Il y avait en France au début du siècle dernier des centaines d'éleveurs de visons d'Amérique, recherchés pour leur fourrure très à la mode. Aujourd'hui, ils ne sont plus que cinq. L'un d'entre eux vit caché dans l'Orne et redoute les défenseurs de la cause animale. Faut-il interdire ces élevages ?
Alors qu'à Paris les défilés de prêt-à-porter de la Fashion Week font l'actualité, le scandale des fourrures portées revient sur le devant de la scène. C'est en France une question qui divise. Faut-il pérenniser ce petit artisanat ancestral et passer une fois pour toute au tout plastique ? Deux visions sur le vison qui s'opposent.
Les pro-fourrures et les métiers de la mode redoutent un effet boule de neige dans toute la fillière s'ils laissent les éleveurs de visons disparaître.
Twitter - "la fourrure est la première digue à tenir face à la terreur animaliste" :
La preuve édifiante que la #fourrure est la première digue à tenir face à la terreur #animaliste dans la #mode et l'habillement : après quoi, ce sera le tour de la laine, du cuir, de la soie ... https://t.co/7sJRFjtzqH
— Centre National d'Information sur la Fourrure (@Fourrure_info) September 5, 2019
Dans la mode, le lobby pro-fourrure insiste sur le tout plastique, pas plus écologique !
Une autre manière de lutter contre le #plastique: préférer le naturel au synthétique dans l'habillement, comme la #fourrure, le #cuir, la #laine ... . Et c'est bon pour l'#artisanat ?? et les métiers d'art !https://t.co/oPngzm2dVO
— Centre National d'Information sur la Fourrure (@Fourrure_info) September 6, 2019
Le calvaire de l'animal pointé dans ces fermes à fourrure
Depuis de nombreuses années, l'association 30 millions d'amis relaie, en revanche, la "souffrance" de ces petits animaux mis en cage alors qu'ils sont faits pour vivre dans l'eau près des rivières, où ils chassent et pêchent pour se nourrir.
D'ici 2024, les Pays-Bas et la Belgique vont interdire définitivement l'élevage de visons. "Un choix courageux qu'il est tout à fait possible de faire en France", explique Muriel Arnal, présidente de One Voice. "ça représente 6 millions d'animaux pour la Hollande et 160 élevages. Ils ont 4 ans pour préparer leur reconversion"
Dans les vidéos de propagande diffusées par l'association One Voice qui milite pour le droit absolu des animaux au respect, on observe des animaux stressés dans leurs cages.
Ils sont nourris à l'aide d'une bouillie de viande et d'os brisés.
L'élevage de La Chapelle d'Andaine (61) mis en avant :
Vidéo propagande de l'association One Voice filmée à l'insu de l'éleveur, dans une semi-obscurité :
On y voit des animaux stressés qui vont et viennent sans relâche. Rien de très insalubre, contrairement à ce qui a pu être observé dans des élevages voisins.
Mais tout dépend où l'on place le curseur, celui du bien-être animal. "Quel que soit leur lieu de séquestration à Spincourt (Meuse), Montarlot-lès-Rioz (Haute-Saône), La Chapelle-d'Andaine (Orne) et Champrond-en-Gâtine (Eure-et-Loir), ces visons - par nature solitaires, avides d'espace et d'exercice - sont condamnés à la promiscuité et l'enfermement. Entassés dans des cages souvent crasseuses, ils suffoquent au sein d'atmosphères sordides où la puanteur et le désespoir règnent en maîtres", affirme One voice.
L'éleveur a reçu une équipe de France 3 Normandie, ce mardi 24 septembre 2019, pour qu'elle vienne constater sur place les conditions d'élevage. Bien évidemment, notre heure d'arrivée était convenue, mais l'éleveur qui reste discret sur les pages jaunes comme sur Internet, s'est montré plutôt ravi de nous faire entrer dans ces lieux habituellement fermés au public.
Certes, c'est une immense concentration de cages. Mais il prend soin de nous préciser tout de suite qu'elles sont au-delà des normes imposées : soit plus grandes pour une moins forte promiscuité.
