6 questions à Sébastien Windsor, l'ingénieur et agriculteur qui prépare l'agriculture française de demain

Où va le monde agricole ? Comment les demandes des consommateurs sont-elles prises en compte ? Comment résister à la mondialisation ? Entretien avec un acteur de l'innovation
 

Six questions à Sébastien Windsor

Agriculteur, ingénieur de l'école des Mines, président de la chambre d'agriculture de Seine-Maritime, président de Terres Inovia, Sébastien Windsor, 48 ans, est aussi président de l'ACTA, l'Association des Centres Techniques Agricoles.

Ce Normand fait donc  partie de ceux qui, au niveau national, travaillent sur les innovations, les changements et l'adaptation du monde agricole aux enjeux du XXIe siècle. 

Présent au Salon International de l'Agriculture 2019 avec un emploi du temps plutôt chargé, il a toutefois pris le temps de répondre à nos questions, sur le stand de l'ACTA où sont présentées les dernières innovations ainsi que les outils numériques les plus modernes au service de l'agriculture. 
 
 

1- L'agriculture française a-t-elle besoin de toutes ces innovations, de tous ces changements ?

Oui. Je pense que l'agriculture est face à des questions et des difficultés avec par exemple des facteurs de changement climatique, des difficultés avec des montées de résistance des insectes, des attentes sociétales sur la réduction des produits qu'on utilise, la réduction de l'impact des résidus des produits qu'on utilise, et je pense que les réponses elles passeront par de l'innovation, par  la capacité à faire différemment, par la capacité à amener des outils pour aider l' agriculteur dans ses choix pour mettre moins d'engrais ou de fongicides tout en maintenant ses rendements.
  

 


2-  N'est-ce pas un peu le grand écart, entre cette agriculture mondialisée et l'inquiétude des consommateurs ?

Mais justement,  je pense que ces innovations, elles peuvent aussi permettre de gérer de la traçabilité et de différencier les produits. De faire en sorte qu'on suive le produit de l'agriculteur jusqu'au consommateur, notamment via les outils numériques qu'on essaye de mettre en place.

Et c'est ça qui peut redonner confiance au consommateur en montrant que l'agriculture française, elle s'appuie sur la technique, elle innove mais elle innove au service du consommateur, au service des enjeux qui sont devant nous.

Et cette innovation, elle sert à répondre à ces attentes de la société.  L'enjeu, vraiment, c'est de faire savoir autour de nous que l'agriculture française elle est à la pointe, et à la pointe par rapport à ces enjeux environnementaux et ces enjeux sociétaux, et tout le numérique doit nous aider à faire connaître tout ça au plus près des concitoyens et à peut-être refaire du lien entre l'agriculture et nos concitoyens.  

3- Ces innovations sont-elles à la portée de tous ? A la portée du petit agriculteur installé dans un département un peu défavorisé ?              

Oui, je pense que ça c'est vraiment le rôle des instituts techniques. C'est de faire que l'innovation ce soit pas une innovation qui reste cantonnée aux labos ou aux plus geeks d'entre nous qui vont savoir passer un temps colossal à analyser les données, mais que l'innovation elle soit accessible sur le téléphone de l'agriculteur de façon simple, de façon crédible, en lui amenant les infos dont il a besoin et pas une multitude d'infos, et en lui amenant des solutions fiables, des solutions qui ont été testées sur le terrain. Donc vraiment, le rôle des instituts techniques c'est de démocratiser et de fiabiliser l'innovation.


4- Existe-t-il un danger à collecter, à récolter, des données numériques sur les exploitations agricoles françaises grâce aux nouveaux outils ? Ces données cachent-elles, au niveau mondial, des enjeux insoupçonnés ?

Les enjeux autour des données, ils sont internationaux. D'ailleurs si les Américains via Google, Amazon, Microsoft, ou les Chinois, via Alibaba ou Huawei, ont investi autour des données c'est pas un hasard !

Demain je pense que les enjeux autour de la donnée peuvent être aussi majeurs que les enjeux autour de la possession du sol… 

Et je cite régulièrement un exemple : c'est celui de John Deere.  Quand vous achetez une moissonneuse batteuse aux Etats-Unis, John Deere consent à laisser les données du capteur de rendement (qui mesure le rendement au fur et à mesure que la machine avance), John Deere consent à laisser les données aux agriculteurs, mais il en reste propriétaire ! Et avec ça il peut mesurer les rendements de blé aux Etats-Unis et vendre ensuite ces données-là aux traders…  Et les traders ils vont utiliser ça pour faire de la spéculation. Et ça va se retourner contre les agriculteurs, parce que la spéculation c'est un vrai problème pour nous de gérer ces fluctuations de prix.
Donc il ya un vrai enjeu pour que nos données elles soient au bénéfice des agriculteurs et ne soient pas utilisées parfois contre les agriculteurs !

Et pour ça il ne faut pas laisser de grosses multinationales gérer nos données, mais il faut que le collectif des acteurs de l'agriculture s'organise pour garder la maîtrise de ces données et les mettre au service des  agriculteurs.

Et ce qui a  toujours été une force de l'agriculture française, c'est d'être très organisée autour de l'intérêt des agriculteurs. Comme le sont les instituts techniques qui sont vraiment là,  pilotés par des agriculteurs et au service des agriculteurs.
   

5- Comment l'agriculture française se prépare-t-elle à répondre à ce que vous appelez les "attentes sociétales" ?  Comment prendre en compte les demandes des Français qui se préoccupent du bien-être animal ? De ceux qui veulent acheter et manger local, comme des légumes venant de la ferme la plus proche de chez eux ? 

