Depuis 2015, les 5 gisements de l'Est Cotentin sont fermés à la pêche. Et les dernières nouvelles ne sont pas bonnes : la célèbre moule sauvage a quasiment disparu de nos côtes. Du Cotentin à la Hollande, le phénomène se décline : allons-nous vers la disparition de l'espèce ?
" Je pars à 13 h 30 pêcher le poisson, la moule de Barfleur, c'est fini. Au fond des gisements, c'est le désert. Y a plus rien". Dépité, David Rigault, patron du Thortevald, raccroche les gants de la célèbre moule de Barfleur. " On faisait 50 % de l'année avec la moule l'été, maintenant, on se réoriente sur le poisson, bientôt la pétoncle, certains gars touchent le chomâge partiel".
En 2012, nous avions fait une pêche avec le même David Rigault, également Président de la Commission Moules. Dans le reportage ci-dessous, le pêcheur nous faisait découvrir son activité : " Vous allez voir, c'est vite pêché, on passe plus de temps à la travailler qu'à la pêcher (...) Maximum 2 tonnes 400, c'est le quota", expliquait-il alors.
Depuis les années 60, la pêche en pleine mer des moules de Barfleur avait donné naissance à une activité particulièrement lucrative dans le Cotentin-Est, des petits bateaux effectuaient des marées de quelques heures et allaient pêcher cette moule sauvage que l'on trouve entre 4 et 50 mètres de fond, avec des dragues. Les personnes qui se sont lançées dans cette activité n'étaient pas nécessairement des gens de mer.
Au total, il y a 5 gisements naturels, du nord au sud, situés dans la Manche et le Calvados : Barfleur, Réville, Moulard, Ravenoville et Grandcamp.
" C'est la 6 ème année consécutive, la dernière campagne a eu lieu en 2015. Même si on a eu parfois des interruptions sur une, deux années, là, la situation est clairement dramatique."
Peu de moules à Barfleur, pas une à Dieppe
" Une soixantaine de licences étaient accordées traditionnellement, l'an dernier, les petits bateaux, les Doris, de petites barques, ont pu encore en pêcher avec une limite de 300 kg par pêche" explique Maxime Le Grill, chargé de mission sur le sujet pour le Comité Régional des Pêches de Normandie.
Sans surprise, l'interdiction de pêche de la moule de Barfleur se profile. Même avec sa production irrégulière, le banc de Barfleur a pendant des années produit jusqu'à 30.000 tonnes par an les grandes années, 5 à 10 000 les années classiques. "Barfleur était le premier gisement sauvage d’Europe" .
Ce sont les prélèvements effectués chaque année au printemps qui servent de boussole pour déterminer de la possibilité de pêcher la blonde de Barfleur. Et cette année, le constat est sans appel.
" Sur 120 traits, à peine un dizième avec des moules et elles sont toutes petites, elles n'atteignent pas les 4 cm légaux " .
" On ne comprend pas ce qui se passe, est ce que c'est la reproduction qui ne se fait pas correctement ? Les naissains qui ne se résistent pas ? Depuis les années 80, on collecte des données. On a pensé que c'était comme ça, des années avec et d'autres sans, que c'était naturel en somme ", expliquent les pêcheurs.
Mais là, les moules ont quasiment disparu. Est-ce que le réchauffement climatique avec la montée des températures de l'eau impacte ce bivalve sauvage qui aime l'eau froide ? Un virus, une pollution? On ne sait pas.
Car la fécondation des moules a lieu dans l’eau, puis les larves nageuses sont portées par le courant. Les vents entraînent la dérive larvaire. Si tout va bien, elles se déposent au large du Cotentin, ou traversent la baie de Seine pour remonter vers Dieppe ou plus loin.
A Dieppe, pas une, pas une seule moule sur 27 traits !
" Justement, je viens d'effectuer les prélèvements pour les gisements de Dieppe, au Tréport, à Tourville, pas une, pas une seule moule sur 27 traits" explique Cécile Gaudéan , chargée de mission Moules de Dieppe pour le Comité Régional normand.
Des mortalités gigantesques partout
Au Centre Ifremer de Port-en-Bessin, un projet porté par de nombreux partenaires publics comme la région Normandie , le projet Emynor, a vu le jour pour trouver des pistes d'explications. " Grâce notamment à la profession, on dispose de données précises sur ces trentes dernières années, c'est une base conséquente et précieuse d'informations. "
" Le tournant se situe en 2014, à cette date d'ailleurs, on constate une mortalité de moules partout, de Brest à la Hollande à l'estuaire de la Loire, nous sommes face aujourd'hui à des mortalités gigantesques."
Il y a eu une telle évolution des systèmes côtiers que tout est tourneboulé. C'est pourquoi dans notre étude, nous étudions la dynamique des stocks de moules de pêches de Barfleur mais avec celle de bouchot, celle de la Côte Ouest du Cotentin qui ne vont pas très bien non plus ces dernières années
En 2014, Ifremer avait réalisé une étude intitulée " Dispersion Larvaire de Mytilus Edulis en baie de Seine", déjà pour rechercher les causes de mortalité et disparition de moules. "La présente étude a montré l’importance prépondérante des conditions météorologiques notamment le vent sur les pontes de Mytilus edulis en Baie de Seine" peut-on lire notamment dans la conclusion.
" On a affaire à un impact d'élements plurifactoriels, entre les bactéries, l'orientation des vents, la disponibilité en nourriture et les modifications profondes de l'écosystème, nous travaillons sur tous ces sujets et leurs combinaisons ", explique Julien Normand, chercheur à Ifremer.
Des résultats attendus de pied ferme par la profession qui a veillé pendant des années à prendre soin de la ressource en instaurant des quotas ou en fermant la pêche une à deux années pour permettre la reproduction. " La bonne nouvelle, ce serait qu'elle revienne un jour c'est sûr...Mais entre nous, je ne me fais pas d'illusion. On se reconvertit dans le poisson mais bon, avec le merdier des zones de pêches..." nous dit David Rigault avant de prendre la mer pour plusieurs jours, lui qui pêchait la moule il y a 6 ans en à peine quelques heures. Cap sur le large.