Très vite, nous constatons une différence évidente avec les images diffusées par One Voice, car cette fois les visons sont calmes.
Quand ils rentrent dans un élevage pour le filmer, ils (ndlr : les animalistes) essayent de les exciter en tapant sur les cages. Tout ça pour faire croire, ensuite, que les animaux sont stressés. (Alain Desvaux- Eleveur de vison à la Chapelle d'Andaine)
Vidéo France 3 Normandie : L'élevage de l'Orne de l'intérieur
Dans les normes pour les services vétérinaires : 14200 visons dans l'Orne
L'élevage de la Chapelle d'Andaine existe depuis 1987 et la préfecture de l'Orne et ses services vétérinaires précisent que "Cet élevage détient actuellement environ 14 200 visons d'Amérique dont 2 400 reproducteurs et 11 800 jeunes visons. Celui-ci répond à la réglementation qui s'applique à ce type d'établissement. Des inspections sont réalisées régulièrement dans cet élevage et la dernière datant du 17 juillet 2019 n'a permis de constater aucune irrégularité sur la détention des animaux qui sont bien maintenus en captivité et bénéficient d'installations et de conditions d'élevage conformes à la réglementation."
En pleine fashionweek, à Paris, et quelques jours après l'incendie criminel qui a ravagé un élevage de poulets dans l'Orne, les renseignements territoriaux sont sensibilisés et surveillent les exploitations.
Le danger des évasions pour la faune sauvage
"On a surtout peur qu'ils viennent ouvrir les cages. Ce serait une catastrophe", assure Alain Desvaux, à la tête de l'élevage ornais.
En effet, les dangers de l'expansion du vison d'Amérique ne sont plus une légende. On sait depuis quelques années qu'il ne reste plus ou presque plus de visons d'Europe, en France, excepté en Charentes.
Partout ailleurs, dans la nature, c'est le vison d'amérique qui domine. "Cela vient des petits élevages d'avant-guerre. En Bretagne par exemple, il n'était pas rare de voir dans les fermes quelques clapiers réservés aux visons vendus ensuite aux tanneurs pour leur fourrure. La mode était alors très consommatrice de fourrure. Puis avec l'industrialisation des années 50, tous ces petits éleveurs n'ont plus vendu et ont relâché les bêtes dans la nature. On voit le résultat aujourd'hui, de la Bretagne, c'est aujourd'hui la Normandie qui est envahie", explique le spéciaiste des visons à l'ONCFS qui a particpé à la rédaction d'un rapport en 2018 sur l'expansion du Vison d'Amérique en France.
"Depuis le foyer breton, l’espèce a entamé une colonisation vers la Normandie avec des présences signalées dès la décennie 1990 (carte). Au début des années 2000, on l’observe dans le sud du département de la Manche, dans l’ouest de l’Orne et assez largement dans le Calvados. Dans l’Orne, l’aire occupée a peu évolué et le nombre de captures annuelles reste faible (2 à 6 animaux). Certaines observations semblent liées à des captures d’animaux fugitifs en provenance de la visonnière toujours en activité dans l’ouest du département (La Chapelled’Andaine)."
Carte de l'ONCFS : l'expansion du vison d'Amérique dans la nature (en rouge)
Des élevages de toutes façons condamnés à court terme ?
Alors que le Ministère de la Transition écologique et solidaire doit au mois d'octobre rendre ses conclusions à propos du bien être animal en France, il est question d'interdire les animaux de cirque mais aussi l'élevage de visons. "Et nous avons vraiment bon espoir", affirme la présidente de One voice. L'association a participé aux tables rondes de l'été.
Mais c'est aussi à cause des risques de l'expansion du vison d'Amérique et de l'extinction de l'espèce endémique que le glas pourrait sonner pour cette activité traditionnelle, héritière du petit artisanat du cuir et de la fourrure.
Le règlement européen pour limiter l'expansion des espèces exotiques est en train d'évoluer. Et Bruxelles pourrait faire entrer prochainement le vison dans la liste des 50 espèces aujourd'hui interdites à la vente, au commerce et à l'usage.