L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a présenté son bilan annuel ce mardi 13 février. Et dresse un constat : le renouvellement des populations de poissons reste fragile, y compris en Normandie. Détails.
"Le renouvellement des populations de poissons reste fragile. Un mauvais recrutement [l’arrivée insuffisante de jeunes poissons pêchables dans les populations, ndlr] sur une année peut suffire à causer une diminution importante de la biomasse les années suivantes", assure Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques à l’Ifremer, lors d'une conférence de presse ce mardi 13 février.
Si l’on capture 100 tonnes d’une population, elles peuvent être issues d’une biomasse toute petite, trop exploitée, ou au contraire d’une forte biomasse avec une pression de pêche faible voire très faible. Les deux indicateurs sont donc essentiels.
Clara UlrichEn conférence de presse
La biomasse, c’est l’indicateur de la population de poissons adultes dans la mer. Pour établir son bilan 2023, l’Ifremer la compare avec la pression de pêche, qui indique, elle, "l’intensité de la pression humaine exercée sur les poissons".
Loin de l’objectif 100% de pêche durable
Bonne nouvelle : 56% des volumes de poisson débarqués dans l’hexagone en 2022 proviennent de populations exploitées durablement. Mais "ce chiffre n’a que très légèrement augmenté en six ans", relève Youen Vermard, chercheur en halieutique à l’Ifremer.
Le taux reste en effet bien loin de l’objectif fixé par la politique commune de la pêche européenne et initialement prévu pour 2020 : atteindre 100% des populations pêchées "au niveau du rendement maximum durable", à savoir… 100% d’exploitation durable des poissons pêchés dans la mer.
"L’objectif ultime, c’est d’avoir des populations fortes, une bonne quantité de poissons dans la mer. Mais cela implique des contraintes sur le monde de la pêche, et donc des situations politiques compliquées à gérer", souligne Clara Ulrich.
La population de lieux noirs en sérieux déclin dans la Manche
Dans la Manche, une espèce se porte particulièrement bien : la coquille Saint-Jacques. Le thon rouge de l’Atlantique, lui, est "en reconstitution" : les quotas de pêche mais aussi la bonne reprise de la reproduction ont contribué à son retour sur nos côtes.
"L’exploitation du thon rouge est considérée comme cohérente avec le rendement maximum durable", explique Clara Ulrich.
En revanche, la sardine est menacée par une surpêche importante. Et la population de lieux jaunes, considérée comme "reconstituable" dans le Golfe de Gascogne, s’est complètement effondrée dans la Manche : la biomasse des reproducteurs est trop faible pour assurer le renouvellement de la population.
Un classement qui implique un risque biologique sévère pour l’espèce, mais aussi un risque économique pour la pêche et d’incontournables restrictions.
Les eaux de la Manche menacées par la pêche de fond ?
Chaque jour 1 400 bateaux de pêche sillonnent les eaux de la Manche, dont certaines sont classées aires marines protégées, ce qui n'exclut pas l'activité humaine, comme la pêche de fond.
L’Ifremer et l’université de Caen ont ainsi dressé un état des lieux de la pression de la pêche de fond sur la santé de ses fonds marins.
L’étude, intitulée "Impact des engins de pêche sur les fonds marins et la résilience écologique du milieu", relève qu’entre 2013 et 2018, 68% de la superficie de la Manche a été balayée par des engins de pêche de fond. D’autre part, "90% de l’effort de pêche se concentre sur 41% de sa surface totale".
"Les zones les plus visitées sont constituées de sédiments grossiers et exploitées pour leurs coquilles Saint-Jacques et pétoncles, raies et requins, merlans et autres gadidés, seiches et calmars", détaille Joël Vigneau, chercheur en halieutique à l’Ifremer et coauteur de l’étude.
Les oursins, crustacés et étoiles de mer se portent bien
Malgré ces importants passages, certaines espèces sont moins impactées par la pêche de fond dans la Manche, comme semble l’indiquer leur stabilité dans le temps face aux perturbations humaines : c’est le cas des oursins, de certains petits crabes et crustacés ou encore des étoiles de mer.
Ces espèces dites benthiques sont essentielles à l’écosystème marin, puisque les poissons les plus communs dans nos eaux s’en nourrissent.
"Si ces communautés avaient été fortement modifiées sur les 10 années étudiées, nous aurions assisté à un changement des espèces de poissons débarqués", conclut Joël Vigneau.