La paupérisation des séniors s’accentue depuis les années 2000. Des retraités qui, après une vie de labeur, n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Un phénomène particulièrement prégnant chez les femmes aux carrières morcelées.
Dans la maison des associations de Dieppe (Seine-Maritime), les mouvements sont encore un peu hésitants mais la chorégraphie des Mamies en folie prend forme. Il faut dire que beaucoup d’entre elles ont attendu toute une vie pour s’accorder quelques cours de danse.
"Ce sont des femmes qui ont beaucoup fait pour leur travail et leur vie de famille…pour les enfants et même les petits enfants ! Elles ont encore du mal à se libérer du temps. Ce qui est bien ici c’est que les cours sont gratuits c’est une belle opportunité car le prix des licences de sport…ce n’est pas donné ! ", décrypte Séverine Péguard-Viogne, Educatrice sportive à la Ville de Dieppe
La danse, une respiration tardive que s’est accordée Michèle il y a 6 ans. La plus rock’n’roll de la bande se rappelle ses premiers pas ici : "Elles avaient peur de moi au début (rire), parce que je suis arrivée en jupe courte, le style déglingué…pleine de tatouage !"
Son allure dénote mais Michèle est vite intégrée. Veuve et retraitée, elle a rompu la solitude grâce à ses acolytes. Un premier pas pour mieux supporter une autre précarité. "Il y a eu une période où je n’avais plus du tout de sous, je n’avais même pas de quoi m’acheter un pain. C’était la grosse galère mais j’y suis arrivée quand même… Je travaillais à la cantine donc le midi je mangeais là-bas et le soir je ne mangeais pas !"
Depuis peu, la Dieppoise de 66 ans a retrouvé un semblant d’équilibre financier grâce à son nouveau logement. "Je suis dans résidence pour personnes de plus de 60 ans, avec un loyer modéré à 388 euros et on ne paie ni le chauffage et l’eau, ça me fait faire de sacrées économies !"
Mère de trois enfants, Michèle a enchainé toute sa carrière les petits boulots aux horaires décalés. Aujourd’hui elle touche une retraite de 1040 euros par mois.
"Quand vous payez toutes les factures et qu’il vous reste 150 euros par mois on est ric-rac ! "
Michèle, retraitée
Dans la même résidence à quelques portes de là, Chantal vit le même déclassement. Bricoleuse et passionnée de décoration, elle a fait de son petit appartement un joli nid douillet.
"J’ai fait ce que j’ai pu pour acheter des petits meubles à la Croix Rouge et j’ai tout retapé moi-même pour me faire ce petit cocon. Je m’y sens bien c’est super sympa ici ! "
Son sourire s’efface quelque peu quand il s’agit d’évoquer son parcours de vie.
"J’ai commencé à travailler réellement à l’âge de 12 ans dans une épicerie et puis à 15 ans je n’allais plus au collège pour aider mes parents. Je faisais des petits boulots et puis à 16 ans j’ai travaillé dans la restauration. J’ai toujours travaillé sauf quand j’ai eu mes enfants. Je m’en suis occupée même après le divorce puisque le papa est parti quand ma dernière avait 6 ans. J’ai essayé de leur donner ce que moi je n’ai pas pu avoir. Parfois je touchais un salaire de 1700 euros pas mois alors aujourd’hui me retrouver avec moins de 1000 euros c’est une catastrophe, c’est une descente difficile à remonter "
Les yeux humides, la gorge serrée, la Normande de 63 ans fait cet amer constat.
Quand on arrive à la retraite on ne devrait pas se demander si demain on va pouvoir manger comme il faut. J’ai deux petits-enfants, je ne peux pas leur payer de cadeau….c’est vraiment injuste en ayant travaillé si tôt et puis c’est dégradant, c’est pour ça que ça me rend triste. On n’ose pas le dire aux gens, on garde toujours la tête haute pour dire que ça va…mais c’est très difficile et je ne suis pas la seule malheureusement
Chantal, retraitée
Au rez-de-chaussée de l’immeuble, Michèle et Chantal trouvent du réconfort auprès de l’association Ensemble et Solidaire. Une structure qui propose des activités et des sorties à des prix attractifs avec la possibilité d’échelonner les paiements. Une manière de se serrer les coudes entre femmes aux parcours cabossés.
"Elles n’ont pas toujours travaillé à temps complet, elles ont élevés leurs enfants ! C’est aussi ça qu’il faut prendre en compte, quand on reprend un travail après et bien la retraite est tronquée car elle est calculée sur ce que vous avez gagné", analyse Danielle Laboulais, la présidente de l’association.
"Quand on travaille on peut économiser un peu, mais quand on gagne moins ce n’est plus possible. Je connais une dame qui a dû revendre sa maison et qui pioche tous les mois dans ce capital pour vivre "
Autour de la table, la parole des femmes présentes se libère. S’appauvrir en vieillissant, une problématique qu’elles subissent de plein fouet. "Aujourd’hui je me demande si je ne vais pas reprendre un travail ! Ma retraite ne me suffit pas avec l’eau et l’électricité qui augmentent….heureusement je ne bois pas et je ne fume pas", constate avec colère Agnès, une retraitée de 70 ans.
Des séniors condamnés à retourner sur le marché de l’emploi
Des retraités contraints de retourner au travail est un phénomène bien réel. Sur internet, le site "Séniors à votre service" leur est dédié et compte 380 000 membres. Des candidats à la recherche de missions à temps partiel pour glaner quelques centaines d’euros.
"C’est un problème qui existe depuis longtemps parce que les retraités ont parfois des petites retraites qui ne leur suffisent pas à boucler les fins de mois. Si on prend l’exemple des femmes d’artisans qui ont des retraites insignifiantes car elles ont travaillé avec leur conjoint en étant peu ou pas déclarées...si par malheur elles se retrouvent en plus séparées de leur conjoint alors elles se retrouvent dans une situation de très grande précarité", explique Valérie Gruau, la fondatrice du site.
"Il y a aussi ceux qui pourraient vivre normalement avec leur pension mais qui se retrouvent à devoir gérer un enfant qui n’est pas parti de la maison, dont il faut financer les études, et un parent âgé qu’il faut placer en maison de retraite. C’est cette génération "sandwich" qui doit parfois aussi se remettre sur le marché de l’emploi."
La santé de Chantal ne lui permet pas de reprendre un travail. Alors quand les moyens manquent, elle transforme son petit salon en atelier de restauration pour revendre des petits meubles sur les brocantes. "Ca m’aide à vivre mais ça m’inspire de la colère de devoir faire des choses à côté pour m’acheter une plaquette de beure… "
Pour faire face à cette impasse économique et sociale, ces femmes s’adaptent et font contre mauvaise fortune bon cœur. A la question : que peut-on vous souhaiter ? Michèle nous a répondu : "Que je continue comme ça des années ! Je n’ai pas de sous mais je m’en fou je suis heureuse comme ça !"