L'enjeu du bien-être animal, par exemple, c'est assez révélateur.  Le bien-être animal c'est plein de choses. C'est effectivement la place et le parcours que peut avoir l'animal, mais cela peut être, par exemple, la gestion de la température dans un poulailler. C'est un enjeu essentiel du bien-être animal !  Dans un poulailler vous avez souvent des rideaux qui s'ouvrent. Si il fait froid et que vous laissez les rideaux ouverts, le poulet il va avoir froid, il ne va pas être bien. Si il fait chaud et que vous laissez les rideaux fermés, le poulet il va se retrouver dans une atmosphère un peu suffocante et pas très agréable non plus. 

Cet exemple juste pour illustrer que le critère du bien-être c'est plein de points. Et on a développé une application sur smartphone qui permet à l'agriculteur en rentrant ces pratiques, d'avoir quelque part une notation de sa performance d'un point de vue bien-être animal et surtout de l'améliorer, parce que l'enjeu c'est de l'améliorer. Donc on lui a mis un outil à disposition pour permettre de progresser d'un point de vue bien-être animal.

Et cet outil là, il a été conçu par nous, mais aussi en lien avec des associations environnementalistes pour valider un peu ce qu'il y avait dedans, et par le numérique on a mis en place pour l'agriculteur un outil pour être encore mieux demain en terme de gestion du bien-être de ses animaux.

  

6- Que dites-vous aux nombreux Français qui s'inquiètent de la disparition des insectes et à ceux qui réclament l'arrêt de l'usage des pesticides et des produits phytosanitaires ?

Mais là aussi,  pour limiter les intrants, par exemple, sur les fongicides, qui peuvent être dans certains cas nocifs aux insectes, et bien on sait qu'aujourd'hui on a des outils d'aide à la décision qui nous permettent d'intervenir au bon moment (et non pas de façon préventive) pour mettre le produit quand les conditions météo font qu'on sait que la maladie va se développer si on le fait pas.
Et donc si on le fait pas, on va perdre de la qualité, on va avoir un blé qui sera moins sain pour le consommateur et qui peut présenter des dangers. Donc on intervient, mais maintenant on intervient juste quand il faut ! Et puis, par la technique on a aussi commencé à développer des variétés qui avaient moins ces sensibilités aux maladies et on a des instituts qui ont travaillé pour développer, en pomme de terre ou sur du basilic, des variétés qui vont résister aux maladies et qui vont, du coup, nécessiter, elles, moins de traitements et donc là aussi mieux préserver l'environnement.


Mais pour faire tout ça, pour progresser dans tout ça, il faut miser sur la technique et miser sur la technique pour répondre à ces enjeux environnementaux.


Maintenant je peux vous dire que chez moi, avec un certain nombre d'aménagements que j'ai pu faire avec mes pratiques agricoles qui sont raisonnées (et qui ne sont pas zéro pesticide), j'ai plutôt l'impression de ne pas avoir de disparition d'insectes. On parle aussi disparition d'oiseaux : moi j'ai plutôt l'impression, que chez moi, j'ai plus d'oiseaux que par le passé, et  en tout cas j'ai plutôt l'impression d'être attentif à mon environnement parce que c'est mon lieu de travail, parce que c'est l'endroit où je vis, et que je suis plus dans la nature que la majorité de mes concitoyens. Donc, j'ai vraiment l'impression, par mes pratiques, de faire très attention à l'environnement et d'essayer de préserver l'environnement. Et parfois d'œuvrer plus que mes concitoyens pour l'environnement parce que moi j'y suis tous les jours et j'y fais attention tous les jours.
Je pense que le citadin il a confiance dans l'agriculteur !  Je peux vous dire qu'aujourd'hui, d'ailleurs, il ya un certain nombre d'acteurs de l'agroalimentaire qui ont bien compris cela. Le citoyen il a confiance en son agriculteur, il a confiance aux produits de proximité, il a confiance à l'image que véhicule l'agriculture. Donc, l'enjeu, là, c'est face à quelques personnes qui nous ont décriés, c'est de retrouver des liens avec la majorité de la population qui a confiance en ses agriculteurs, en lui expliquant ce qu'on fait, en lui expliquant le progrès qu'on a fait.  
Voyez, par exemple, on est  très décriés sur le bien-être animal. Moi je peux vous dire que je ne connais pas un agriculteur qui est pas fondamentalement attaché à ses animaux et qui fait pas attention à ses animaux. Donc ça, ce sont des messages honteux qui ont pu être diffusés par certains.  Et c'est toujours facile d'aller avec une caméra, de filmer deux heures, et de trouver le petit truc qui va pas…   Je peux vous dire que les agriculteurs c'est eux qui sont le plus attachés au bien-être de leurs animaux.

Et donc derrière ça, je pense que ce qu'on essaye de faire, c'est, au travers de ce salon de l'agriculture, de renouer du lien entre les agriculteurs et la société, pour que ce lien de confiance, qui est un peu historique, il perdure.
 


Photos: deux exemples d'outils numériques, sous forme d'applications pour smartphones présentées au SIA 2019 sur le stand de l'ACTA
Présentation de l'ACTA
Animateur d’un réseau, l’Acta fédère les instituts techniques agricoles (ITA) pour valoriser leur expertise de terrain et leur savoir-faire unique en France et à l’international. Sa raison d’être est de "connecter les hommes et les savoirs pour accélérer l’innovation et améliorer la compétitivité au cœur de territoires et des filières."
 
  • 18 instituts techniques agricoles qualifiés et l'Acta tête de réseau.
  • Des outils professionnels de recherche appliquée et de transfert technologique au service des filières agricoles.
  • Une forte présence sur le territoire national avec plus de 180 implantations en région.
  • Une force de 2000 collaborateurs, ingénieurs et techniciens.
  • Un budget de 189 millions d'euros en 2017 dédiés à la recherche agricole appliquée.
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