Le diocèse de Rouen a consacré la journée du 28 septembre aux migrants disparus en mer. Un dépôt de gerbe, une messe mais également une table ronde, étaient organisés au Tréport (Seine-Maritime). À cette occasion, nous avons recueilli le témoignage de Moussa*, migrant guinéen, arrivé en France il y a 7 ans.
Il est arrivé seul. Sa famille, elle, est restée en Guinée. Pour atteindre la France, Moussa* a risqué sa vie. Aujourd'hui encore, il se ferme, abordant avec de grandes difficultés sa traversée : incapable de la raconter dans le détail, il se souvient juste avoir "vu la mort en face" : "Je vis dans la douleur. Il y a toujours le malheur sur moi. Depuis que je suis en France. Ça reste un traumatisme profond pour moi ce que j'ai traversé là-bas", confie-t-il.
*Le prénom a été modifié pour préserver son anonymat.
"Ma vie était en danger"
En Guinée, Moussa vit sous le joug de l'équipe d'une école coranique traditionaliste. Il évoque dans un français élémentaire une véritable exploitation humaine. "Ils vous font travailler, quémander dans la rue sous le soleil ardent comme sous la pluie. Certains meurent, se cassent les pieds, les mains. On ne vous emmène pas à l'hôpital, on vous soigne avec des médicaments traditionnels, dans une chambre avec 10 à 15 personnes et des moustiques. Il y a des cas de méningite ou de paludisme. Ma vie était en danger."
Même actuellement, si je vois l'eau, ça me rappelle le jour où j'ai traversé la mer. C'est quelque chose dont j'ai tellement de mal à parler aujourd'hui franchement.
Moussa*, migrant guinéenà France 3 Normandie
"C'était très difficile. J'ai fait quatre tentatives pour venir. Ils [les passeurs, ndlr] vous emmènent très loin. Vous dormez dans le bus, vous faites 10 à 12 heures de route, après ils vous laissent vous débrouiller, ils vous oublient", raconte Moussa.
La quatrième tentative sera la bonne. Il passe par le Maroc avant d'emprunter un bateau. Et aux questions sur sa traversée de la Méditerranée, il n'apporte que des réponses fragmentaires. L'événement est traumatique : "Le voyage sur la mer c'était un cauchemar pour moi. On était trop nombreux à traverser", se contente-t-il d'ébaucher.
L'espoir d'une régularisation
À son arrivée en France, Moussa obtient l'autorisation de rester travailler pendant trois mois. Mais sa demande d'asile est finalement déboutée. Il est donc, désormais, sous le coup d'une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Arrêté plusieurs fois, il nous raconte l'enfer du centre de rétention administrative de Oissel, où il a séjourné quelques semaines : "C'est difficile. On dirait les prisonniers, c'est la prison en fait. Vous êtes mal vu. Vous n'avez pas de situation, pas de travail derrière. Vous êtes tous enfermés."
Je vis toujours dans une cachette. J'espère que je serai régularisé. Je n'ai fait ni crime ni délit, j'espère qu'ils ne vont pas me ramener au centre de rétention.
Moussa*à France 3 Normandie
Son épouse, guinéenne, est, elle, en situation régulière, comme leurs deux enfants de trois et quatre ans, scolarisés. Pourtant, la situation de Moussa n'est toujours pas régularisée. Alors impossible pour lui de travailler. "J'aimerais travailler dans un entrepôt", explique-t-il lorsque nous lui posons la question. "Mais quand tu n'as pas le papier, tu n'as pas le droit au travail. J'ai peur d'être encore stoppé par la police. Ils me disent que je ne suis pas intégré, alors j'ai toujours peur."
Et malgré ses difficultés - son épouse ne travaillant pas non plus pour le moment - il explique ne pas regretter sa venue en France, vitale. "Ma famille est restée là-bas, tous les six mois je parle avec mon petit frère. Je suis le seul à avoir tenté de venir en France. Je suis content quand même d'être là."
Une table ronde pour mettre l'humain au cœur du débat
Moussa a accepté de livrer son témoignage à un public plus nombreux, l'occasion d'une journée hommage aux migrants, au Tréport. Là encore, sur l'estrade, il reste extrêmement pudique sur sa traversée de la mer : "C'était un cauchemar, un calvaire pour moi, c'était très difficile. Tu vois la mort, tu n'as aucune force. Tu ne manges pas à ta faim."
Une table ronde organisée par le diocèse de Rouen, en parallèle d'un dépôt de gerbe dans la Manche, afin d'évoquer la situation de ces femmes, hommes et enfants, de raconter leur histoire et leurs traumatismes... Qu'ils aient traversé la Méditerranée ou la Manche : en moins d'un mois, près d'une centaine d'hommes et de femmes, désireux de rejoindre l'Angleterre, a en effet été prise en charge dans des communes du littoral normand.
Regardez ce reportage d'Emmanuelle Partouche et Stéphane Gérain :
"C'est un drame insupportable. Ça nous touche de très près", assure Mgr Dominique Lebrun, l'archevêque de Rouen. "Les Chrétiens, quand ils prient, ils disent 'Notre Père'. Dieu est le père de tous les Hommes. Comment pouvons-nous laisser mourir nos frères dans la Manche ? Nous nous posons la question, et la question des responsabilités." Aux côtés de l'archevêque et des membres du diocèse, le maire du Tréport, l'association Médecins du Monde mais également François Thomas, président de SOS Méditerranée :
Nul ne pousse ses enfants sur un bateau, à moins que l'eau ne soit plus sûre que la terre ferme. Ces personnes n'ont pas le choix. Ce sont des êtres humains. Il faut humaniser cette situation, ne jamais oublier que derrière toutes ces tragédies, derrière ce mot, 'migrants', ce sont des personnes.
François Thomas, président de SOS Méditerranéeà France 3 Normandie
Une journée chargée d'émotion, mais aussi de colère et d'appels à plus d'humanité face à un système qui, du point de vue des associations, dépense davantage dans la répression que dans l'accueil des populations en détresse. SOS Méditerranée a rappelé que, depuis 2014, plus de 30 000 personnes avaient péri en mer. Et selon la préfecture, au moins 46 personnes sont mortes depuis le début de l'année en essayant de traverser la Manche, faisant de 2024 l'année la plus meurtrière depuis 2018.
Avec Emmanuelle Partouche.