Les salaires ne suivent pas : avec un litre d'essence à plus de 2 euros, "est-ce que ça vaut encore le coup d'aller travailler ? "

A La Ferté-Macé, la hausse vertigineuse du prix des carburants renforce l'impression que "tout augmente". Dans cette ville aux revenus modestes, les budgets étaient déjà serrés. "On fait encore plus attention quand on fait les courses. On vit au jour le jour ". Les débats de la présidentielle n'intéressent guère tant ils semblent être "en dehors de la réalité".

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Il fallait bien ajuster les prix et appliquer les tarifs communiqués par l'enseigne. C'était le mercredi 9 mars. La patronne de la station Total de Rânes a affiché le litre de gasoil à 2,34 euros : elle en a eu "mal au ventre". Même prix pour le Super sans plomb 98. Heureusement, la compagnie pétrolière applique une ristourne de 10 centimes par litre pour amortir le choc. Car c'en est un.

"Le prix augmentait de 3 à 4 centimes par semaine. Mais là, avec l'Ukraine... Mon terminal de paiement m'a envoyé un message d'erreur. Même lui devait penser qu'une telle hausse, ce n'était pas possible", raconte Corinne Hélie avec un sourire amer. Ses pompes à essence sont installées devant le garage familial, sur la route de la Ferté-Macé. Elles ravitaillent les véhicules des entreprises qui ont un compte chez Total et les gens du coin. Les stations de Leclerc et Intermarché, un peu moins chères, sont situées à 13 kilomètres... 

Un client m'a dit aujourd'hui : si c'est ça, j'arrête de travailler !

Corinne Hélie, garage Hélie, Rânes (Orne)


"Je plains ceux qui se chauffent au fioul ! "

Le pistolet à la main, Dominique Hidalgo regarde le compteur s'affoler à mesure que le réservoir se remplit. "Je suis à la retraite. On roule moins, mais quand même ! Les prix sont aberrants. Je plains vraiment ceux qui se chauffent au fioul". Il raccroche le pistolet. En décroche un autre pour remplir un bidon de super destiné au motoculteur. "J'ai fait 44 ans dans la maçonnerie. J'ai pas une grosse retraite. On n'a pas 2000 à nous deux. Tout augmente, mais la pension n'a jamais bougé", ajoute-t-il. Il cultive le jardin, s'occupe du poulailler et chauffe au bois. "On fait attention à tout. Pas de dépenses inutiles. Si on fait pas ça, on n'y arrive pas". 

Depuis plusieurs mois, la grande consultation nationale MaFrance2022 vous permet d’exprimer vos propositions en vue de l’élection présidentielle. Le thème du pouvoir d'achat arrive souvent en tête des préoccupations. A l'heure où le prix de l'énergie s'envole, nous avons souhaité nous rendre à la Ferté-Macé, une ville aux revenus modestes où beaucoup de foyers sont aujourd'hui fragilisés par l'inflation.

 

Le jeudi, c'est le jour du marché à La Ferté-Macé. Les marchands de primeurs et les vendeurs de vêtements déploient les étals entre l'église Notre-Dame et la mairie. Le bar du centre fait le plein. On s'y réchauffe. On y retrouve des connaissances. On cause. L'écran de télé fait défiler des paysages de carte postale. Le poste diffuse de la musique. Le patron ne le branche jamais sur les chaînes d'info pour s'épargner des débats stériles. Du reste, personne ne se plaint de ne pouvoir regarder les images inquiétantes de la guerre en Ukraine. Encore moins de ne pas être tenu informé des derniers sondages de la présidentielle.

"Les gens ici, c'est des ruraux.. Ils ont besoin de leur voiture pour tous les déplacements"

"Le seul sujet du moment, c'est l'essence, les carburants, explique Sylvain Gimay. Quelqu'un m'a encore dit ce matin qu'il avait fait un plein à 127 euros. C'est un sujet sensible", insiste le patron du bar qui s'en va servir deux cafés en terrasse. Vue imprenable sur le marché. "Les gens ici, c'est des ruraux. Ils ont besoin de leur voiture pour se rendre à leur travail. Souvent 25 à 30 kilomètres. Dans les grandes villes, les gens ont le tram, le métro. Ici, le moindre déplacement se fait en voiture. Même en centre-ville, une personne âgée qui a un rendez-vous à l'hôpital, c'est à deux kilomètres, elle prend la voiture. Tout le monde s'inquiète, y compris les retraités qui commencent à avoir du mal à se rendre dans les régions où leurs enfants se sont installés."

