Témoignage. "Je n'ai plus le droit d'être maman". Mère d'un enfant placé, Mégane se bat pour retrouver son fils

Publié le Écrit par Mélisande Queïnnec
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Mégane a perdu la garde de ses deux enfants. L'une vit sous l'autorité d'un père qu'elle juge violent, l'autre, en famille d'accueil. Si la jeune femme déclare avoir fait le "deuil" de sa fille aînée pour "se protéger" d'un désespoir croissant, elle se bat pour retrouver son fils et déplore un système qui broie les familles suivies par l'ASE.

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Youssef est né en juin 2023, dans une clinique de la métropole rouennaise. Et à peine remise de son accouchement, ce ne sont pas des fleurs que sa mère a reçues, mais la visite de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) qui a pris la décision de recourir à un placement provisoire pour le nouveau-né. Un placement prolongé par la juge des enfants et contre lequel se bat cette mère de famille.

J'avais équipé tout mon logement pour accueillir mon bébé, il y avait tout le matériel. Et à peine né, on me l'a arraché des bras.

Mégane Lasne, mère d'un enfant placé

à France 3 Normandie

À 31 ans, Mégane Lasne se voyait donc retirer la garde de son deuxième enfant, deux ans après sa fille aînée, hébergée par son père et avec qui elle n'a aujourd'hui plus aucun contact. Une décision qu'elle ne comprend pas, et dont elle ne parvient pas à se remettre, à l'aube des 14 mois de son fils.

"Il a déclaré que j'étais complètement instable"

Tout commence en 2017, lorsque Mégane, alors âgée de 24 ans, rencontre celui qui deviendra son mari : Mourad*. Le couple se marie en 2018 et la jeune femme donne rapidement naissance à une fille, Manel*.

Mais les choses dérapent rapidement. Mégane décrit des années de manipulation mais aussi deux scènes de violence physique dont sa fille est témoin. Elle affirme avoir fait l'objet de nombreuses insultes, avoir été constamment rabaissée, notamment sur son poids, et avoir développé des troubles alimentaires et une grave dépression liée à ces violences psychologiques incessantes.

Après notre mariage, il y a eu une enquête dirigée par la Police des airs et des frontières pour suspicion de mariage gris. J'ai défendu notre couple. Mais avec le recul, je pense que pour lui, j'étais juste une mère porteuse.

Mégane Lasne

Des messages et photos que nous avons pu consulter confirment l'adultère de Mourad. L'homme empêche également son épouse de rester en contact avec ses parents. "Il s'opposait farouchement à ce que je les vois. Mon père est mort sans avoir jamais vu ma fille. Je suis restée 4 ans sans le voir. La dernière fois que je l'ai vu, c'était à la morgue", confie Mégane, encore très choquée.

En février 2022, Mégane quitte Mourad. Ce dernier obtient la garde provisoire de Manel suite aux accusations qu'il porte contre son ex-femme.

"Il m'a accusée de fornication à côté de l'enfant, de violence. Il a déclaré que j'étais complètement instable... Des mensonges", plaide-t-elle, estimant que l'Aide sociale à l'enfance a pris sa décision en raison du suivi à la MDPH de la jeune femme pour épilepsie, agoraphobie et dépression, et après que le couple a confié l'enfant à une nourrice qui se serait alcoolisée pendant ses heures de garde, le mettant en danger.

6 semaines d'ITT

Quand Mourad déménage, il conserve les clés de l'appartement conjugal, où Mégane réside encore. Commencent alors des semaines d'angoisse. "Il se permettait de venir chez moi n'importe quand. J'ai dû partir et je me suis retrouvée en foyer d'accueil d'urgence", décrit Mégane Lasne.

