C'est une histoire méconnue, exhumée par un historien normand. Nicolas Bucourt a décortiqué durant 20 ans l'épisode du raid de Bruneval de 1942, un travail de fourmi qui lui a valu d'être décoré par le roi Charles III en novembre 2023. Mais aujourd'hui, il nous révèle une autre histoire, presque oubliée : celle des parachutistes canadiens largués par erreur au-dessus d'Octeville, près du Havre.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, plus de 13 000 parachutistes devaient être largués sur la Drop zone, autour de Carentan et Sainte-Mère-Eglise, dans la Manche.
Mais une erreur d'appréciation a conduit un régiment anglo-canadien à être largué au hameau de Dondeneville, à Octeville, non loin de l’aérodrome du Havre, à une dizaine de kilomètres de la ligne de front.
"Il y a dû y avoir une confusion entre les cours d'eau"
Il était trois heures du matin quand leur avion, un C-47, a lâché le régiment au-dessus de la Manche. Il s'agissait d'une section isolée d'une douzaine de parachutistes canadiens et de quatre Britanniques observateurs d'artillerie.
Nicolas Bucourt, passionné d'histoire, a enquêté sur cette histoire méconnue. Il explique :
" C'était tout simplement une erreur de largage. Ils étaient sous le feu ennemi. Ils auraient dû atterrir à Varaville, à l'est de Caen, mais il y a dû avoir une confusion entre les cours d'eau. Ils ont dû confondre la Dives et l’Orne… Avec la Seine. L'aérodrome d'Octeville était déjà occupé par l'armée de l'air allemande, c'était très bien défendu, c'était une zone stratégique, les Allemands les ont capturés à l’atterrissage".
Deux soldats tués
Les erreurs de largage étaient malheureusement courantes durant la Seconde guerre mondiale. Celle-ci s'est avérée tragique pour l'unité puisqu'elle a engendré la mort de deux soldats.
Le premier, Joseph Nigh, avait quitté la ferme familiale à l'âge de 20 ans pour s’enrôler parmi les parachutistes canadiens. Il meurt lors de ce largage dans des circonstances encore assez floues.
Son camarade, John Coburn, travaillait dans une maroquinerie avant de s'engager. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, il saute de l'avion avec un tube de mortier très grand de trois pouces. Son parachute ne s'ouvre pas.
Le reste de l'unité est capturé. 14 soldats, parmi lesquels le lieutenant Marcel Côté, commandant du peloton de mortiers, qui sera filmé et photographié par la propagande allemande.
Voir le reportage de Madeleine Lepage, Élodie do Nascimento et Rozenn Meheust :
"Il faut mettre en avant tous ces soldats méconnus"
L'historien Nicolas Bucourt a longuement enquêté pour raconter cette "petite histoire dans la grande Histoire ". Le Havrais a déniché des documents d'époque, notamment des archives allemandes, il a également épluché le journal de marche du premier bataillon de parachutistes canadiens à laquelle appartenait cette première section de mortiers.
Il a, en outre, retrouvé des témoignages de vétérans canadiens qui ont raconté leur arrestation dans des journaux associatifs d'anciens combattants. Enfin, il s'est appuyé sur les souvenirs d'anciens havrais qui se souvenaient de ce largage raté à Octeville.
"80 ans après, on connaît bien les grandes lignes du débarquement du 6 juin 1944. Maintenant, ce qui est important, c'est de mettre en avant tous ces soldats inconnus. Leur histoire mérite d'être mise en lumière. Avec mes recherches, on connaît maintenant leurs noms, leur passé, leur image. Derrière tout cela, il y a des vies ! Ce sont des soldats qui n'ont pas pu aller jusqu'au bout de leur action, car ils ont été tués ou faits prisonniers. C'est important de raconter leur histoire "
" Quatre années d'entraînement pour ça ! "
Nicolas Bucourt poursuit le récit de ce débarquement raté : "Les 14 parachutistes ont été faits prisonniers dès les premières minutes de ce débarquement." Le lieutenant Marcel Côté, un Québécois né en 1918, qui était le premier canadien francophone engagé comme parachutiste, s'est exclamé : "Bon Dieu, quatre années d'entraînement pour ça ! "
Être arrêté par les Allemands au sol, juste après leur saut a traumatisé cette unité. À l'atterrissage, les parachutistes canadiens et britanniques ont bien tenté de se libérer du carcan de leur voile de parachute, mais les Allemands pointaient déjà leurs armes sous leur nez. Impossible de s'enfuir.
Sur les images de la propagande allemande, on peut observer une photo du lieutenant Marcel Côté, qui semble désespéré, tenant son béret rouge à la main. "On le comprend... Il s'était entraîné dur pour participer à ce débarquement..."
Nicolas Bucourt précise aussi : " Pour Marcel Côté, atterrir ici, ce n'était pas une erreur, il est resté persuadé toute sa vie que cela faisait partie d'une opération de diversion, pour tromper les forces allemandes. Or, s'il y avait bien une opération de diversion, baptisée " Titanic", celle au-dessus d'Octeville n'en faisait pas partie. C’était bel et bien une erreur de largage."
Nicolas Bucourt, récompensé par le roi Charles III
Ce passionné d'histoire, âgé de 38 ans, compte poursuivre ce travail de mémoire autour des opérations de la Seconde guerre mondiale qui se sont déroulées dans la région havraise.
Il veut notamment continuer à recueillir les souvenirs des familles des vétérans du raid de Bruneval, cette opération britannique baptisée " biting". Un fait de guerre également méconnu du grand public.
Ce raid de Bruneval avait, dans la nuit du 27 au 28 février 1942, mobilisé 120 parachutistes de la Royal Air Force qui effectuaient une mission de reconnaissance des radars allemands pour son travail.
Nicolas Bucourt s'est vu décerner en novembre 2023 la "British Empire Medal", pour son travail sur ce sujet et pour "service rendu à la couronne britannique". Une immense fierté pour celui qui travaille depuis 20 ans sur ce sujet.