En place depuis l'été 2021 à Rouen (Seine-Maritime), et étendue à 12 communes en janvier 2022, la Zone à Faibles Émissions (ZFE) de la métropole est un dossier épineux. Théoriquement, interdire des véhicules polluants est très efficace pour la qualité de l’air. Mais concrètement, c’est un casse-tête pour les professionnels et une pression financière pour les ménages les plus précaires.
A Rouen (Seine-Maritime), les voitures les plus polluantes n’ont pas encore interdiction de rouler, mais les aides pour changer de véhicules existent déjà. Lundi 31 janvier 2022, la Métropole Rouen Normandie a voté un dispositif : jusqu’à 4000 € pourront être perçus par les foyers, en fonction de leurs revenus.
Ce dispositif entre dans le cadre de la ZFE, Zone à faibles émissions, qui existe à Rouen depuis le 1er juillet 2021, et qui vient d’être étendue à 11 communes supplémentaires au début du mois de janvier 2022. Le concept de la ZFE est le suivant : dans un périmètre donné, où la circulation est dense, et où l’air est dégradé, on interdit aux véhicules les plus polluants de circuler. L’idée est simple. Mais le dossier rouennais est compliqué.
Des professionnels lésés
La création de la ZFE a été votée le lundi 14 décembre 2020, et sa mise en place est effective depuis le 1er juillet 2021. Pour cette première étape, seul le centre-ville de Rouen est concerné. L’interdiction de circuler et de stationner ne vise alors que les véhicules destinées au transport des marchandises, principalement poids lourds et utilitaires légers, ayant des vignettes Crit’air 4 et 5. Concrètement, ce sont les professionnels avec des vieux véhicules qui sont ciblés.
Paul Henri Huvey est le patron d’une entreprise de maçonnerie à Maniquerville (Seine-Maritime). Situé près d’Etretat, il a tout de même régulièrement des chantiers à Rouen. Mais l’instauration de la ZFE pourrait lui faire réduire son activité dans la métropole. "On a deux camions qui ne peuvent plus rentrer à Rouen", explique-t-il. Trop anciens. "Sur le principe je suis pour l’air pur, évidemment, mais je suis contre la loi telle qu’elle est définie et appliquée. On est obligé de constater qu’elle est inapplicable".
L’aspect contraignant de la Zone à Faibles Emissions a un objectif clair : forcer le renouvellement du parc automobile. Et idéalement, passer à l’électrique. Mais pour M. Huvey, qui est également président de la CAPEB 76 (Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment), "il n’y a pas d’alternative pour les véhicules professionnels. Sauf si on fait du porte à porte comme à la Poste. Je n’ai pas trouvé de véhicule me permettant de faire 100 km pour aller sur mon chantier avec une pelleteuse derrière et avec charge utile raisonnable".
Comme pour les particuliers, des aides existent à destination des professionnels. 2000 euros sont accordés par la métropole afin d’accompagner les entreprises les plus fragiles. Mais pour le patron de Fondimare, ce n’est pas suffisant, car "renouveler un camion est un investissement lourd, quasiment le premier poste de dépense."
Les ménages les plus précaires "sous pression"
C’est cette pression économique qui inquiète David Lamiray. Pour le maire de Maromme (Seine-Maritime), "cette ZFE a du sens car elle s’inscrit dans une logique environnementale, mais cela se fait sous pression sociale."
L’élu pense à ses administrés : la moitié d’entre eux ont un véhicule avec une vignette Critair 3, 4 ou 5. Cela signifie qu’à l’horizon 2025, "50% des habitants de cette ville ne pourront plus rouler. Le délai est trop court, même s’il y a des aides. Même si vous donnez 8000 euros d’aide pour accompagner la mutation, ce n’est pas suffisant, il y aura un reste à charge important pour les habitants. On a des gens modestes, des salariés modestes, qui vont devoir mettre au bout".
Un avis que partage Laurent Bonnaterre, maire de Caudebec-les-Elbeuf. Ce dernier a d'ailleurs fait part de son point du vue sur Twitter :
David Lamiray, conscient que "la planète prend feu", souhaite qu’on revoit le calendrier. "Qu’on donne plus de temps à notre société pour s’inscrire dans cette démarche". Alors le conseil municipal de Maromme a fait le choix, à l’unanimité, de ne pas rentrer dans l’immédiat dans la ZFE.
