Le syndicat CGT affirme que les odeurs ne provenaient pas des conditions météo défavorables mais d'un "dysfonctionnement extrêmement grave" sur un site industriel sous-traitant de Lubrizol. La préfecture répond qu'il s'agit "d'allégations non vérifiées". L'entreprise mise en cause s'explique.
C'est dans les premières heures de l'année 2021, en pleine crise sanitaire et entre deux couvre-feux, que des habitants de l'agglomération rouennaise, et bien que portant un masque recouvrant le nez, ont senti de fortes et désagréables odeurs rappelant le triste souvenir de l'incendie de l'usine Lubrizol.
Plusieurs signalements ont été ensuite enregistrés sur "ODO.fr", la plate-forme spécialisée pour recueillir au niveau national les signalements de "nuisances olfactives"
Des habitants qui ont décrit ces odeurs comme étant celles de pneu brûlé, d'hydrocarbures, de goudron ou bien encore de plastique brûlé…
Le matin du 2 janvier, ATMO-Normandie, puis en début d'après-midi, la préfecture de Seine-Maritime alertaient la population pour un épisode de pollution de l'air par les particules. Des particules provenant "essentiellement des sources locales notamment le chauffage au bois et des chaudières qui sont fortement sollicitées en ce moment au regard des températures basses. "
Il était même demandé aux habitants de "bannir totalement le brûlage des emballages cadeaux (papier dorés, plastiques et autres combustibles non adéquats)."
L'explication des feux de cheminées comme étant la source du dégagement des odeurs a laissé sceptiques certains internautes habitués à subir des odeurs en provenance d'usines situées en bord de Seine…
Hier panache de fumée des cheminées de Boréalis et Lubrizol peu de vent ou contraire et voilà le résultat !!
— Antho de Rothomagus (@Anto14929966) January 2, 2021
Il est plus facile de s’en prendre aux citoyens en les faisants culpabiliser sur leurs voitures ou pourquoi pas les feux de cheminée qu’aux industriels de la régions !!
"Un dysfonctionnement extrêmement grave"
Quelques plus tard, le 6 janvier, dans un communiqué envoyé à la presse, le syndicat CGT de Seine-Maritime affirmait que l'origine de ces odeurs était industrielle, et liée à un incident dans les locaux de l'entreprise Multisol de Saint-Etienne du Rouvray, entreprise travaillant pour le compte de Lubrizol.
Gérald Le Corre, responsable CGT des questions de santé au travail en Normandie et membre actif du collectif unitaire Lubrizol, a décrit à la rédaction de France 3 Normandie le degré de gravité de ce dysfonctionnement, allant jusqu'à parler d' "un nouveau drame industriel évité de très peu"
"Les odeurs perçues depuis le 1er janvier 2021 proviennent d’un dysfonctionnement extrêmement grave sur le site. Ainsi, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2021, un mélangeur équipé d’un système de chauffage contenant des produits Lubrizol est monté anormalement en température dégageant de fortes fumées."
"Il apparait que nous sommes passés très près d’un incendie extrêmement important, d’une nouvelle catastrophe industrielle."
"Des allégations non vérifiées"
La préfecture de Seine-Maritime a répondu quelques heures plus tard à la CGT (qui demandait la mise en place d’une enquête immédiate associant les organisations syndicales et de défense de l’environnement) en apportant les précisions suivantes :
1. Conformément à la réglementation en vigueur en matière de particules et de qualité de l'air, la préfecture a repris le 2 janvier 2021 des informations données par ATMO-Normandie, organisme officiel chargé du suivi de la qualité de l'air dans le document d'information-recommandation diffusé très largement.
2. Par ailleurs, aucun incendie de site industriel n'a été signalé au SDIS et à la préfecture la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2021, ni par des industriels, ni par des riverains sur ce territoire.
3. Les signalements d'odeurs n'ont commencé de manière significative auprès d'ATMO- Normandie que le 1er janvier au soir, soit 24h après les faits allégués.
4. Le 2 janvier matin, plusieurs investigations ont été menées par le SDIS à la demande du préfet, auprès de sites industriels afin de déterminer si l'un de ces sites était à l'origine des odeurs perçues. Ces investigations n'ont pas permis de déterminer une origine industrielle à ces odeurs.