Hébergée au Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de l'Armée du salut, à Maromme, Mégane est décrite, par les psychologues de l'établissement, comme ayant "une thymie triste et anxieuse" liée à la séparation avec sa fille. Le Centre d'accueil spécialisé pour les agressions du CHU de Rouen lui reconnaît alors 6 semaines d'ITT (Incapacité totale de travail), liée à son intense stress et à la nécessité d'une mise à l'abri en foyer d'urgence.

La première audience avait lieu le jour de l'anniversaire de ma fille. Je lui avais ramené un cadeau. Il lui a demandé de me le rendre dans la salle d'attente. À la fin de l'audience, je voulais faire un bisou à ma fille, il s'est barré en courant avec elle comme si j'étais une malpropre.

Mégane Lasne

En novembre 2022, quelques mois après leur séparation, Mégane porte finalement plainte contre son ex-époux pour "violences par conjoint" et "harcèlement moral". À ce moment-là, il a, sur décision du juge aux affaires familiales (JAF), la garde de sa fille. Il bénéficie en outre d'une AEMO (Action éducative en milieu ouvert). Mégane, elle, doit se contenter d'un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux et d'une visite médiatisée (sous la présence d'un éducateur) tous les quinze jours.

Pourtant assidue aux visites, Mégane perd peu à peu tout contact avec sa fille aînée, aujourd'hui âgée de 6 ans. Sans aucune nouvelle, elle finit par "faire le deuil", dit-elle - "la petite, c'était son objet pour me faire du mal" - et rencontre un nouveau compagnon, dont elle tombe enceinte. Une grossesse désirée mais qui s'accompagne d'une colère intense vis-à-vis de Mourad.

"Je n'ai plus le droit d'être maman"

Prématuré, Youssef naît fin juin 2023. Après l'accouchement, une psychologue de l'hôpital constate chez la mère "des angoisses" concernant "la peur qu'on lui enlève à nouveau son enfant, peurs qui ont probablement généré des comportements et attitudes défensifs d'évitement d'interaction, de maternage bienveillant à l'égard de son bébé (sentiment permanent d'être 'jugée' sur sa capacité à être une bonne mère)", peut-on lire dans son rapport.

"Durant tout son séjour d'hospitalisation, Mme Lasne a exprimé de vifs sentiments de colère, d'injustice, d'idées obsédantes par rapport à la garde de sa fille, parasitant l'instauration d'un lien affectif souple et sécurisant avec son bébé", évoque encore le rapport.

"Quand je suis arrivée à la clinique, j'étais malade", explique Mégane, consciente de la complexité de son état psychologique lié à la dépression et à de graves problèmes de santé. "Après mon accouchement, j'étais sous un médicament à base de codéine : baisse de la vigilance, endormissement, j'étais complètement shootée, se souvient Mégane. À un moment donné, je prends mon bébé pour lui donner le biberon. Je débranche la sonde, je l'entortille et je la bloque dans le body et je le repose. Et je m'endors à cause des médicaments. Le cordon de la sonde s'est retrouvé à ras du cou de Youssef."

Ce qu'il s'est passé, c'est l'accumulation de tout. Ils m'ont tellement épuisée que l'incident de l'hôpital a été la conséquence de tout ce qu'on m'a fait auparavant. Je suis arrivée à la maternité dans un état de fatigue physique et psychique... Je n'en pouvais plus !

Mégane Lasne

Mi-juillet, la juge des enfants décide de son placement d'office suite à l'événement, et scrute à la loupe le passé de la jeune femme. Mégane dit alors s'être effondrée : "ça a explosé et détruit toute ma vie."

Son avocate, Me Nathalie Karouby-Suganas, détaille : "Il s'agissait d'un placement provisoire. C’est-à-dire que l'on a pris Youssef sans audience, sans rapport, mais avec l'obligation légale que dans les 15 jours du placement provisoire, une audience se tienne devant le tribunal. Mais en 15 jours, qu'est-ce que vous voulez qu'on amène, qu'est-ce que vous voulez qu'on démontre par rapport à des professionnels qui disent que madame représente un danger ?"

