Crise sanitaire, profs non remplacés, décrochage scolaire… Alors que l'année scolaire 2020-2021 touche à sa fin, des professeurs normands ont accepté de revenir sur cette période une nouvelle fois chamboulée par la pandémie.
L'année scolaire 2020-2021 touche à sa fin ce mardi 6 juillet 2021. De la maternelle au collège, une année à nouveau marquée par la crise sanitaire avec de nombreuses contraintes sanitaires et sociales. Des professeurs normands ont accepté de nous raconter leurs difficultés.
“Une année compliquée et triste”
“On n’avait pas le droit de brasser les groupes. Je suis restée toute l’année avec le mien, même dans la cour de récréation. C’était triste pour mes élèves d’être tout le temps avec la maîtresse, qu’ils soient uniquement entre eux. Pas de sortie, pas d'ouverture culturelle... c'est une année compliquée et triste", nous confie Laure (le prénom a été modifié), enseignante d’une classe de CP dans une école de l’agglomération rouennaise.
“Ce qui est aussi difficile pour eux, c’est le contact physique devenu inexistant entre eux. En maternelle, c’est compliqué pour eux de ne pas pouvoir aller faire un bisou à leurs copains ou copines, surtout qu’ils ne portent pas de masque", ajoute Valérie, professeure dans une école maternelle sur les Hauts de Rouen.
“Je n’ai jamais vu le visage de mes élèves”
"Ça a été une année décousue. J’ai des élèves dans ma classe dont je n’ai jamais vu le visage”, nous confie François, professeur remplaçant dans un collège à Fleury-sur-Andelle. Une année d’autant plus difficile à gérer puisqu’il s’occupe d’une classe de SEGPA (sections d’enseignement général et professionnel adapté), c’est-à-dire de jeunes collégiens en décrochage scolaire. Les maîtres-mots de ces deux années scolaires perturbées par la crise sanitaire : tolérance et bienveillance. “Ce sont des élèves déjà fragilisés à la base, on a essayé d’être aux petits soins pour eux. On a des élèves qui ne sont pas bien.”
Une pénurie de remplaçants
Une année scolaire aussi perturbée par quelques cas contacts dans les établissements. “Ca nous faisait parfois des semaines de 7 jours sans professeur. Avec la crise sanitaire actuelle, il y a une pénurie de remplaçants”, poursuit François.
A cela s’ajoute le manque de remplaçants. “J’ai été moi-même malade du Covid”, nous confie Valérie, professeure dans une école maternelle sur les Hauts de Rouen. “Mais il y a aussi les cas contacts, ça a été le cas de toutes mes collègues quand j’ai été malade.” Dans cette configuration, les cas contacts doivent être mis à l’isolement pendant quelques jours et se faire tester. “On a eu que deux remplaçants pour quatre places. Déjà qu’à la base, il n’y en a pas assez, ça s’est accentué avec la pandémie.”
Cette dernière n'a pas le sentiment d'avoir été soutenue par le gouvernement. “On a changé deux fois de protocole en deux ans."
Le gouvernement ne nous aide pas forcément. Le problème c’est qu’à chaque fois, tout a été fait dans l’urgence. Le vendredi soir, on nous indique qu’il faut changer de protocole pour le lundi. S’il y avait des choses à refaire, ce serait nous donner du temps pour qu’on puisse mettre en place les choses.
Des pertes de temps dans les emplois du temps
Distanciation sociale, lavages de mains, port du masque... Des conditions sanitaires qui poussent, de la maternelle au collège, les professeurs à redoubler de vigilance et à les mettre dans une situation déplaisante. “Dès qu’on a le dos tourné ils baissent le masque. Au collège on arrive aussi dans un âge où on a un peu l’esprit de contradiction. L'opposition se fixait à la hauteur du port du masque sur le visage", nous explique François.
Ce ne sont plus des provocations verbales mais des nez qui sortent.
"Le masque n'est pas très adapté pour des enfants de 6 ans. Il y en a qui arrivent avec des masques trop grands qu’ils essayaient de faire tenir avec leurs dents.. Beaucoup touchent leurs masques… j’ai passé une bonne partie de l’année à dire 'remets ton masque, repositionne-le'.. alors que j’aurais pu passer ce temps-là à faire tout autre chose", poursuit Laure (le prénom a été modifié), enseignante d’une classe de CP dans une école de l’agglomération rouennaise.
Le masque n'est pas très adapté pour des enfants de 6 ans.
"7 ou 8 lavages de main par jour, ça prend du temps sur l'emploi du temps, les élèves attendent beaucoup car il y a des petits sanitaire", nous indique Laure. "Le temps que toute l'école passe, aux mêmes horaires, dans les sanitaires ça pose problème. On a dû s'organiser pour faire des horaires de sortie récréation échelonnés. Ca prend beaucoup de temps."
Des difficultés d'apprentissage liées au port du masque
Si les gestes sanitaires (distanciation, lavage de main) sont désormais des automatismes pour les élèves, le port du masque peut provoquer quelques difficultés d’apprentissages, notamment chez les plus petits. “Ce qui est le plus difficile c’est au niveau de l’apprentissage phonologique. Pour apprendre le son “ô” c’est important de voir la forme des lèvres. J’ai donc aménagé ma classe de façon à ce qu’ils puissent me voir sans masque mais de loin sur un temps très court”, raconte Valérie, professeure dans une école maternelle sur les Hauts de Rouen.
On nous avait parlé de masques transparents mais on n’en a jamais vu la couleur…
“Pour l’entrée dans la lecture, c’est très compliqué. Les enfants se réfèrent beaucoup à la position de notre bouche. On nous avait parlé de masques transparents mais on n’en a jamais vu la couleur…", ajoute Laure, professeur d'une classe de CP. "Même quand ils lisent eux, je n’arrive pas toujours à percevoir le son qu’ils disent. J’ai essayé de modifier ma tactique en faisant des tout petits groupes de lecture avec moi, de manière à ce que je sois au plus près d’eux pour bien les entendre."
Malgré tout, Laure tente de relativiser. “On n’est pas la profession la plus à plaindre, on a pu faire l’école à l’école et c’est déjà une bonne chose."
“C’est anxiogène pour l’avenir”
Eleves comme professeurs vont enfin pouvoir souffler pendant les vacances scolaires, avant d'attaquer une rentrée probablement toujours sous contrainte sanitaire. "Je sens que le port du masque va continuer encore un bon moment", souffle Laure. "Toutes ces contraintes vont impliquer des choses qu'on ne va pas pouvoir mesurer tout de suite, surtout au niveau relationnel."
“C’est vraiment une année où on sent qu'on fait comme on peut. On est loin de maîtriser les choses", ajoute François. De son côté, Valérie espère de tout coeur "une rentrée sereine".