5. Les conditions météorologiques telles que précisées par ATMO-Normandie conduisaient logiquement cet organisme chargé de la surveillance de la qualité de l'air à signaler, entre autres sources, l'influence des feux de cheminée et de système de chauffage sur les odeurs perçues.
6. Par-delà ces éléments factuels et objectifs, la DREAL va effectuer les contrôles nécessaires dans l'entreprise signalée pour voir s'il y a eu un dommage qui n'aurait pas été déclaré aux autorités et si l'exploitant a respecté ses obligations.
La préfecture de Seine-Maritime précisant que l'entreprise Multisol n'est pas un site SEVESO seuil haut, ni seuil bas, mais une "ICPE soumise à autorisation".
Contactée ce jeudi matin (7 janvier 2021) par la rédaction de France 3 Normandie, la direction de Multisol affirme n'avoir "aucun commentaire à faire".
L'inspection de la DREAL révèle qu'un incident a eu lieu à Multisol
Le 7 janvier, en fin d'après-midi, la préfecture de Seine-Maritime, une journée après son premier communiqué, a publié une suite concernant le résultat de l'inspection menée par les services de la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie) dans les locaux de l'entreprise Multisol à Saint-Etienne du Rouvray.
D'abord, la préfecture indique, contrairement à ce qu'affirme la CGT-76, que "les produits qui étaient traités sur ce site dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier n'étaient pas des produits Lubrizol."
Mais elle confirme qu'il s'est bien passé un dysfonctionnement cette nuit-là :
"Les services de la DREAL se sont rendus sur le site de l'entreprise MULTISOL ce jeudi 7 janvier pour procéder à une inspection à la suite du signalement reçu. Cette inspection a pu confirmer que cette entreprise n'a pas connu d'incendie ni de dégagement de fumée sur la période du 31 décembre dernier et les jours suivants."
"Il a néanmoins été constaté qu'un incident de fonctionnement s'est produit le 31 décembre au soir, qui n'a pas donné lieu à un signalement aux autorités sur le moment. Les informations recueillies ne permettent d'attribuer à cet incident les odeurs ressenties 24 heures plus tard ; l'analyse délivrée par ATMO-Normandie demeurant valable, en ce qu'elle faisait état de plusieurs sources possibles d'odeurs, dont l'utilisation intensive de cheminées."
"L'administration va demander à l'entreprise Multisol de prendre les mesures adaptées pour éviter le renouvellement de ce type d'événement, et va juger des suites à donner à cette absence de signalement."
Multisol s'explique
Après plusieurs jours de mutisme, l'entreprise du groupe Multisol, mise en cause dans cette affaire, a publié ce vendredi (8 janvier 2021) un communiqué pour donner sa version des faits après un incident survenu dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier avec un produit sur son site de production de l'agglomération rouennaise.
Multisol, "entreprise mondiale et leader du marché dans la formulation, le mélange et la distribution d’additifs de haute valeur pour carburants et lubrifiants, huiles de base et produits chimiques spéciaux" tient d'abord à préciser que "le produit concerné n'est pas lié à Lubrizol".
L'incident survenu à l'usine de Sotteville-les-Rouen est-il à l'origine de "certaines odeurs désagréables" dans la région de Rouen le 1er janvier ? Multisol n'écarte pas cette possibilité mais déclare "qu'il n'est, pour l'heure, pas certain que ces odeurs proviennent de notre usine."
Un incident et une possibilité de dégagement d'odeur
Dans son communiqué, Multisol donne des précisions sur l'incident révélé par le syndicat CGT-76 :
"Le site de production a rencontré un incident opérationnel mineur le 1er janvier, au cours duquel certaines huiles de base lubrifiantes et certains polymères ont été surchauffés au-dessus de leur températures de fonctionnement habituelle."
"A aucun moment, le produit n'a atteint une température à laquelle il aurait pu s'enflammer ; par conséquent, nous pouvons donc confirmer qu'il n'y a pas eu d'incendie."
Ces produits surchauffés sont-ils alors à l'origine des odeurs signalés par les habitants de l'agglomération de Rouen ?
Le groupe Multisol, en indiquant qu'une enquête sur cet incident est en cours et que l'entreprise "coopère avec les autorités", explique cependant que "l'huile et le polymère peuvent dégager une odeur désagréable, grasse et brûlée en cas de surchauffe ; nous confirmons toutefois qu'ils ne présentent pas de danger pour la santé."