"Mon fils est trimballé comme un paquet de linge pourri"

À l’issue des quinze jours, le placement est prolongé par la juge des enfants. Le nourrisson est emmené à la pouponnière de Grand-Quevilly (Seine-Maritime), puis dans des familles d'accueil - quatre au total. "Mon fils est trimballé comme un paquet de linge pourri", se désole Mégane.

"Les gens qui n'ont ni les armes, ni les capacités psychologiques de se défendre, sont quelque part broyés par ce système", commente Me Karouby-Suganas.

"La protection de l'enfance estime avoir les codes. La bonne éducation doit être normée, correspondre à ses valeurs. Dès que les gens ont dysfonctionné à un moment de leur vie, on leur dit 'on a la norme, vous ne l'avez pas'. Pourtant, les gens évoluent, heureusement. Et un enfant qui n'a pas eu l'amour de ses parents, c'est un enfant qui aura un vide en lui. Et un enfant qui n'aura lui-même pas les codes pour devenir un jour parent."

Mme Lasne est considérée par la justice comme le mauvais objet, celle qui ne tient pas la route, qui n'a pas les codes. Contrairement à son ex-mari, vu comme le bon père de famille qui s'occupe bien de la petite. Même s'il a dit les pires atrocités sur son ex-femme.

Me Nathalie Karouby-Suganas

à France 3 Normandie

Parallèlement, le divorce avec Mourad est prononcé en septembre dernier. Le père de Manel obtient du JAF l'autorité parentale exclusive. Le père de Youssef, dont elle s'est séparée, est lui écarté d'office faute d'être régularisé - une démarche en cours mais qui prend du temps. Il doit donc se contenter de visites régulières. Mégane se retrouve la corde au cou.

"La régularisation va se faire pour le titre de parent d'enfant français. Il faut donner des preuves liées à son implication personnelle dans l'éducation de son fils. De ce fait, il a envoyé un recommandé avec accusé de réception à la cadre de l'ASE, en lui demandant une attestation montrant qu'il était bien régulier et bien présent auprès de son fils, explique Mégane. Nous n'avons jamais eu de réponse, c'était il y a plusieurs mois. Et en attendant, Youssef est loin de son père, alors qu'on ne lui reproche rien."

La difficulté de créer un lien mère-fils

Les visites ne suffisent pas à pallier l'absence de l'enfant. Médiatisées ou non, elles nécessitent une vraie flexibilité : "Quand un enfant a été placé en pouponnière, c'est la pouponnière qui propose ou qui impose les droits de visite aux parents. Un parent qui a des horaires imposés par un travail ne pourra jamais voir son enfant. Mme Lasne a dû refuser des emplois, relève Me Karouby-Suganas. Ils ont leur emploi du temps, leurs impératifs. Si les parents veulent maintenir un lien avec leur enfant, il faut qu'ils soient à la disposition des services éducatifs."

Même scénario pour le père de l'enfant, qui bénéficie de visites libres... Qui dépendent des disponibilités de la famille d'accueil : "Avant, quand on était encore ensemble, il partait en déplacement du lundi au vendredi. Et même sans papiers, il se faisait des payes correctes. Là, du jour au lendemain, on lui a fait comprendre qu'il fallait qu'il se tienne à la disposition des services, et il ne peut plus travailler normalement", interpelle Mégane.

Une visite libre, c'est à l'interprétation des services éducatifs. Soit les sorties sont OK, soit pas. C'est nébuleux.

Me Nathalie Karouby-Suganas

Mégane, elle, ne peut voir son fils qu'une heure par semaine et sous la stricte surveillance d'éducateurs, le tout dans un lieu neutre - le principe de la visite médiatisée, destinée à protéger l'enfant d'éventuelles maltraitances ou négligences. Elle s'interroge sur la pertinence de la mesure : "L'unité d'accueil familial a changé 5 fois d'éducateurs depuis le début. Mon fils a changé 4 fois de famille d'accueil. Et je l'ai retrouvé blessé par une griffure de chat. Je me dis qu'ils vont désosser mon gamin !"

