A 98 ans, celle qui a connu l'horreur des camps de concentration nazie continue à transmettre la mémoire de la Shoah. Ce samedi 13 janvier 2024, Ginette Kolinka est venue raconter son histoire aux élèves du collège Albert Camus à Neuville-lès-Dieppe.
Elle se déplace aujourd'hui en fauteuil roulant mais elle n'a perdu ni son sourire, ni son énergie de vie et de transmission. Ce samedi, à Neuville-lès-Dieppe, devant 80 collégiens, elle a une nouvelle fois évoqué son parcours et répondu aux questions de l'auditoire. Un passage de mémoire qu'elle réalise dans toute la France depuis plus de vingt ans.
"Pas normale parce que juive pour Hitler"
"Comment vous me trouvez Madame?" interpellant une personne dans l'assistance. "Je vous trouve adorable" répond la participante. "Non" rétorque Ginette Kolinka, amusant au passage ceux venus l'écouter "normale ou anormale ?" précise-t-elle. La dame répond alors "normale".
"Et bien pour Hitler, je n'étais pas normale" poursuit-elle "Pas normale parce que juive. Mais comment dans la France occupée par les Allemands, peut-on repérer les juifs ? Pour ce faire, nous avons été contraints de nous rendre dans les commissariats pour nous faire recenser. Pour nous différencier, un tampon a été apposé sur nos cartes d'identité avec la mention juif. Et comme une carte d'identité, ça ne se voit pas forcément, les juifs ont dû coudre sur leurs vêtements une étoile jaune en tissu".
Le rappel des faits est implacable. "Au début de la guerre, mon père avait un petit atelier où travaillaient deux salariés. Soudainement, mon père n'a plus eu le droit de travailler parce qu'il était juif. Mes deux soeurs qui étaient vendeuses sur les marchés n'ont plus eu le droit non plus car elles étaient juives."
Dans un premier temps, Ginette explique aux collégiens qui lui font face comment à 14 ans, elle, la petite dernière d'une famille nombreuse, ne comprend pas la gravité de la situation. Puis, la famille de Ginette est dénoncée comme communiste. En plus d'être juive. La famille fuit donc en zone libre et trouve refuge à Avignon.
14 mois dans les camps de concentration
Le 13 mars 1944, à l'âge de 19 ans, elle est arrêtée avec son père, 61 ans, son petit frère, âgé de 12 ans et son neveu. Ils sont assassinés à leur arrivée au camp alors que Ginette est sélectionnée pour le travail. Elle ne sera libérée qu'en avril 1945.
Je suis la seule à avoir la chance de revenir. Moi je dis souvent, j'ai eu la chance. Alors on me répond : ce n'est pas de la chance, vous êtes une héroïne. Je ne suis pas une héroïne. Les résistants qui ont été arrêtés et déportés d'accord. Mais moi, j'ai été arrêtée uniquement parce que mon seul crime a été de naître dans une famille juive.
Ginette Kolinka, rescapée des camps de la mort
Ce récit qu'elle livre aux collégiens de Neuville-lès-Dieppe, cela fait une vingtaine d'années qu'elle a accepté de le partager. A son retour des camps, pendant longtemps elle s'est tue. Elle n'a rien raconté de son calvaire ni à sa mère, ni à ses soeurs qui n'ont pas été déportées. Ce n'est que dans les années 2000 qu'elle commence à livrer son témoignage. Lorsqu'une association de déportés d'Auschwitz la sollicite pour emmener un groupe d'élèves à Birkenau. Depuis, elle ne s'est plus jamais tue. Un engagement qui lui fait du bien dit-elle.
"Quand je vais dans les établissements scolaires et qu'il y a tous ces jeunes et ces professeurs qui viennent me voir, je me dis qu'il n'y a pas plus d'antisémitisme qu'avant"
On n'empêchera jamais certaines personnes de détester les juifs sans même savoir pourquoi. Mais je ne pense pas qu'il y en a plus qu'avant. "
Ginette Kolinka
Un engagement qui, elle l'espère aussi, permettra de poursuivre le travail de mémoire :
Ceux qui sont persuadés que la Shoah n'a jamais existé, je ne leur ferai pas changer d'avis. Mais pour ceux qui m'écoutent, j'espère qu'ils parleront de cette histoire aux autres et que ça leur évitera de plonger dans l'histoire de ceux qui disent que ça n'a pas existé."
Ginette Kolinka, rescapée des camps de la mort
Un message qui a visiblement touché les jeunes qui sont venus l'écouter ce samedi. Malo, élève de 5ème la trouve "courageuse de nous raconter tout ça. Ce n'est pas une histoire facile à partager". Pour Lylou, élève de 4ème : "Ginette Kolinka a vécu le pire et elle ne se plaint jamais, alors que beaucoup de gens se plaignent de tout".
De quoi donner à cette dame de 98 ans l'énergie de poursuivre son combat.