Les marchands remballent un peu avant 13h. Nul ne dira s'il a fait de bonnes affaires. Un ancien jure cependant qu'il y a "moins de monde qu'avant". Le commerce de centre-bourg souffre, comme dans la plupart des villes moyennes. De nombreux magasins sont fermés, parfois depuis des années. A la périphérie, Intermarché et Leclerc vantent leurs prix bas : ils ne désemplissent pas. Les deux grandes surfaces sont même un passage obligé pour faire le plein : elles détiennent le monopole de la vente de carburant à La Ferté-Macé.

"On est une ville de smicards avec beaucoup de petites retraites"

Après le marché, les anciens ont pris l'habitude de se retrouver dans une salle de la maison Bobot pour jouer aux cartes. Ça passe le temps agréablement et ça ne coûte pas cher. L'Union des retraités revendique 146 adhérents dans une ville où 40 % de la population a passé l'âge de travailler. "La pension ne bouge pas. La CSG augmente. Le gasoil, les courses, tout." Belote ! "Les légumes sur le marché, vous voyez les prix ? " Rebelote ! "Avec le Covid, depuis deux ans, on n'a pas fait grand chose. Pas de sorties, pas de voyages. Franchement, on n'est pas les plus à plaindre", nuance Yvon. Pas mieux !

"C'est plus dur qu'avant. Je le vois bien au niveau des inscriptions, explique Roland Fouchet qui préside l'Union des retraités. Faut pas oublier qu'on est une ville de smicards. Les gens de ma génération gagnaient le smic. Ça fait des petites retraites. Aujourd'hui, il y en a qui sont en difficulté, mais ils ne disent rien. À la rigueur, c'est moi qui pourrait le détecter".

Le maire de la Ferté-Macé élu en 2020 le confirme : sa ville est de celles qui comptent le plus de foyers non-imposables. Le revenu moyen est à peine supérieur à 1500 euros par mois. Ce n'est pourtant pas le travail qui manque : "on a plus de 8 000 emplois sur notre bassin de vie. Le taux de chômage est tombé à 7,2 %", explique Michel Leroyer. Les usines alentours recrutent, mais les salaires demeurent faibles. "Il faudrait des emplois plus qualifiés, mais on a besoin du soutien de l'État. Qu'on ne nous déménage pas des formations au lycée professionnel dès qu'il y a un problème d'effectif".

"On a beaucoup de femmes seules avec des enfants, des petits revenus", souligne encore un maire (sans étiquette) aujourd'hui dépité par les réponses qu'apportent l'État et le personnel politique. "Bien souvent, le discours qu'on entend est calibré pour les grandes villes. Ces gens à faibles revenus, on va leur demander de supprimer la chaudière au fioul ou d'arrêter le diesel pour passer à l'électrique. Avec quels moyens ? À côté de cela, les sujets importants ici ne sont jamais abordés. la désertification médicale par exemple".

C'est un pays de taiseux. Les gens travaillent et ne se plaignent pas. Ils ne sont pas forcément satisfaits de leur sort, mais ils continuent à travailler.

Michel Leroyer, maire de La Ferté-Macé

"Je suis dans le rouge tout le temps"

Au pays des fins de mois difficiles, rares sont ceux qui acceptent de dire ouvertement leur gêne. Une femme d'une cinquantaine d'années nous reçoit dans sa cuisine/salle-à-manger. Divorcée, elle vit seule avec deux grands enfants encore un peu à la maison. Elle ne veut pas que son nom soit cité. "Ici tout le monde se connaît et je n'ai pas envie qu'on parle dans mon dos". Comment avouer qu'elle ne s'en sort pas sans risquer des commentaires désobligeants ? Car enfin, elle a un travail !

"En fait, je suis dans le rouge tout le temps" dit cette femme coquette que nous appellerons Isabelle. Elle travaille dans une compagnie d'assurance pour un salaire de 1600 euros. 28 kilomètres à l'aller, autant le soir pour rentrer. "J'ai plus de 1000 euros de charges fixes, loyer, assurances, remboursement de voiture. Une centaine d'euros d'APL. Voyez ce qu'il reste pour faire les courses, faire les pleins de gasoil. Au moindre imprévu, je creuse le découvert".

"Hier, j'ai fait des courses avec mon fils. J'en ai eu pour 50 euros et il n'y avait presque rien dans le charriot. Que des trucs utiles". Isabelle dit la fatigue qui s'installe à devoir "toujours faire attention". Elle privilégie le drive "pour ne pas être tentée dans les rayons du magasin". Elle n'achète plus de vêtements. Ne part pas en vacances. Elle confie aussi sa lassitude : "J'ai toujours travaillé, c'est quand même dur à avaler. Je n'ai aucune marge. Je ne peux donc pas faire de projet. Je vis au jour le jour et j'essaye de m'en contenter".

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