Selon Me Karouby-Suganas, il est impossible de nouer une vraie relation avec l'enfant dans un tel contexte. Elle déplore que ce soit justement ce point qui soit reproché à sa mère et, de manière plus globale, aux parents d'enfants placés.

"Avec des éducateurs qui scrutent ses moindres mouvements, dans un lieu très petit et sur un temps limité, quelque part, on ne lui a jamais laissé cette chance de créer un lien. On a pourtant un petit garçon qui sourit, qui est dans le contact, qui regarde, et on nous dit qu'il n'a pas de lien avec sa mère."

"Je vis dans le mensonge"

C'est ainsi tout un système que Me Karouby-Suganas remet en question. Un système qui, pour elle, brise à la fois les familles d'enfants placés et lesdits enfants, et empêche les parents de reprendre leurs responsabilités après une situation de mise en danger.

Mégane confie, la gorge serrée, avoir été obligée "de dissimuler toute cette histoire aux grands-parents paternels" de son fils. "Ils sont en Algérie, ils ne savent pas que Youssef a été placé. Je n'ai pas le choix : ma belle-mère a un problème au cœur et mon beau-père est diabétique. J'ai toujours eu de bons rapports avec eux. Si je vis dans le mensonge, c'est pour les protéger."

Reste une perspective qui pourrait changer la donne, à la fois pour Manel et pour Youssef : l'éventuelle décision du parquet, en septembre prochain, de poursuivre en justice le père de Manel pour "violences" et "harcèlement moral". "Cela pourrait avoir une grande influence", estime l'avocate, qui se dit confiante.

"S'il est poursuivi, cela peut remettre en question toutes les accusations calomnieuses qu'il a colportées sur moi, espère quant à elle Mégane. Et s'il est condamné, Madame la juge aux affaires familiales devra bien admettre qu'il n'est pas une oie blanche."

Des visites médiatisées de plus en plus nombreuses ces dernières années

Interrogé, le Département de la Seine-Maritime a, de son côté, précisé que "l’existence de poursuites pénales ne suspend pas l’autorité parentale", sauf dans les cas de féminicides, mais que "les situations de violences conjugales, ou sur enfants, peuvent amener à des décisions prises lors de jugements au regard de la gravité et de la nature des faits reprochés".

"En second lieu, la résidence principale des enfants est fixée par un juge aux affaires familiales. Cette décision n'est pas liée à la protection de l’enfance qui relève des juges des enfants. Il peut exceptionnellement arriver que le juge des enfants décide de placer un enfant chez l’un des parents quand il est avéré que la situation de danger chez l’autre parent est toujours en cours. Toutefois, il revient exclusivement au juge des affaires familiales de statuer sur l’évolution des droits de chacun dans les résidences."

Après une mesure de placement provisoire, les services ont la mission d'évaluer les capacités du parent à répondre à tous les besoins de son enfant, en lien avec son âge. La notion de danger pour l’enfant doit être écartée pour assurer sa survie et sa bonne prise en charge.

Département de la Seine-Maritime

à France 3 Normandie

Concernant, la complexité, pour les parents d'enfants placés, d'organiser leur quotidien pour conserver un lien, même ténu, avec l'enfant, le Département précise enfin que les visites médiatisées requièrent des aménagements coûteux et mobilisent de nombreux professionnels... Ce qui complique forcément leur flexibilité. "L’organisation de visites en présence d'éducateurs et dans un lieu neutre pose de plus grandes difficultés ces dernières années. En effet, les situations familiales dégradées ont entraîné une forte augmentation de ces visites."

Selon le ministère de la Santé, en 2022, 633 enfants avaient été placés dans l'ex Haute-Normandie - 502 en Seine-Maritime et 131 dans l'Eure.

*Les prénoms ont été modifiés

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