Hildegard Von Bingen, Francesca Caccini ou Louise Farrenc, ces noms ne vous disent probablement rien. Et pourtant, elles furent des "stars" de leur époque. Ces compositrices de musique classique ont été effacées de l'Histoire. France 3 Normandie vous propose de les découvrir dans une web-série en huit épisodes.
Retracer une histoire de la musique classique en Europe, plus exactement de la musique savante occidentale au féminin, en sortant de l’oubli les compositrices européennes du Moyen Âge au début du XXe siècle, est l'aventure passionnante que propose l'équipe de "Un orchestre à soi".
Léa Chevrier, co-autrice de la série, a d'abord imaginé une installation audio itinérante pour redonner leur place aux compositrices oubliées. "Elle est musicienne et artiste sonore, et elle a découvert en fait très tard qu'il avait existé des compositrices dont on ne lui avait jamais parlé au conservatoire et c'est ça qui lui a donné envie d'imaginer un projet autour d'elles" explique Laureline Amanieux, la réalisatrice, co-autrice et co-productrice des vidéos.
Huit portraits de compositrices
Entre le XIIᵉ et le début du XXᵉ siècle, 800 femmes ayant composé de la musique en Europe ont été recensées. Impossible de dresser les portraits de chacune d'elles. L'équipe s'est donc concentrée sur huit compositrices.
Ce qui a guidé nos choix, c'est qu'on voulait montrer des femmes à des époques différentes et puis aussi des compositrices dans des genres musicaux différents, allant du chant grégorien, de la musique baroque italienne, au romantisme. On a voulu montrer des compositrices dans différents grands mouvements musicaux, qui avaient aussi été les premières en leur domaine. Par exemple, on consacre un portrait à la première femme de toute l'histoire à avoir écrit un opéra au XVIe siècle, Francesca Caccini, soutenue par la famille des Médicis à Florence, en Italie.
Laureline Amanieux, co-autrice de la web-série "Un orchestre à soi"
L’oubli ou la méconnaissance qui frappent les compositrices majeures de l'histoire est le signe plus vaste d’un effacement des créatrices, et plus généralement du rôle des femmes dans la mémoire collective. La série documentaire explique, au fil des épisodes, les raisons de cet effacement historique.
"Au XIIᵉ siècle (et c'est encore vrai au XVIIᵉ), les femmes n'avaient pas le droit de recevoir une éducation musicale, donc elles pouvaient apprendre la musique soit parce qu'elles étaient religieuses comme Hildegarde Von Bingen, soit parce qu'elles étaient nées dans une famille de musiciens et le père a transmis aussi bien à ses fils qu'à ses filles la pratique de la musique" précise la réalisatrice.
À partir du XIXᵉ siècle, la pratique de la musique fait partie de la bonne éducation d'une femme dans les familles aisées. "Mais c'est pour l'agrément de la bonne société. Elles ne doivent pas faire de la composition leur métier. On a consacré un épisode à Alma Mahler, la femme du célèbre compositeur Gustav Mahler. Elle est aussi une grande compositrice, ayant créé une centaine d'œuvres à l'âge de 22 ans. Elle s'était convaincue que la femme ne devait pas composer, qu'elle ne pouvait pas faire quelque chose de grand. Quand son mari lui dit "écoute il ne peut y avoir qu'un compositeur dans un couple et c'est forcément moi", elle cesse de composer et se met au service de son mari" ajoute Laureline Amanieux.
Un projet s'adressant au plus large public et reprenant les codes du web
L'objectif des créatrices du projet est de s'adresser à un public le plus large possible, et pas aux seuls amateurs de musique classique. Pour cela, elles ont conçu de courtes vidéos, autour de cinq minutes, reprenant les codes du web.
C'était très important qu'elles soient pop, rythmées, dynamiques, colorées et qu'on prenne conscience non seulement de la modernité de ces femmes mais aussi des obstacles qu'elles ont rencontrés. Ils peuvent raisonner avec des obstacles qu'on rencontre toujours aujourd'hui. C'est important d'en prendre conscience et de faire en sorte d'améliorer les choses et que ce soit pas seulement la créativité des femmes qui soit mieux représentée mais leur place tout simplement dans la société. Par exemple, dans l'épisode sur Louise Farrenc, on met l'accent sur le fait qu'elle était moins payée que les hommes au Conservatoire de musique, et qu'elle s'est battue au XIXè siècle, pour avoir le même salaire que les hommes. C'est quelque chose qui résonne avec notre monde contemporain. On ne parle pas que de musique classique !
Laureline Amanieux, co-autrice
Des portraits volontairement engagés ! Les deux autrices assument volontiers l’étiquette d'un travail féministe.
Dans chaque vidéo, des musicologues, viennent apporter leur regard de spécialiste d'une époque. Florence Launay et Guillaume Kosmicki ont tous deux réalisé d'importantes recherches sur la place des femmes dans la musique classique et édité des livres sur cette thématique. La production souhaitait assurer ainsi une authenticité historique. Des musiciens ou chanteurs, ayant une grande pratique de l'œuvre de la compositrice et une forte connaissance de sa vie, donnent également leur témoignage. Des archives, traitées en animation 2D sont accompagnées d'une voix off s'adressant directement à la compositrice en usant du tutoiement, pour plus de proximité.
L'originalité de la série "Un orchestre à soi" est d'être centrée sur les raisons qui ont mené à l’effacement des compositrices au cours de l’histoire.
Chaque vidéo met alors en lumière les raisons majeures qui ont conduit à l’invisibilisation d’une compositrice, et ce, dès son ouverture. La vidéo permet de dérouler le récit de sa vie et de son œuvre musicale. "Pour chaque compositrice, on insiste sur des mécanismes d’effacement différents afin que l’ensemble des vidéos en proposent la vision la plus complète possible" explique Laureline Amanieux.
Les vidéos diffusées dans une installation musicale
Si la série documentaire peut se voir seule, elle prend aussi toute sa place dans l'installation multimédia "Un orchestre à soi", créée par Léa Chevrier. Le visiteur y écoute des extraits des créations des compositrices oubliées, tout en lisant des passages très courts et frappants de lettres écrites par les artistes. Il peut même enregistrer une séquence de chant dans une cabine karaoké. Elle est ensuite intégrée dans l'installation et le générique de fin des vidéos.
L'installation audiovisuelle s'installe pour la première fois du 21 septembre au 5 octobre 2024 à l'Opéra de Rennes.
"Un orchestre à soi", une co-production de France 3 Normandie.
Découvrez les huit épisodes de la série documentaire sur la plateforme France.tv et sur les réseaux sociaux de France 3 Normandie.