À la découverte de l'aquaponie : quand les déjections des poissons servent à nourrir les cultures

La Normandie compte aujourd'hui trois fermes aquaponiques, la France une vingtaine. Comment fonctionne ce système basé sur la symbiose entre l'élevage de poissons et la culture maraîchère ? Quel avenir pour cette filière en France ?

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Il s’est installé à Saint-Victor-l’Abbaye, près de Dieppe, en Seine-Maritime. C’est là qu’il y a huit ans, Guillaume Schlur a lancé sa FADA, la ferme aquaponique de l’abbaye. Une exploitation où coexistent et se nourrissent réciproquement un élevage de poissons et des cultures maraîchères.

Filtrer l’eau des poissons pour en garder l’azote

 

Sous sa serre de 1358 m2, Guillaume Schlur nous présente le fonctionnement de sa ferme. « Ici, il y a une pompe qui prend l’eau dans un forage. L’eau est utilisée dans ses grands bacs à poissons dans lesquels sont élevées des truites arc-en-ciel ».

Au fil du temps, l’eau des poissons se charge en déjections. Elle est ensuite envoyée vers un système de filtration en trois étapes.

« Le premier bac est un filtre à suspension » détaille Guillaume Schlur. « Il permet de filtrer 80% des grosses particules des déjections des poissons. Ensuite, le second bac filtre les petites particules. L’eau passe aux travers de petits morceaux de plastique noir qui captent les particules en suspension. Une fois sortie du deuxième bac de filtration, l’eau est claire mais reste chargée en azote organique contenu dans les déjections des poissons. Le troisième filtre appelé bio filtre permet la transformation de l’azote organique en azote minéral, un engrais qui sous cette forme peut être assimilé par les végétaux ».

Un système de production en circuit fermé

Une fois filtrée, cette eau est acheminée dans les bacs en bois présents un peu partout dans la serre. C’est là que poussent les cultures de Guillaume sur des radeaux flottants. Un dispositif qui remplace la terre. « Si on soulève le radeau flottant, on va voir les racines de la plante qui pompent dans l’eau tous les éléments nutritifs dont elle a besoin » poursuit le propriétaire des lieux.

Tomates, coriandre, mesclun, plantes aromatiques… La gamme de végétaux cultivés est large mais ce sont exclusivement des légumes feuilles ou des fruits. Aucun tubercule. Ici pas d’engrais chimique, ni de traitement. « Le seul intrant dans mon système c’est l’aliment poisson qui est complet pour le développement de ces animaux. Mais pour certaines plantes, il manque des micros et des macronutriments. Soit il faut alors faire des apports en cuivre ou en zinc, soit il faut adapter son peuplement végétal pour ne pas avoir à le complémenter. C’est ce que j’ai fait ici »

Le système de culture de Guillaume Schlur en aquaponie est en circuit fermé. « Les cultures filtrent à leur tour l’eau qui est ensuite renvoyée vers les bacs des poissons » conclut l’agriculteur. « Pour cette raison, à part quelques interventions naturelles comme du purin d’ortie ou du vinaigre par exemple, en aquaponie, il ne peut pas y avoir de traitement chimique car ensuite ça dérangerait les poissons ».

Une installation progressive, clé de la réussite

Actuellement, Guillaume Schlur produit une tonne de chair de poisson et trois tonnes de cultures maraîchères. C’est le ratio moyen en aquaponie. Il transforme ses truites en filets fumés sur place dans un atelier. L’ensemble de ses productions est vendu aux particuliers dans son drive fermier, ainsi qu’aux restaurateurs et à quelques épiceries fines.

Une activité rentable dont l’agriculteur vit aujourd’hui. Sa force : une formation agricole complétée par une expérience de deux ans et demi dans une rizi-pisciculture à Madagascar, et un sens aiguisé de la débrouille : « quand je me suis installé, aucun matériel, aucune structure n’était conçue pour l’aquaponie qui était alors balbutiante ».

