Né valide, David Fortin n'avait pas conscience des challenges auxquels font face les personnes en situation de handicap, avant de se retrouver lui-même en fauteuil roulant. Avec la création d'ASINUR (Association inclusion urbaine), il espère éveiller les consciences et rendre les rues de Rouen plus accessibles.
Âgé de 48 ans, David Fortin est atteint de sclérose en plaques depuis 28 ans, et circule en fauteuil roulant depuis plusieurs années. Sa vie est faite de défis. Traverser une rue où les pavés manquent, entrer dans un commerce, lorsque la rampe d'accès prévue pour lui dépasse les 30 degrés... Alors son association, créée il y a deux mois, résonne comme un coup de gueule.
Je me lance dans un nouveau combat, l'accessibilité. Après bientôt 20 ans où l'État fait voter des lois, il est temps de les faire appliquer ! Je veux mener ce combat pour toutes les personnes vulnérables, qui souffrent et qui ont le droit à cette inclusion sans discrimination.
David Fortin, président et fondateur de ASINURà France 3 Normandie
"Je suis tombé à plusieurs reprises"
Lorsqu'il est diagnostiqué, à l'âge de 20 ans, David Fortin n'imagine pas se retrouver un jour en fauteuil. "Très honnêtement, je n'imaginais pas le défi que représente l'espace public pour les PMR [personnes à mobilité réduite, ndlr] en tant que valide. Une fois que l'on est malade, on comprend mieux les choses. Je ne peux pas en vouloir aux valides ; on ne peut pas les comprendre sans les avoir vécues."
Mais son état se dégrade et il doit quitter les champs pour le bitume : "J'habitais en pleine campagne, près de Bourg-Achard. J'ai voulu déménager parce qu'en fauteuil, c'était compliqué. Je suis revenu à Rouen, ma ville natale, et me suis aperçu que là aussi, l'accessibilité était très compliquée."
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David déménage avec son épouse, Anne-Sophie, aidante. Un indéfectible soutien. Mais il souffre de ne pas pouvoir être 100% autonome. Rouen, comme toutes les villes de France, comporte son lot d'incohérences, des places handicapées situées sur des trottoirs trop hauts aux trous béants qui parsèment le bitume. "Les trottoirs sont totalement inaccessibles, pour la majorité, aux fauteuils roulants. Le cyclisme est vraiment mis en avant à Rouen, donc on emprunte les pistes cyclables... Mais dans certains quartiers, il manque des pavés, il y a énormément de trous... Je suis tombé à plusieurs reprises."
"Rouen ne met pas en valeur son patrimoine !", estime-t-il, précisant tout de même se réjouir de certains aménagements, comme "les quais rive droite, près du Pont Boieldieu, c'est extraordinaire en fauteuil, tout est accessible !"
Des lois trop souvent ignorées
Il y a ceux qui circulent en fauteuil roulant... Mais aussi ceux qui se déplacent avec une canne... Il y a le confort... Et il y a la loi, censée protéger les plus vulnérables et améliorer les conditions de circulation des personnes en situation de handicap.
C'est sur ce volet que travaille notamment l'ASINUR. "On a une loi, en vigueur depuis 2005, qui demande aux commerçants et aux Établissements recevant du public (ERP) de se mettre en situation de position d'accueil simple pour les personnes vulnérables, mais je m'aperçois que ce n'est pas le cas dans tous les commerces et administrations."
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"Nous sommes en 2024, la loi Handicap a été créée en 2005, reprend-il. En 2014, l'État a demandé aux communes d'établir un Ad'AP (Agenda d'accessibilité programmée), fixant un nouveau délai maximum de neuf ans pour les grandes communes, afin de permettre un étalement des travaux et une transition vers une société plus inclusive. Nous souhaitons comprendre pourquoi la majorité de nos élus ne semblent pas être réceptifs à ce problème sociétal."
Je veux me rendre à la Maison des personnes handicapées. Je pars de Saint-Sever, je prends la rue Chiron, je me retrouve à 100 mètres de la MDPH... Et je me vois faire un détour de pratiquement deux kilomètres car un trottoir m'empêche de l'atteindre. Encore un bon exemple de non-inclusion, voire de discrimination.
David Fortin
Des exemples, David Fortin en a des dizaines. Il cite une administration rouennaise supposée accessible aux PMR. La sonnette y a été placée à 1,30m de hauteur, près de la porte. Une marche empêche l'accès aux personnes en fauteuil.
"Les choses sont mises en place par des gens valides, ils ne réfléchissent pas comme nous. C'est un problème de logique. La population est vieillissante. Bientôt, davantage de gens déambuleront avec des cannes et des fauteuils, sans compter les caddies de course et les poussettes... Le but de mon association, c'est de réveiller les élus en leur disant de réparer les choses, de sécuriser le public, souligne-t-il.
Un audit pour réveiller les élus et éveiller les consciences
Objectif d'ASINUR à court terme : réaliser un audit sur l'accessibilité des voiries et des bâtiments, avant de mettre en œuvre "des mesures correctives immédiates". "Nous mènerons cet audit et appliquerons les corrections nécessaires en interne et immédiatement afin de respecter le délai engagé par notre président, soit le 1er janvier 2025", peut-on lire dans le dossier de presse de l'association.
David Fortin va plus loin. Depuis la naissance de l'association, il multiplie les contacts avec des élus. Et ne se décourage pas lorsqu'aucune réponse ne lui est apportée. "J'ai sollicité une dizaine de députés de notre secteur et au moins 5 sénateurs. Je profite de ce moment pour les remercier de ne pas m'avoir répondu ! Si l'on a besoin de rien, il faut le leur demander", ironise-t-il.
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Reste un volet pour éveiller les consciences : celui de la sensibilisation. "L'association compte inviter les élus à faire un parcours en fauteuil dans la ville, prendre les chemins que l'on a l'habitude d'emprunter, notamment ceux utilisés par les touristes, afin qu'ils se rendent compte des difficultés auxquelles font face les personnes handicapées pour circuler seuls. Ce que j'aimerais aujourd'hui, ce n'est pas seulement que l'on écoute les doléances d'un sombre handicapé, mais qu'on passe à l'action."
Au-delà des frontières de la Seine-Maritime
Ce combat, David Fortin ne le mène pas seul. Et espère l'exporter dans tous les départements de France. Son vice-président, Thomas Boulier, a déjà commencé ce travail en créant une antenne dans le Var, où il dirige une société de location de bateaux. "Il a équipé son ponton d'amarrage avec un système de treuil, permettant à un handicapé en fauteuil d'accéder au bateau. Il veut montrer que l'inclusion est possible dans tous les domaines."
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"Les Jeux paralympiques ont été un facteur de prise de conscience, reprend David Fortin. On a été capable d'assainir la Seine, on y a consacré un budget énorme. Nous, on aimerait qu'1/10ème de ce budget soit utilisé pour sécuriser une ville." Concluant : "A mon sens, cela va dans le sens des choses importantes. Nous sommes 12 millions de personnes handicapées en France. Si l'on voulait monter un parti, il serait le plus grand du pays. Mais on se sent délaissé."