REPORTAGE. Ils traquent les plantes invasives et toxiques pour l'homme et la biodiversité

Depuis huit ans, en Normandie, la brigade d’intervention contre les espèces exotiques envahissantes mène une lutte sans fin contre ces plantes venues d’ailleurs qui menacent la biodiversité et la santé humaine.

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Lorsque nous arrivons aux Andelys dans l’Eure, à la rencontre des agents de la brigade d’intervention rapide, l’image est saisissante.

Un tapis verdoyant d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur recouvre la totalité de la surface de la mare, une étendue d’eau d’environ 1 000 mètres carrés. Et ce n’est que la face émergée du myriophylle du Brésil.

En progressant avec Rémi Mandra et ses coéquipiers, nous comprenons vite que cette plante a entièrement infesté la mare. Sous nos pieds, les racines qui plongent jusque dans le fonds rendent la marche difficile. 

Le myriophylle du Brésil, une espèce exotique envahissante 

Ce végétal classé aujourd’hui parmi les Espèces exotiques envahissantes (EEE) a longtemps été commercialisé dans les jardineries avec pour argument de vente sa prétendue capacité à oxygéner l’eau.

Mais comment est-il arrivé dans cette mare ? Un léger sourire aux lèvres, signe de son habitude à répondre à cette question, Rémi Mandra explique :

On ne peut pas connaître l’historique de chaque mare. Mais en général, le myriophylle y est introduit par l’homme. Dans la plupart des cas, quelqu’un souhaite se débarrasser de son aquarium et vide son contenu dans une étendue d’eau. 

Rémi Mandra, responsable de la brigade d'intervention contre les espaces exotiques envahissantes

En quelques années à peine, un simple fragment de plante a suffi à l’infestation totale car le myriophylle se reproduit par bouturage. D’ailleurs, en 2016, la mare avait une toute autre physionomie comme l’attestent ces clichés pris par la SECA, la Société Ecologique du Canton des Andelys, une association qui mène des actions pour préserver l’environnement.

Intervenir le plus précocement possible

Pendant plusieurs jours, habillée de cuissardes étanches, la brigade de Rémi va méticuleusement arracher à la main chaque pied de myriophylle : « nous allons chercher sous l’eau les racines. Nous arrachons ainsi tous les rhizomes en tentant au maximum de limiter la fragmentation de la plante. Une intervention manuelle est plus minutieuse car elle permet de quasiment tout retirer. Ensuite, plusieurs fois par an, nous viendrons faire des contrôles et retirer les pieds qui nous auraient échappés ».

Si rien n’est fait, ce sera sans aucun doute la mort accélérée de cette mare. Son cycle naturel est de se reboucher. C’est ce qu’on appelle l’atterrissement : les matières organiques remplissent progressivement le plan d’eau.

Mais avec cette EEE, le processus s’accélère : « le myriophylle assure la photosynthèse uniquement à la surface de l’eau. Il asphyxie les autres plantes comme les algues, qui sont à la base de la chaîne alimentaire dans ce plan d’eau. Cela a donc des répercussions sur tout l’écosystème. Plus on intervient précocément, plus la lutte est efficace » détaille Rémi Mandra.

Un impact sur la biodiversité

Sans compter que le canton des Andelys renferme d’autres mares. Transporté involontairement par un animal ou un être humain, le myriophylle pourrait également les coloniser.

D’après un rapport de l’IPBES, l’équivalent d’un GIEC des espèces invasives, publiés en septembre dernier, les EEE sont en cause dans 60% des extinctions d’animaux et de végétaux. Pour mieux comprendre l’impact écologique et lister les bons gestes à mettre en œuvre pour éviter leur prolifération, l’Office français de la biodiversité a réalisé un web documentaire.

Un risque pour la santé humaine

La Normandie compte aujourd’hui 177 espèces exotiques envahissantes. À cause des déplacements et des transports de marchandise, ces végétaux sont importés parfois de manière involontaire par l’homme. Surtout, ils arrivent seuls, sans les prédateurs qui les accompagnent dans leur région d’origine.

Résultat, certaines EEE parviennent à s’implanter dans leur nouveau milieu et se développent de manière invasive. D’après les scientifiques, on considère que sur 1 000 espèces végétales exotiques importée, une sera envahissante à long terme.

En Normandie, la brigade d’intervention rapide intervient prioritairement sur 30 d’entre elles. Notamment sur la berce du Caucase. Lorsqu’elle fleurit, les pieds de cette plante peuvent monter jusqu’à cinq mètres de haut, dessinant dans le ciel de jolies ombrelles. C’est d’ailleurs pour son caractère ornemental qu’elle a été importée en Europe de l’Ouest au 19ème siècle.

