Stress, souffrances, dépérissements: dans l’Orne, les chênes montrent les premierssignes d’inadaptation face à l’élévation de la température. Un dispositif européen teste des essences indigènes pour anticiper les changements de plantation à envisager dans les prochaines décennies.
Moussonvilliers, non loin de Verneuil-sur-Avre. Dans cette petite forêt privée, un inventaire précis répertorie chaque arbre : essence, diamètre et état de santé. « Ici, on a relevé un impact dû au changement climatique: les chênes pédoncules ou encore les chênes sessiles sont les premiers à souffrir. Le sol est argileux, les précipitations assez faibles, les racines n’aiment pas descendre pendant l’hiver car c’est asphyxiant. Elles restent en superficie et l’été, la réserve d’eau est faible ....Les arbres dépérissent », explique Eric Hincelin du Centre Régional de la Propriété Forestière ( CRPF). Cette découverte a surpris l’ingénieur forestier.
« Jusque-là, la problématique du dépérissement forestier touchait les régions Aquitaine, Poitou-Charentes, Pays de Loire...En Normandie, on a participé à l’étude en se disant qu’on sera des témoins sur lesquels on a rien...Et on en a finalement trouvé ».
Pour diminuer leurs souffrances, les arbres ornais tente de corriger leur déperdition en faisant mourir branches et feuilles. « On est un peu perdu, pourquoi un arbre dépérit alors que son voisin récupère...Il va nous falloir remettre à plat toutes nos connaissances. D’autant que pour l’instant, on a pris qu’un seul degré... Quelle sera la situation quand on en aura pris 2, notamment dans cette zone d’extrême vigilance ? ».
Pour éviter la coupe des futaies
« Si ma forêt n’était pas dans une zone Natura 2000, je crois que je la raserai et la remplacerai par des résineux...Si ma forêt crève, économiquement, il me faudra trouver quelque chose de viable », confie le propriétaire de la forêt. C’est pour éviter ce genre de réaction que le CRPF tente de former les propriétaires privés. Dans la région, la forêt privée représente 79 pour cent, 52 000 propriétaires au total. « Leur apprendre, leur donner des consignes comme des coupes d’éclaircies ». Derrière, un enjeu de maintien de la biodiversité.
Un laboratoire naturel
A quelques kilomètres de Moussonvilliers, Monceau-au Perche. Dans un champ vallonné représentatif du massif forestier du Perche, un arboretum saugrenu a été planté : Eucalyptus australien, cèdre d’Afrique du Nord ou du Liban, Douglas nord-américain, cunninghamia asiatique. Au total, 38 espèces testées dans cet arboretum qui fait partie d’un réseau européen, le programme Reinfforce ( REseau INFrastructure de recherche pour le suivi et l’adaptation des FORêt au Changement climatiquE). Depuis le sud de l’Ecosse jusqu’au sud du Portugal, le comportement des essences sera analysé au travers d’évaluations menés sur les 38 arboretums répartis sur l’arc atlantique. Ce « laboratoire naturel » aidera la recherche forestière à trouver des réponses sur l’adaptation des forêts au changement climatique. La croissance, l’état sanitaire et la phénologie seront étudiés sur une période de 15 ans.
Des séquoias en Normandie ?
Sur 3 rangs, Denis Golliard, forestier, mène bénévolement l’expérience avec son épouse et son beau-frère. « On est en première ligne. Le bois est une filière économique importante, c’est ce qui nous fait vivre. Et puis, dans la sylviculture, une décision engage sur de longue période, parfois un siècle ». La filière bois représente 7 à 7500 emplois. A Monceau-au-Perche, pins maritimes, pins parasols, mélèzes, chênes liège ou encore robiniers voisinent avec les eucalyptus. « Sur quatre espèces d’eucalyptus, trois ont gelé ». Un séquoia américain se tient fièrement. « C’est peut-être ça l’avenir ! »