Succession de contraintes pour l’ouverture des terrasses : à Rouen, l'incompréhension des restaurateurs

D'abord l'annonce de la jauge de 50% pour la reprise du service en terrasse de cafés, bars et restaurants. Deux jours plus tard, celle de mesures différentes pour les petites capacités. A Rouen, l'agacement des acteurs du secteur se fait sentir. 

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« C’est pas cohérent, mais de toutes façons c’est rarement sensé » se désespère Francesco Desimone, gérant du restaurant L’Oritano, place de la Pucelle à Rouen. La veille, Francesco et son associée Pauline Soetaert ont commandé des parasols en toile imperméable, « spécial météo normande ». Ils ont découvert par la presse que Jean Castex avait annoncé une jauge des terrasses à 50% de leur capacité. « Personne ne nous a appelé pour nous le dire. Il n’y a rien d’officiel et je ne vois pas comment ils vont contrôler ça », maugrée-t-il.

Le Premier ministre a annoncé cette jauge de 50% dans une interview au Parisien le 10 mai dernier. « Il faudra être assis, six à table maximum, sans aller à l’intérieur de l’établissement », avait-il alors ajouté. Francesco est agacé par cette énième annonce : « on sent qu’ils ne nous font pas confiance. On connaît les règles et on les respecte depuis le début. Il n’y a pas eu de cluster. »

Déjà de la perte de matière première

Cette annonce du Premier ministre passe mal aussi à La Crêperie rouennaise. La semaine précédente, Florian Pelon, le co-gérant, se disait enthousiaste et prêt pour le 19 mai. Aujourd’hui, c’est encore une douche froide. « Je pense que tout le monde est plus ou moins choqué. Ça va être très, très compliqué », peste Florian Pelon.

C’est complet pour les trois ou quatre premiers jours. Comment je sélectionne les clients qui pourront rester ? 

Florian Pelon, co-gérant de "La Crêperie rouennaise"

Le restaurant commence à réceptionner les commandes de denrées alimentaires, telles que des poulets et des cartons d’œufs. Avec une terrasse divisée par deux, il ne pourra pas tout utiliser. « On a des produits frais de la ferme donc il faut les consommer plus vite. Là, j’ai déjà perdu de la marchandise », se désole-t-il.

Interrogations sur l’évaluation de la jauge à 50%

L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie fait également part de son étonnement. « On n’a absolument pas envisagé d’avoir une jauge à l’extérieur », explique Philippe Coudy, président de l’UMIH Seine-Maritime. Une terrasse se mesure en surface, pas en capacité. « Si j’ai une terrasse de 50m2 et que je veux mettre 35 ou 60 places, c’est mon choix. Il n’y a pas de règle pour ça ».

Le protocole d’octobre aurait quand même été plus simple à mettre en œuvre.

Philippe Coudy, Président de l'UMIH Seine Maritime

Comment cette jauge va-t-elle être calculée ? Quelle est la configuration ? Celle d’avant le mois de mars 2020, avant la crise sanitaire ? Quels seront les critères de contrôle ? Des questions aujourd’hui sans réponse. « Le protocole d’octobre aurait quand même été plus simple à mettre en œuvre », se désole Philippe Coudy. Publié le 5 octobre par le ministère de la Santé et des solidarités, le communiqué de presse annonçait notamment « un espace libre d’au moins un mètre entre les chaises de tables différentes. » 

Les petites terrasses exemptées de jauge, mais…

Deux jours après l’annonce d’une jauge à 50%, le gouvernement rétropédale… Partiellement. Dans une nouvelle interview au Le Parisien, c'est cette-fois Alain Griset, le ministre des Petites et moyennes entreprises qui déclare supprimer les jauges pour les « petites terrasses pouvant accueillir sept ou huit tables ». Une fausse bonne nouvelle pour les établissements concernés. « Il faudra en revanche que les professionnels installent une séparation en dur entre les tables, comme un Plexiglas fixé à hauteur d’homme pour qu’il n’y ait pas de proximité entre les consommateurs » a-t-il déclaré au Parisien.

Victoria Normand cogère le restaurant Tandem rue Damiette depuis octobre 2019, « depuis Lubrizol, depuis les gilets jaunes et la crise Covid », ironise-t-elle. Avec deux m2 de terrasse elle peut accueillir trois tables de deux ou une table de quatre et une table de deux, soit six couverts. Cette nouvelle contrainte pourrait compromettre la réouverture. « C’est étrange et aberrant. Tous les jours on invente des nouvelles règles. Si je suis vraiment obligée de mettre des séparations je ne pourrai pas ouvrir ma terrasse ».

Le mille-feuille des mesures

L’incompréhension est de taille également pour Marc Viguié, gérant du bar L’Écuyer avec une « petite terrasse » rue Ecuyère. « Pourquoi cette règle ? Par rapport à quoi ? », interroge-t-il. « On nous dit qu’il faut un mètre entre les tables et après on nous parle de jauge ? Et puis c’est quoi cette histoire de séparation en dur ? Il y a un décret ou quelque chose ? Comment on calcule tout ça ? » s’alarme-t-il.

Travailler et faire la police en même temps, ça va être compliqué !

Marc Viguié, gérant du bar L'Écuyer à Rouen

Le barman s’inquiète également du contrôle du nombre de personnes en terrasses et d’éventuels débordements. « Je ne pourrai même pas satisfaire 20% de ma clientèle, je vais devoir refuser du monde. Travailler et faire la police en même temps, ça va être compliqué », regrette-t-il.

De son côté, la Préfecture déclare que « la reprise d'activité se fera dans un état d'esprit de responsabilité partagée par les exploitants et les clients. Assurer la sécurité des clients comme des salariés est la condition nécessaire pour aller au bout de la réouverture progressive de tous les établissements. » L’autorisation d’ouverture des terrasses sera conditionnée au strict respect du protocole national sanitaire adapté, dont les travaux sont toujours en cours de finalisation.

Des contrôles renforcés sont prévus par les services de l’État, les polices municipales et les agents des collectivités s’agissant du domaine public. « Dans le cas contraire, toute infraction constatée pourra donner lieu à l'engagement d'une procédure judiciaire et administrative », prévient la Préfecture.

Vers une évolution de la restauration avec l’accumulation des mesures restrictives

Le monde de la restauration pourrait réellement se transformer. Beaucoup ont ou vont fermer. Certains modifient leur offre temporairement, d’autres définitivement. Ouverts depuis 2015, le restaurant L’Oritano a subi les trois confinements et différents protocoles sanitaires. « On a appris à faire les choses au dernier moment, ça réduit aussi les possibilités d’embauche », confient Francesco et Pauline, les deux gérants. Les incertitudes se succédant, ils ont décidé d’adapter leur activité : restaurant le midi et bar le soir.

De l’autre côté de la place de la Pucelle, à l’angle de la rue de la Vicomté, se trouve le Prélude. Depuis que les restaurants n’accueillent plus de clients en salle, les habitudes des Rouennais ont changé. Selon Wilfried Aubert, le manager, une nouvelle clientèle est arrivée. « On faisait déjà à emporter avant mais les gens ne le savaient pas. Entre les cabinets médicaux, le fournisseur d’électricité ou encore les agents immobiliers, nous sommes devenus la cantine du quartier. On en voit certains tous les jours », se réjouit-il.

Grâce à l’augmentation de la taille de sa terrasse accordée par la mairie, le Prélude café devrait pouvoir accueillir tous ses clients malgré la jauge réduite à 50%. En effet, la terrasse passera de 14 à 28 m². Reste à savoir si la météo le permettra.

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