Depuis le confinement et l’arrêt des courses hippiques, la filière du trot, très présente en Normandie et dans l’Orne, subit une crise financière. Même si les hippodromes doivent rouvrir le 11 mai, beaucoup d’écuries craignent de ne pas réussir à se remettre en selle.
Ses chevaux, Anthony Schmitt n’a jamais cessé de les chouchouter. Depuis l’arrêt des courses, il doit s’en occuper comme avant le confinement.
Comme nous, les chevaux doivent manger. Leurs pieds continuent à pousser donc le maréchal ferrant doit continuer à venir, le marchand d’aliment continue à nous livrer… Les frais ne se sont pas arrêtés avec le confinement.
Anthony Schmitt, entraîneur de trotteurs dans l'Orne
Même si le régime d’entraînement est plus léger, les trotteurs poursuivent leurs tours de piste. A seulement 28 ans, Anthony Schmitt a monté son écurie il y a 3 ans. Il n’a pas de salarié, seulement un prestataire de service, et s’occupe d’une trentaine de chevaux. Depuis le confinement, il a perdu plus de la moitié de son chiffre d’affaire :
Ce n’est pas une grosse structure. J’ai une petite dizaine de chevaux en pension mais avec l’arrêt des courses je fais payer les propriétaires moins cher. Sinon, je n’ai que 6 ou 7 chevaux à courir, ces chevaux-là me permettent de rentrer entre 5000 et 10 000 euros par mois en temps normal. Comme je ne suis pas une grosse écurie, certains de ces chevaux sont en location. Ils sont à ma charge. Quand ils courent ça me fait rentrer de l’argent mais quand ils ne courent pas, c’est plus compliqué. Personnellement, je ne pourrai pas tenir comme ça encore deux ou trois mois.
Anthony Schmitt, entraîneur de trotteurs dans l'Orne
40% des écuries menacées de fermeture
La situation d’Anthony Schmitt est loin d’être un cas isolé. La Normandie - et l’Orne en particulier - est la terre par excellence des trotteurs. Certaines écuries comme celle de Sébastien Guarato, par trois fois vainqueur du Prix d’Amérique, font régulièrement les gros titres de la presse.Pourtant, beaucoup d'entreprises sont précaires et composées en moyenne de 2 salariés et demi comme l’explique Stéphane Meunier, le président du Syndicat des Entraîneurs, Drivers et Jockeys de Trot (SEDJ) :
Il y a des a priori depuis des années sur la filière course. L’image des gens riches avec des chapeaux haut-de-forme est fausse. En vérité, nous sommes des TPE (très petites entreprises) avec les mêmes problématiques que n’importe quelles autres entreprises. J’ai des collègues qui m’appellent tous les matins pour signaler leur détresse. S’il n’y a pas de plan d’urgence, c’est plus de 40% des entreprises qui vont rester sur le carreau.
Stéphane Meunier, président du Syndicat des Entraîneurs, Drivers et Jockeys de Trot
Rien qu’à lui seul, le département de l’Orne compte 110 entreprises et plus de 300 salariés dans la filière trot. Sur 28 822 chevaux de course déclarés en France, 3 200 sont déclarés dans l'Orne et quasiment que des trotteurs.
Les revenus des écuries sont répartis entre les pensions payées par les propriétaires des chevaux aux entraîneurs et les gains des courses. Une écurie de course de trot standard fait 300 000 euros de chiffre d affaire par an, soit 24 000 euros par mois.
23% du chiffre d'affaire vient des pensions (5707 euros par mois) et 67 % des gains des courses (18 7000 euros par mois). En moyenne, avec l'arrêt des courses, les écuries de l'Orne ont donc perdu 18 700 euros par mois.
Privés d'aide directe
Le 21 avril dernier, les acteurs du monde des courses hippiques ont rencontré Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, et Didier Guillaume, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. L’Etat a indiqué que quelques hippodromes rouvriront à huis-clos à partir du 11 mai et a annoncé un report d’une partie des charges fiscales pour soutenir la trésorerie du secteur. Mais les ministres ont fermé la porte à une aide directe demandée notamment par l’ensemble des syndicats de la filière trot.On nous a refusé de bénéficier d’une partie de l’enveloppe globale de 280 millions d’euros réservée pour le moment aux centres équestres, aux élevages canins, aux cirques et aux zoos. On demande à l’Etat que les courses et les chevaux de travail soient réintégrés à cette enveloppe. On demande aussi l’annulation des charges et un plan de relance pour le PMU qui va aussi subir la fermeture prolongée des cafés. On est en train de fragiliser les plus fragiles.
Stéphane Meunier, président du Syndicat des Entraîneurs, Drivers et Jockeys de Trot
Stéphane Meunier craint que les difficultés financières des écuries aient un impact sur la santé des chevaux : « Si l’entraîneur ne peut pas soigner son cheval convenablement, le faire vacciner, il ne faudrait pas que l’on ait derrière une crise sanitaire avec une épidémie de grippe équine ou de rhinopneumonie »
Retour des courses mais à huis-clos
Avec la reprise des courses à huis-clos le 11 mai et des paris hippiques, la filière devrait retrouver un peu d’air. « Nous sommes prêts, assure Stéphane Meunier. Nous avions déjà couru à huis-clos avant le confinement. Cela avait été très bien géré et nous n’avions pas eu de cas de contamination. Il y a un cahier des charges. »Mais seulement quelques hippodromes vont rouvrir dans la région, et uniquemeny pour des courses nationales. Tous les chevaux ne vont sans doute pas repartir tout de suite au trot, ce qui pose question à Anthony Schmitt :
Mes chevaux ne sont pas dans de grosses catégories de gains, donc ce sont davantage les courses de province qui me font vivre, et là on ne sait pas vraiment quels hippodromes vont rouvrir. Ce n’est pas évident de savoir comment on va gérer ça, comment des chevaux qui n’ont pas de gain vont faire pour pouvoir courir, et est-ce qu’il y aura assez de courses pour tout le monde ? On ne sait pas du tout.
Anthony Schmitt, entraîneur de trotteurs dans l'Orne
Reste aussi à savoir si les parieurs seront au rendez-vous, eux qui ne vont pas retrouver le chemin du bar PMU de sitôt.