez à la vie de Bernard Tapie, le tribunal y a établi ses quartiers. La nouvelle cité judiciaire a été inaugurée en septembre 2020. 

 

 

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