Et surtout une installation progressive : « j’ai commencé par installer un premier système sur un quart de la surface de la serre, puis j’en ai créé un second, puis le laboratoire de transformation du poisson. Ça m’a permis d’étaler mes investissements sans me mettre dans le rouge. De la même façon pour ma rémunération. J’ai commencé par prélever 300 euros, puis 500. Aujourd’hui, je suis arrivé à 1000 euros par mois. Mais il faut bien compter quatre ou cinq ans avant qu’une ferme aquaponique soit bien installée". 

L’agriculteur normand ne s’en cache pas : il a eu l’opportunité d’acheter à sa belle-famille à un euro symbolique les 1350 m2 de serre en verre dans lesquelles il évolue. Une serre qui même en hiver n’a pas besoin d’être chauffée. « Elle a son âge mais ça limite les investissements » ponctue Guillaume, sourire aux lèvres.

Une filière jeune qui doit se structurer

Car c’est l’une des difficultés majeures. Si l’aquaponie existe depuis des millénaires en Asie, plus particulièrement en Chine et en Amérique latine chez les Aztèques, son arrivée en France est très récente, portée par les questions de développement durable. Il n’existe d’ailleurs toujours pas de réglementation propre à cette activité, à cheval entre la pisciculture et la culture. Convaincre les banques et les investisseurs reste donc une tâche ardue.

Depuis une dizaine d’années, l’ITAVI, l’institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole, œuvre à structurer l’aquaponie. Pour ce faire, à Fauville-en-Caux, une expérimentation est menée au CFA Naturapôle. L’ITAVI et l’ASTREDHOR, l’institut des professionnels du végétal comparent des plantes d’ornement cultivées sous serre en aquaponie et d’autres toujours sous serre mais sans l’élevage de poissons. 

« Sur les 80 espèces testées de plantes ornementales couplées à l’élevage de poissons ornementaux, les performances sont identiques globalement sur le végétal en termes de productivité et de qualité » résume Aurélien Tocqueville, responsable du service aquaculture à l’ITAVI. 

Un enseignement qui pourrait permettre de diversifier les cultures en aquaponie, aujourd'hui essentiellement maraîchères, et favoriser le développement de la filière. Avec de tels résultats, progressivement, l’ITAVI espère écrire un modèle économique qui rassurera les banques, aujourd’hui encore frileuses. Car comme l’explique Aurélien Tocqueville : « on est sur des investissements de plusieurs milliers voire plusieurs millions d’euros pour des grosses structures qui vont produire sur des milliers de mètres carrés. Ce qui coûte le plus cher c’est la partie élevage de poissons ».

Voyez le reportage complet réalisé sur cette filière par Emmanuelle Partouche, François Pesquet, Benoît Stefani. (Montage : Stéphanie Pierson)

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Aquaponie : un savant mélange de poissons et de plantes ©Ici Normandie

Quel avenir ?

Aujourd’hui, la Normandie compte trois fermes aquaponiques. Il en existe une vingtaine en France. L’aquaponie est-elle l’avenir de l’agriculture ?  « Il y a peu d’impasses techniques » confie Aurélien Tocqueville. « On est capable de faire pousser du blé par exemple. Mais la production de céréales nécessite de grandes surfaces. Les investissements seraient tels qu’en termes de productivité et de rentabilité, l’aquaponie n’est pas destinée à ça ».

L’aquaponie se conçoit aujourd’hui comme une offre complémentaire, notamment en ville ou en périurbain. Hors-sol, elle ne nécessite pas de surface cultivable à proprement parler au contraire de l’agriculture traditionnelle. Preuve en est : au Havre, la ferme aquaponique SymbiOse a même installé ses bacs dédiés au maraîchage à la verticale.

Pour Guillaume Schlur,: « c’est l’une des voies de l’agriculture qui va permettre d’économiser de l’eau et de l’énergie pour faire des produits sains et locaux. Mais à mon sens ce n’est pas l’unique voie ».

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