Un choix qui a cette conséquence : si le périmètre d’étude pour l’extension de la ZFE comptait 16 communes à l’été 2021, on en recense plus que 12 aujourd’hui. Comme Maromme, trois villes ont décidé de ne pas intégrer le périmètre : Mont-Saint-Aignan, Saint-Léger-du-Bourg-Denis et Saint-Etienne-du-Rouvray. Depuis le 3 janvier 2022, la Zone à faible émission est certes élargie, mais morcelée.
Le conseil municipal de Déville-lès-Rouen (Seine-Maritime) avait également émis une réserve, considérant qu’interdire certains véhicules risquaient de "mettre en difficulté certains publics jeunes ou en situation de précarité". 900 personnes pourraient être impactés, soit 20% des propriétaires de voiture de la commune. Mais la commune de 10 000 habitants fait tout de même partie du périmètre. Pourtant, ce périmètre… est désormais le problème.
Un périmètre incohérent
"Il y a des communes qui ont décidé de plus y être, et le périmètre est devenu incohérent", explique Dominique Gambier. Le maire PS de Déville-lès-Rouen nous a donné rendez-vous à la "frontière" Déville/Maromme pour nous montrer très concrètement ces incohérences "ingérables". "Maromme a fait choix de pas être dans la ZFE, ce que je respecte. Le problème, c’est qu’ici sur la route de Dieppe, vous avez à gauche les habitations sur Maromme, à droite celles sur Déville." Car sur 1 kilomètre, cette route appartient d’un coté au territoire de Déville, de l’autre au territoire de Maromme. Dominique Gambier pointe du doigt une maison : "cet habitant est dans un cul-de-sac. Il habite à Maromme, mais de fait, il est dans la ZFE."
Une aide "massive" pour les plus précaires
Invité sur le plateau de notre journal mercredi 2 février 2022, Cyrille Moreau, vice-président en charge des transports à la Métropole Rouen Normandie, a annoncé qu'il y aurait une aide "massive" pour les plus précaires. "Les aides de l'Etat on été insuffisantes, donc on a décidé pour les plus modestes de rajouter 4.000 euros d'aides, plus 1.000 si la commune est une ZFE."
Le vice-président en charge des transports aussi alerté les maires qui ne souhaiteraient sortir du périmètre de ZFE : "S'ils ne rejoignent pas la ZFE, ils perdront cette surprime, ainsi que notre prime de l'Etat. C'est 2.000 euros de moins d'aide pour les plus modestes."
Les ZFE, potentiellement très efficaces contre la pollution
L’élu attend de nouvelles discussions, et une réorganisation. Mais évidemment, sur le principe, il est tout à fait pour la ZFE. "On peut difficilement être contre l’idée d’améliorer la qualité de l’air". D’autant que ces Zones à faible émission sont potentiellement très efficaces. L’association ATMO Normandie, qui surveille la qualité de l’air dans la région, est chargée d’évaluer l’impact des ZFE en constituant des scénarisations. Un rapport sera publié dans quelques semaines, mais Christophe Legrand, directeur adjoint d’Atmo Normandie, nous confie déjà que "dans la zone de la ZFE, on ferait carrément disparaitre l’exposition au-dessus du seuil réglementaire européen pour les oxydes d’azote". A condition d’adopter le scénario le plus contraignant.
Pour l’instant, il ne s’agit que de modélisation, que nous avons trop peu de recul sur les autres exemples de ZFE en France. Le ministère de l’écologie recense 11 ZFE : la Métropole de Lyon ; Grenoble-Alpes-Métropole ; la Ville de Paris ; la Métropole du Grand Paris. Métropole d’Aix-Marseille-Provence ; Métropole Nice-Côte d’Azur ; Métropole Toulon-Provence-Méditerranée ; Toulouse Métropole ; Eurométropole de Strasbourg ; Métropole Rouen-Normandie ; Montpellier-Méditerranée Métropole.
Les ZFE, Zones à Faibles Émissions, sont un dispositif national obligatoire créé par la loi LOM (Loi d’Orientation des Mobilités) en 2019 et la loi Climat en 2021.