 « Aujourd’hui, elle s’est répandue dans les milieux naturels, et aussi dans les friches dans les années cinquante. C’est là que commence son envahissement du territoire métropolitain » explique Jean-François Dufaux, coordinateur du Programme régional d’actions relatif aux espères exotiques envahissantes en Normandie dont dépend la brigade d’intervention rapide.

Régulièrement, Jean-François Dunaux et l’équipe de Rémy Mandra interviennent à Yvetot, en Seine-Maritime. Malgré les fauchages fréquents des services de la ville, l’un des bassins de rétention de la commune est envahi par la berce.

Pour l’éliminer, les agents de la brigade coupent la plante sous le collet racinaire, à 15 à 20 centimètres sous la surface du sol. Et il faut sans cesse repasser. Mais si elle est montée à graine, il faut d’abord couper chaque fleur.

 Nous coupons les fleurs au-dessus d’un sac plastique en évitant autant que possible de faire tomber des graines par terre. Chaque pied contient près de 10 000 graines qui restent viables dans le sol pendant 10 ans. C’est un travail minutieux.

Jean-François Dufaux, coordinateur du Programme régional d’actions relatif aux espères exotiques envahissantes

Et le risque pour la santé humaine est important. Tous les agents s’équipent de combinaison à usage unique, de gants, de bottes et de visière. « La tige, les feuilles et les fleurs contiennent des substances photo-toxiques. Si on est en contact avec ce produit, avec les UV du soleil, on va développer des dermatites importantes qui peuvent aller jusqu’à des brûlures au troisième degré. »

Étant donné l’impact sanitaire, l’utilisation de produits phytosanitaires pourrait-elle être une solution ? « Non », répond Jean-François Dufauxn, « l’expérience a été menée dans d’autres pays. La berce du Caucase est éliminée par le glyphosate mais ça ne suffit pas à enrayer totalement sa progression. Pire, pour d’autres espèces comme la crassule de Helms, qui se développe dans les mares, un pied sur deux résiste. C’est donc inutile d’utiliser ces produits »  

Un foyer d’ambroisie détecté en 2021 

Certaines EEE très dangereuses pour la santé humaine n’ont pas encore colonisé le territoire normand. En tout cas pas au niveau de certaines régions comme en Auvergne-Rhône-Alpes où sévit l’ambroisie.

Seul un foyer près de Dozulé dans le Calvados a pour l’heure été détecté et arraché en 2021. « Lorsque nous avons été avertis, il y avait déjà 3 500 pieds », se souvient Déborah Marie, responsable du pôle Espèces Exotiques Envahissantes et Espèces à enjeu sanitaire au sein de la FREDON Normandie.

« Nous sommes intervenus avant que la plante émette du pollen. Les pieds avaient poussé au milieu d’une parcelle de miscanthus. Nous avons arraché à la main tous les pieds. Puis, comme l’exploitant agricole a broyé sa parcelle et laissé le paillage au sol, cela a recouvert toute la surface et empêché une montée à graine de l’ambroisie ». Depuis, la zone est surveillée étroitement.

Cette plante est dans le viseur de la FREDON car le risque pour l’homme est majeur. « L’allergie qu’elle crée n’est pas un simple rhume des foins » précise Déborah Marie. « Les yeux rougissent, gonflent. Les personnes allergiques sont sujettes aux migraines, à l’eczéma.

La qualité de vie est sérieusement altérée ; elles ne peuvent plus aller travailler, ce qui engendre des coûts importants en termes de santé publique. Plus un individu allergique est exposé, plus il devient sensible et plus il est impacté ».

En région Auvergne-Rhône-Alpes, en 2017, environ 10% de la population avait développé une allergie, soit 660 000 personnes. Entre les consultations, les traitements et les arrêts maladie, l’ambroisie a coûté un peu plus de 40 millions d’euros, d’après l’Observatoire Régional de la Santé.

Par extrapolation, l’ORS a établi que si la Normandie était infestée au même niveau, cela engendrerait 17 millions d’euros de dépenses supplémentaires. En juillet dernier, les préfectures des cinq départements normands ont signé des arrêtés rendant obligatoire la lutte contre l’ambroisie mais aussi la berce du Caucase et les chenilles processionnaires.

Désormais, en partenariat avec l’Agence Régionale de Santé, la Fredon sensibilise le grand public pour apprendre à reconnaître et détecter l’ambroisie. Si vous pensez avoir vu des pieds, il vous suffit de vous rendre sur signalement-ambroisie.atlasante.fr. « Même si vous n’êtes pas sûr, faites-le » invite Déborah Marie. « La FREDON fera le tri ».

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