En digérant, les bovins émettent beaucoup de méthane, un redoutable gaz à effet de serre. Dans l'Orne, une ferme expérimentale étudie l'alimentation et la génétique des vaches pour alléger les rejets dans l'atmosphère. C'est une question de survie pour l'élevage comme pour la planète.
C'est leur principal passe-temps. Elles mangent et elles ruminent innocemment, du matin au soir, dans les prairies comme dans la stabulation. Chaque jour, une vache se nourrit de 22 kilos de matière sèche, ce qui peut nécessiter d'ingurgiter une centaine de kilos d'herbe fraîche...
Au sein de l'unité expérimentale du Pin, tout est calculé. C'est même la vocation de cet outil piloté par l'INRAE, l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'alimentation et l'Environnement. L'exploitation est installée près du haras du Pin. Elle abrite un troupeau de 500 têtes de bétail dont 250 vaches laitières, des vaches de laboratoire qui s'ignorent.
Notre reportage sur place :
Vaches de laboratoire
Elles mènent leur vie, elles donnent du lait, sans se douter que des ingénieurs et des chercheurs les observent. "Des travaux de recherches fondamentales et appliquées y sont menés tout au long de l’année, en collaboration avec des équipes scientifiques de INRAE, de l’enseignement supérieur et des instituts techniques et des entreprises privées ou publiques", explique l'Institut.
Depuis 2016, une cohorte de 160 vaches fait l'objet d'un suivi bien particulier. Ce troupeau a été baptisé Triple XL, parce qu'il fait cohabiter trois races laitières, la Normande, la Prim'Holstein et la Jersiaise. Chaque jour, les chercheurs mesurent les rots du troupeau.
Sur le papier, le sujet est peu ragoûtant. Mais il est d'une importance capitale. En digérant, une vache rote. Beaucoup. Elle rejette ainsi 300 grammes de méthane par kilo de matière sèche avalée. Soit à peu près 6 kilos par jour. Un peu plus de 2 tonnes chaque année.
Dans la stabulation, des petites logettes accueillantes calculent tout. "Quand la vache passe la tête dans cette machine, elle est reconnue, explique Frédéric Launay, le directeur de l'établissement. Du granulé tombe. La vache va le mâchouiller. Tout en mangeant, elle émet du méthane". Un capteur semblable à celui utilisé dans les mines mesure la quantité de gaz émise. "Comme on sait tout ce qu'elle mange, cela nous permet de prédire les émissions de méthane de chaque vache".
Or ce méthane (CH4) est l'un des principaux gaz à effet de serre. Certes, en brûlant des énergies fossiles, les êtres humains produisent bien plus de dioxyde de carbone, mais le méthane a la particularité d'emprisonner trente fois plus de chaleur ! Les émissions de méthane, dues principalement à l'agriculture, constituent la deuxième cause du réchauffement de notre planète.
Faut-il réduire la consommation de viande et de lait pour limiter le nombre de vaches et de bœufs ? C'est ce que préconisait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2023. "L’élevage bovin est responsable en France de 11,8 % des émissions d’équivalents CO2, comparables à celles des bâtiments résidentiels du pays", notent les sages. "Le respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane appelle nécessairement une réduction
importante du cheptel". La perspective fait frémir le monde agricole.
L'herbe et la génétique
Dans l'Orne, l'INRAE cherche une autre voie. "Nous essayons de trouver comment réduire les émissions de méthane. On étudie la génétique des animaux, la manière de conduire l'élevage et l'alimentation", explique Frédéric Launay.
La nourriture idéale qui éviterait les rots des vaches n'existe pas. Des céréales et des protéagineux permettent bien de réduire la production de méthane, mais leur production et leur transport émettent d'autres gaz à effet de serre...
La génomique permettra aux producteurs laitiers de choisir des bovins géniteurs qui les aideront à produire:
— Science canadienne (@ScienceCdn) July 14, 2023
• plus de lait;
• moins d’émissions de méthane (un défi important pour cette industrie en ce qui a trait à la réduction des GES).
Plus d’info: https://t.co/oyzMJlnXol pic.twitter.com/u1FC0gMrZo
La piste de la génétique semble plus prometteuse.
"L'idée c'est de trouver dans le génome des parties qui vont produire les vaches qui émettront moins de méthane. Grâce à nos études, on est déjà en capacité de proposer aux éleveurs une prédiction de la valeur génétique sur ce critère du méthane.
Frédéric LaunayDirecteur de l'Unité expérimentale INRAE du Pin
Dans l'immédiat, c'est sans doute la manière de conduire le troupeau qui peut s'avérer le plus efficace et dans la ferme expérimentale du Pin, les chercheurs étudient les bienfaits de l'herbe.
"En Normandie, nous avons un atout avec les prairies qui sont souvent entourées de haies. Ce sont des puits de carbone". Le troupeau Triple XL passe le plus de temps possible dehors, ce qui suppose une organisation rigoureuse. "On veut montrer que c'est possible avec un troupeau de 160 vaches parce qu'on s'aperçoit que dans l'agriculture, plus les troupeaux grandissent, plus la part du pâturage diminue".
L'herbe donc, le retour aux techniques ancestrales plutôt que le hors-sol, voilà ce qui pourrait contenir les effets néfastes de l'élevage : "C'est une manière d'envisager la vache non pas toute seule, mais dans son écosystème, avec une vache qui produit du méthane, mais aussi des prairies qui en captent."